Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/07/2014

Mon sujet est le discours que les dominants tiennent sur la réalité

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Élisabeth Lévy : Nous entendons [cette chanson-là] sur tous les tons : il n’y a pas d’autre avenir possible, pas plus qu’il n’y a d’autre politique, d’autre point de vue ou d’autre choix possibles que ceux que nous assigne le parti du Bien. Mais ce n’est pas parce que celui-ci a décrété la fin de l’Histoire que nous devons l’accepter comme une vérité et encore moins nous y conformer. Mais nous y reviendrons.

Philippe Muray : La maîtresse expression du nihiliste élitocrate est : il faut aller plus loin. Et on sait ce que ça signifie : il s’agit d’anéantir tout ce qui paraît se dresser encore sur la route de la modernité, et cela dans tous les domaines. Ainsi l’organisation Mix-Cité, commentant dans Le Monde les décisions de la susnommée Ségolène Royal et sa brillante réforme du droit de la famille, surenchérissait : « Comment ne pas contester l’idéologie maternaliste selon laquelle les enfants seraient la propriété exclusive des mères ? Allons plus loin ! Demandons-nous aussi au nom de quoi les enfants seraient la propriété privée des parents ? » Ce qui nous ramène à l’idéal des charmants régimes totalitaires où, en effet, les enfants n’étaient pas la propriété de leurs parents mais de l’État et de l’idéologie. Qui dit que le retour à cet idéal est impossible ? [Cette] guerre s’effectue en brandissant l’arme de l’inéluctable. Et c’est aussi cette arme que l’on agite, en ce moment même, pour courber les populations au plus vite et les soumettre à la torture odieuse et même inutile de l’euro. Toutes les anciennes conditions de vie, tous les anciens rapports entre les êtres sont présentés comme des liens archaïques à trancher afin de parachever une libération qui n’est en fait qu’une destruction de ce qui subsistait encore de minimalement vivable dans l’existence. La common decency, à si juste titre chère à Orwell et aujourd'hui à Jean-Claude Michéa, subsiste encore peut-être un peu dans les « couches populaires », mais elle dépend d’un ordre symbolique (le vieil ordre œdipien structureur de l’humanité) que tout concourt à faire disparaître.

(...)

Le plouc émissaire sent, mais sans avoir tout à fait les moyens de l’exprimer, hélas, que toutes les modernisations sont désormais des complots meurtriers, et qu’il est encore davantage le sinistré des élites et de ses affreuses inventions que le sinistré des eaux en folie. Il sait donc aussi que l’instinct de conservation, sans ambiguïté, se trouve dans le camps de la vie et de la liberté. C’est une sorte d’espoir, si vous voulez. Une sorte seulement.

Élisabeth Lévy : Il y a une logique à observer le monde à travers le prisme déformant de la propagande médiatique dès lors que cette propagande est conforme à la réalité. Mais n’est-ce pas aussi adopter le langage des gagnants ?

Philippe Muray : Mais ce que disent les gagnants (qui ne gagnent d’ailleurs plus jamais que sur les ruines qu’ils ont produites, et on peut préférer d’autres sortes de victoires) ce n’est pas autre chose que le monde tel qu’ils le recréent ; ou, mieux encore, ce que disent les gagnants du monde, c’est le monde tel qu’ils le veulent. Mon sujet est le discours que les dominants tiennent sur la réalité (et qui, peu à peu, devient la réalité), non ce qui reste encore de réalité non transformée. Médias, presse, etc., forment l’espèce de magma discursif à travers lequel s’exprime une volonté de transformation que l’on peut essayer de lire, de traduire, de comprendre comme une sorte de texte collectif officiel et perpétuel, avec ses intentions affichées, ses sous-entendus, ses projets masqués, ses intentions non conscientes, ses actes manqués, etc. Toute entreprise critique véritable commence par la critique de la vie quotidienne. La vie quotidienne d’aujourd'hui est cette imposture montée sur roulettes dont l’éloge, infatigablement, se développe dans les médias. Étudier cet éloge, qui se substitue peu à peu à la vie réelle, en entreprendre la critique systématique, montrer que l’éloge remplace progressivement la plus élémentaire compréhension, démontrer que c’est parce qu’eux-mêmes ne comprennent plus rien que les laudateurs du présent crient si fort, c’est déjà empêcher que la fiction des gagnants soit tout à fait gagnante. L’Histoire, prétend-on, a toujours été racontée par les vainqueurs ? Il n’est pas absolument sûr que cela soit vrai de la post-Histoire. En tout cas, de ce côté-là, rien n’est encore joué. Ce que disent la presse et les médias, mais sans savoir qu’ils le disent, et même en en faisant toujours la plus vibrante apologie, c’est le délabrement de la raison. Ce délabrement, comme le reste, est une entreprise qui ne doit jamais s’arrêter (« Allons plus loin ! »). Le nouveau monde onirique doit apparaître comme seul réel et digne de foi. »

Philippe Muray, Festivus Festivus, Conversations avec Elisabeth Levy

 

14:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Je n’oublie pas non plus que Satan, en hébreu, c’est l’accusateur

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Elisabeth Levy : Cet égalitisme n’était-il pas la conséquence inéluctable de l’égalité des conditions ? a partir du moment où l’on avait supprimé les hiérarchies de la naissance, pouvait-on éviter que l’on s’attaque à toutes les hiérarchies, que de l’égalité entre le riche et le pauvre, l’on aboutit à l’identité entre le sage et le sot, entre Proust et Paolo Coelho ? Comment être égalitaire sans sombrer dans l’égalitisme : c’est l’un des aspects du problème posé aux gens des Lumières que nous sommes – quoi qu’on en dise...

Philippe Muray : En effet. L’égalité devenant égalitisme, c’est Lucifer, le "fils de l’Aurore", devenant prince des Ténébres. Quand je disais qu’il fallait inventer une nouvelle démonologie, et que cela me paraissait être la mission de la littérature d’aujourd’hui, sous quelque forme que ce soit, c’est à l‘égalitisme démoniaque contemporain que je songeais, qui fait pousser partout les associations de persécution (les "Observatoires" et autres "SOS-Machintruc" communautaristes où abolir sous toutes ses formes l’envie du pénal) ; et je n’oublie pas non plus que Satan, en hébreu, c’est l’accusateur. Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de lutte parkinsonienne contre les discriminations s’annonce comme une immense accumulation d’associations. Le nom de Satan, aujourd’hui comme hier, est "légion", mais aujourd’hui, ces légions s’appellent associations. Il est du devoir de tout être humain de les traiter pour ce qu’elles sont : des ennemis absolus de ce qu’il reste d’humain dans l’homme actuel, qu’elles entendent achever, c’est à dire transformer par divers moyens (chantage vis-à-vis des gouvernements, manipulations, mensonges grossiers, répétition du mensonge, glapissements hallucinantes de cette immense piétaille de dupes de toutes les impostures que l’on appelle militants, etc.) en lyncheur professionnel, en accusateur public permanent, en obsédé de la réparation, en suppôt de Satan. Ce qu’il est déjà pour une bonne part d’ailleurs. Je ne vois pas pourquoi tout le monde respecte ces associations, qui ne sont que des sociétés malfaisantes, des congrégations de succubes, des couvents maudits, des cyber-syndicats du crime. Il en va du salut de l’humanité de détruire ces groupes d’oppression, qui n’existent que pour se porter partie civile au nom d’on ne sait quelle légitimité qui n’est renforcée que par la faiblesse, la lâcheté, l’infantilisme des législateurs contemporains, et dont l’idéologie relève de la camisole civique. Ce sont les hyènes de la comédie de la justice. Dans toutes les affaires modernes, par exemple, celle de « pédophilie » aujourd’hui, et demain celles d’ "homophobie", vous verrez ramper vers la barre, sur leur ventre galeux, poil hérissé, museau aplati et bavant, croupe plus bas que le garrot, oreilles couchées, pelage jaunâtre, les avocats des associations, portées partie civile quand il serait tellement plus agréable de les savoir portées disparues. »

Philippe Muray, Festivus Festivus, Entretien avec Elisabeth Levy

 

12:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Un phénomène de mémoire

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Quelquefois je n’avais rien entendu, étant dans un de ces sommeils où l’on tombe comme dans un trou duquel on est tout heureux d’être tiré un peu plus tard, lourd, surnourri, digérant tout ce que nous ont apporté, pareilles aux nymphes qui nourrissaient Hercule, ces agiles puissances végétatives, à l’activité redoublée pendant que nous dormons.

On appelle cela un sommeil de plomb, il semble qu’on  soit devenu, soi-même, pendant quelques instants après qu’un tel sommeil a cessé, un simple bonhomme de plomb. On n’est plus personne. Comment alors, cherchant sa pensée, sa personnalité comme on cherche un objet perdu, finit-on par retrouver son propre moi plutôt que tout autre ? Pourquoi, quand on se remet à penser, n’est-ce pas alors une autre personnalité que l’antérieure qui s’incarne en nous ? On ne voit pas ce qui dicte le choix et pourquoi, entre les millions d’êtres humains qu’on pourrait être, c’est sur celui qu’on était la veille qu’on met juste la main. Qu’est-ce qui nous guide, quand il y a eu vraiment interruption (soit que le sommeil ait été complet, ou les rêves entièrement différents de nous) ? Il y a eu vraiment mort, comme quand le cœur a cessé de battre et que des tractions rythmées de la langue nous raniment. Sans doute la chambre, ne l’eussions-nous vue qu’une fois, éveille-t-elle des souvenirs auxquels de plus anciens sont suspendus ; ou quelques-uns dormaient-ils en nous-mêmes, dont nous prenons conscience. La résurrection au réveil – après ce bienfaisant accès d’aliénation mentale qu’est le sommeil – doit ressembler au fond à ce qui se passe quand on retrouve un nom, un vers, un refrain oubliés. Et peut-être la résurrection de l’âme après la mort est-elle concevable comme un phénomène de mémoire. »

Marcel Proust, La recherche du temps perdu vol. 3 - Le côté de Guermantes

 

10:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

En nous-mêmes

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Les poètes prétendent que nous retrouvons à un moment ce que nous avons jadis été en rentrant dans telle maison, dans tel jardin où nous avons vécu jeunes. Ce sont là des pèlerinages fort hasardeux desquels on compte autant de déceptions que de succès. Les lieux fixes, contemporains d’années différentes, c’est en nous-mêmes qu’il faut les trouver. »

Marcel Proust, La recherche du temps perdu vol. 3 - Le côté de Guermantes

 

07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Le monde moderne n’est pas méchant ; sous certains aspects, le monde moderne est beaucoup trop bon. Il est plein de vertus désordonnées et décrépites. Quand un certain ordre religieux est ébranlé (comme le fut le christianisme à la Réforme), ce ne sont pas seulement les vices que l’ont met en liberté. Les vices, une fois lâchés, errent à l’aventure et ravagent le monde. Mais les vertus, elles aussi, brisent leur chaînes, et le vagabondage des vertus n’est pas moins forcené et les ruines qu’elles causent sont plus terribles. Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles. Elles sont devenues folles, parce qu’isolées l’une de l’autre et parce qu’elles vagabondent toutes seules. C’est ainsi que nous voyons des savants épris de vérité, mais dont la vérité est impitoyable ; des humanitaires éperdus de pitié mais dont la pitié (je regrette de le dire) est souvent un mensonge. Mr Blatchford attaque le christianisme parce que Mr Blatchford a la monomanie d’une seule vertu chrétienne, d’une charité purement mystique et presque irrationnelle. Il a une idée étrange : c’est qu’il rendra plus facile le pardon des péchés en disant qu’il n’y a pas de péchés. (...)

Or il est un cas beaucoup plus remarquable que cet antagonisme de la vérité et de la pitié, c’est celui de la déformation de l’humilité. (...)

Ce dont nous souffrons aujourd’hui, c’est d’un déplacement vicieux de l’humilité. La modestie a cessé tout rapport avec l’ambition pour entrer en contact intime avec la conviction, ce qui n’aurait jamais du se produire. Un homme peut douter de lui-même, mais non de la vérité, et c’est exactement le contraire qui s’est produit. Aujourd’hui, ce qu’un homme affirme, c’est exactement ce qu’il ne doit pas affirmer, c’est-à-dire lui-même ! Ce dont il doute est précisément ce dont il ne doit pas douter : la Raison Divine. (...)

Le nouveau sceptique est si humble qu’il doute de pouvoir apprendre. Ainsi nous aurions tort de nous presser de dire qu’il n’y a pas d’humilité propre à notre époque. Le vérité est qu’il en existe une, très réelle, mais pratiquement plus morbide que les farouches humiliations de l’ascète. L’ancienne humilité était un aiguillon qui empêchait l’homme de s’arrêter et non pas un clou dans la chaussure qui l’empêche d’avancer, car l’ancienne humilité faisait qu’un homme doutait de son effort et cela le poussait à travailler avec encore plus d’ardeur. Mais la nouvelle humilité fait que l’homme doute de son but, ce qui l’arrête tout à fait.

A tous les coins de rue nous sommes exposés à rencontrer un homme qui profère cette assertion frénétique et blasphématoire : "Je puis me tromper". Chaque jour vous croisez quelqu’un qui vous dit : « Bien entendu, mon opinion n’est peut-être pas la bonne ». Or son opinion doit être la bonne, sinon, elle n’est pas son opinion. Nous sommes en train de créer une race d’homme d’une tournure d’esprit trop modeste pour croire à la table de multiplication ! Le danger est de voir des philosophes qui doutent de la pesanteur comme d’une simple fantaisie de leur cerveau. Les railleurs d’autrefois étaient trop orgueilleux pour être convaincus, mais ceux-ci sont trop humbles pour l’être. Les doux posséderont la terre mais les sceptiques modernes ont tant de douceur qu’ils ne veulent même plus réclamer leur héritage. (...)

Le péril, c’est que l’intelligence humaine est libre de se détruire elle-même. De même qu’une génération pourrait empêcher l’existence même de la génération suivante, si tous ceux qui la composent entraient au couvent ou se jetaient dans la mer, ainsi, un petit nombre de penseur peut, jusqu’à un certain point, faire obstacle à la pensée dans l’avenir en enseignant à la génération suivante qu’il n’y a rien de valide dans aucune pensée humaine.

Il est vain de parler de l’antagonisme de la raison et de la foi. La raison est elle même un sujet de foi. C’est un acte de foi de prétendre que nos pensées ont une relation quelconque avec une réalité quelle qu’elle soit. Si vous êtes vraiment un sceptique, vous devrez tôt ou tard vous poser la question : "Pourquoi y aurait-il quelque chose d’exact, même l’observation et la déduction ? Pourquoi la bonne logique ne serait-elle pas aussi trompeuse que la mauvaise ? L’une et l’autre ne sont que des mouvements dans le cerveau d’un singe halluciné ?". Le jeune sceptique dit : "J’ai le droit de penser par moi-même". Mais le vieux sceptique, le sceptique complet dit : "Je n’ai pas le droit de penser par moi-même. Je n’ai pas le droit de penser du tout."

Il y a une pensée qui arrête la pensée, et c’est à celle là qu’il faut faire obstacle. C’est le mal suprême contre lequel toute autorité religieuse a lutté. Ce mal n’apparaît qu’à la fin d’époques décadentes comme la notre...

Car nous pouvons entendre le scepticisme brisant le vieil anneau des autorités et voir au même moment la raison chanceler sur son trône. Si la religion s’en va, la raison s’en va en même temps. Car elles sont toutes les deux de la même espèce primitive et pleine d’autorité. Elles sont toutes les deux des méthodes de preuves qui ne peuvent elles-mêmes être prouvées. Et en détruisant l’idée de l’autorité divine, nous avons presque entièrement détruit l’idée de cette autorité humaine par laquelle nous pouvons résoudre un problème de mathématiques. Avec une corde longue et résistante, nous avons essayé d’enlever sa mitre (la religion) à l’homme pontife et la tête (la raison) a suivi la mitre. »

Gilbert Keith Chesterton, Orthodoxie

 

05:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook