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01/12/2022

Impressions de Pâques

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« Voici venir Pâques, fête du renouveau ! A ceux qui ont gardé un certain contact avec la tradition, serait-ce seulement par le souvenir pieux, une telle fête ramène des réflexions spéciales. Pour d'autres, à ce moment particulier de l'année, où dans nos climats s'annonce et s'accentue le réveil de la nature, des impressions analogues surgissent d'une source différente. A tous apparaît, sous une forme plus pressante, plus insinuante que d'habitude, la grave question dont dérivent toutes les autres, la question de la vie. Moi aussi je me laisse aller à la sollicitation intérieure. Plus d'un lecteur ami, l'ayant comme moi ressentie, nous nous rencontrerons peut-être en esprit. Qu'il soit touche par la grâce du printemps ou le souffle d'éternité symbolisé par la fête de Pâques, mon coeur est avant tout près de ceux qui souffrent et pleurent, dont l'espérance vacille ou s'est éteinte. La vie, pour beaucoup, est une grande ombre, une longue nuit. Ils y marchent, sans savoir d'où ils viennent ni où ils vont, frappés de coups dont ils ignorent le sens, saignant de blessures dont la cause leur échappe. Et tout ce qui les remet en face du fait de l'existence, excite au fond de leur âme une angoisse infinie. La vie, cauchemar que tout matin renouvelle, redevient plus poignante avec chaque printemps.

Que nous veulent ces bourgeons gonflés, ces boutons que la sève fait éclater, ces fleurs perçant, germant, s'ouvrant partout? Les chants se réveillent dans les bois, l'air se peuple d'un murmure ailé, les nids se bâtissent, les couvées se préparent. Tout cela, pourquoi ? N'est-ce pas le grand égarement qui recommence ? A quel autre but que la souffrance et la nuit aboutit ce colossal et vain effort d'être ? Qu'y a-t-il au fond de cet inconcevable devenir ? L'abeille retournant aux calices d'or,la fauvette glanant des brins d'herbe pour tresser la demeure de ses petits, amassent-elles autre chose que des preuves de l'irrémédiable néant ?
Oh, la vie ! La fleur et l'oiseau la possèdent sans la connaître. Si le matin leur sourit, ils ne prévoient point le soir. "Ils ne tissent ni ne filent", c'est déjà quelque chose ; mais ils ne pensent ni ne cherchent, ni ne doutent, ni ne s'inquiètent du but. Et Cela est leur paix, inconnue de l'homme. A lui le triste privilège des additions aboutissant à zéro, des bilans établissant le déficit. A lui la faculté terrible de sentir la destruction active jusque dans les germes.
Il a trébuché sur les tombes d'enfants, sur le gazon envahissant les sentiers jadis pleins de vie, sur la pierre froide recouvrant les lutteurs vaincus de la justice, de la tendresse, de la liberté. De la vie, il connaît surtout la grande peine de vivre.
A ceux que le printemps rend mélancoliques le message de Pâques est plus nécessaire encore qu'à d'autres. Il y a dans ce message de la joie ; mais non de celle que puisent, en un rayon de soleil, les créatures épanouies dans le bien-être et la santé. Cette joie prend sa source au creuset des douleurs.
b>* * *

Pâques, c'est l'oasis du désert, la rose issue du buisson d'épines. Pâques, c'est la vie triomphant de la mort.
La bête meurt et ne pense pas la mort. L'homme la pense, et arrive à la vivre, à force d'y entrer avec toutes ses facultés. Il la boit, la savoure, en épuise l'amertume, et finalement la consume. Car le Juste meurt, non plus contraint, mais le voulant. Par amour, il se donne, il se jette au gouffre et le comble. De sa mort, jaillit la lumière. Il est mort contre la mort. Conduisez-nous vers ce fait nouveau, nous qui pleurons sur le vieux désastre et la vieille fatalité !
Dans la douleur seulement, le sacrifice consenti et la mort transformée en action, apparaît la haute vie. Ailleurs sont les rudiments, ici la science profonde ; ailleurs les degrés lointains montant vers quelque sommet : ici est ce sommet.

* * *

"Je suis le chemin, la vérité, la vie." Cela équivaut à dire : je suis le chemin de la vraie vie. Souffrir, lutter, aimer, croire ; prendre sur soi la croix, le fardeau, le porter en espérant ; renoncer à soi, c'est-à-dire à la vie pour la vie, afin de s'offrir et de donner son fruit, voilà le secret viril et saint de la vraie vie.
Ici tout se transforme. A la place de la figure extérieure, transitoire, condamnée d'avance, irrémédiablement caduque et misérable, d'une existence qui nous, apparaît comme un effort impuissant pour durer et demeurer, nous çonquérons l'esprit qui fait vivre. Le vieux prophète déjà enfermait cette double expérience dans un seul cri : "Toute chair est comme du foin, et toute sa gloire comme la fleur de l'herbe ; mais la parole de Dieu demeure éternellement."

* * *

Combien est long et aride le sentier de ces hauteurs ! Mais il n'est plus solitaire. Quiconque a fait autre chose que de se çramponner à l'existence en attendant que malgré lui il en soit arraché, a laissé sur ce sentier le meilleur de lui-même, afin d'encourager les suivants. Pâques est le jour de tous sacrifiés semés comme la graine aux sillons de l'avenir. Il y a plus ici qu'un mort sorti d'une tombe, il y a une chaîne immense de vie conquise sur le néant, parce que donnée par amour. Toute la terre et toute l'histoire humaine tressaillent de vie purifiée, filtrée à travers la couche épaisse de mort, où rien d'impur ne saurait passer.
Si la vie caduque et sans lendemain nous étreint, arrêtons-nous là. La montée commence sous nos pas. Dechaqueétapo.dechaqueimpasse, un sentier possible mène vers l'issue favorable. L'esprit qui fait vivre forme avec toute situa- tion, la plus désespérée même, une combinaison capables de la clore par un résultat positif.

* * *

De vieilles superstitions fort explicables ont transformé la "Vie éternelle" en un simple fruit de l'incorrigible routine d'être là, qui voudrait se prolonger jusque par delà les étoiles. Comme on entrait à cheval au sanctuaire, jadis, si l'on était grand seigneur, on entrerait avec armes, bagages et titres, au banquet céleste où subsisteront les hiérarchies et la satisfaction invétérée de se sentir premier. On pourrait dire alors : "la séance continue". Ceux que la séance parfois écoeure ont cessé de penser qu'elle gagnerait à durer toujours. Mais ce ne sont pas des incrédules : ils ont orienté leur expérience vers des horizons moins bas.
Non, l'âpre soif de rester là, inspiratrice de toutes les bassesses et de toutes les cruautés humaines, ne saurait nous guider vers cette vie plus haute, dont le sens transparait à travers les meilleures clartés de celle-ci. Cette soif mène au désenchantement ; elle alourdit les ailes. Il nous faut apprendre à armer la vie, non pour elle-même, et comme on aime un fruit savoureux, mais comme une étoffe à employer. La croix du Calvaire, le jardin des Oliviers disent que la vie est le prix d'une science consistant à savoir mourir.
Si tu n'apprends pas à épeler les principes de cette science, tu seras condamné à vouloir fixer l'heure qui s'enfuit, arrêter le torrent qui se précipite. Tu subiras, le long des jours, ce supplice de te sentir tomber, sans pouvoir jamais saisir au passage la branche de salut convoitée par ta main. Tu embrasseras des fumées qui s'évanouissent, et malgré ta sagesse, ta prévoyante prudence, tu te tromperas dans tous tes calculs. Par crainte même de les toucher, tu conduiras ta barque contre tous les écueils que tu veux fuir.
Lève ton regard vers un autre idéal ! Ne te ménage pas, ne te retiens pas ; choisis le beau risque plutôt que le chemin honteux indiqué par la peur de perdre les biens ou le corps !
Ramasse-toi et donne-toi de tout coeur ! Tu connaîtras la joie, la liberté, et cesseras d'être le trembleur hanté par tous les pressentiments sinistres, pour emboîter le pas derrière ceux qui ont allégé leur bagage, afin de se mettre à l'aise en marchant allègrement sous la consigne: "Ne crains rien, crois seulement !"

A ceux-là appartient le monde et l'avenir.
Par l'esprit qui les anime, ils voient clair dans la nuit, ils ont chaud en plein froid, ils sont riches de ce qui ne peut ni s'acheter ni se vendre. Les vaincus de la justice, pour eux, sont les grands triomphateurs ; les morts qu'ils aiment sont vivants.
Si l'on pouvait faire ses Pâques dans cet esprit ! Comme les morts ressusciteraient, comme serait brisée la mâchoire de granit de ces tombes où nous retiennent l'inertie, la routine, le mensonge, l'amour de tout ce qui nous extermine, et ces vieilles formules elles-mêmes que les lèvres redisent, mais dont la flamme s'est éteinte au foyer des âmes ! Comme nos yeux fermés et aveugles s'ouvriraient pour voir ce qui donne la paix !

L'homme déclare la vie périssable, parce qu'il la saisit dans ce qu'elle a de vain. S'il connaissait le prix de l'heure qui fuit, la grandeur de l'oeuvre à faire, le diamant caché sous toute gangue humaine, l'usage à tirer de ce qu'il a reçu, il ferait jaillir l'étincelle divine des pierres du chemin !
Antiques souvenirs d'une foi toujours à renouveler, vieux et fragiles symboles d'un mystère consolateur, paroles d'espérance et de vie, secouez les suaires dont le temps vous enveloppe, surgissez de la cendre où vous couvez ! Notre misère a besoin de votre splendeur matinale. Vous nous rappelez ce qui jamais ne meurt. Soutenez-nous dans la marche vers le but lointain et sublime !
Et vous aussi, petites fleurs que chaque printemps fait éclore, soyez comme les messagères d'une nouvelle réconfortante ! Dites aux lutteurs abattus que l'issue sera bonne, que jamais ce ne sera fini d'aimer ! Soyez dans l'ombre, près de nous, les témoins des étoiles éternelles ! Portez dans les demeures et jusque dans les coeurs enténébrés, ce reflet de ciel bleu captif dans vos corolles ! »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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30/11/2022

Dernière heure

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« De ma dernière heure, il en sera comme Dieu voudra. Pourvu que la grâce me soit conservée, qui nous tient lieu de toute chose.

Et pourtant certaines morts sont belles et font envie. Pourquoi suis-je ému en lisant, parmi les "faits divers", le cas de ce pauvre camelot, mort en criant son journal !

L'AMI. — C'est parce qu'il est mort à son poste, en faisant son oeuvre. Il nous rappelle le coureur de Marathon, mourant en annonçant la victoire. Il rappelle cet héroïque ami, Herrmann Kruger, continuant à donner ses leçons d'hébreu, malgré le cancer qui lui dévorait la figure. Ceux-là meurent debout, et c'est bien ainsi qu'on aimerait mourir. Mais qu'importe !
N'ayant pas le choix, demandons seulement que la paix nous demeure, et acceptons le régime de grande misère, de faiblesse complète, avec l'es- prit commesoutien ! Au surplus, ne perdons pas, à penser à la mort, le temps réclamé par la vie! Les jours perdus sont un mauvais oreiller pour s'endormir.

J'aime à penser à ceux qui ont beaucoup et simplement souffert. Pauvre demoiselle J..., qui a souffert pendant vingt ans ! Quand ses amis allaient la voir, navrés, elle les réconfortait. Celle qui n'avait plus qu'un souffle remettait à leur aise les gens bien portants, troublés et déconcertés par ses longues souffrances. Ces exemples-là m'électrisent. Dans les faibles, l'Esprit est fort. »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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29/11/2022

L'enfant et la mort

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« L'AMI. — Ne craignons pas de parler de la mort à nos enfants, lorsqu'ils sont bien portants et que la question se pose pour ainsi dire d'elle-même, à l'occasion d'un deuil qui a intéressé leur attention. Mais habituons-les à y voir un retour dans le sein de Dieu, leur apprenant à connaître sa face libératrice plutôt que celle par où elle inspire aux hommes des sentiments d'esclave. C'est un bonheur que d'être, tout jeune, par l'amour clairvoyant des parents, habitué à ne pas considérer la mort comme une telle affaire. On lui a fait, sous sa forme de puissance destructive, une place absolument scandaleuse dans la pensée humaine, y compris la pensée religieuse, dénaturée et déviée de sa source lumineuse. Ce que nous avons de meilleur dans nos traditions saintes devrait nous armer contre la peur de mourir.
Hélas ! qui donc connaît le Dieu qui sauve de la mort ? Nous en adorons un qui manie la mort, comme Jupiter la foudre. Elle est son arme principale. Trop souvent, les religions ont cultivé la peur de la mort, lui assignant une place de premier ordre dans nos motifs d'agir. La peur est une force de démoralisation, génératrice de sentiments vils. Nous l'inspirer, c'est nous empoisonner l'âme. Si vous nous aimez, enseignez-nous à combattre la crainte de la mort par la confiance en Dieu ! Au lieu de nous réduire en esclaves, libérez-nous !

Jamais on ne sent mieux le mal horrible fait aux âmes terrorisées que dans les circonstances difficiles où nous placent de graves maladies ou de grands dangers. »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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Il est bon pour vous...

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« C'est une mystérieuse et véridique parole que celle où le Christ dit : "Il est bon pour vous que je m'en aille. Si je ne m'en allais, le Consolateur ne viendrait point." Perdre selon la chair, pour posséder vraiment selon l'esprit : loi douloureuse vérifiée par mille faits.

C'est de son regret des chers disparus, de sa pensée, dirigée vers ceux qui nous ont quittés, que l'humanité a retiré le plus de certitudes supérieures à cette vie sensible. A travers le culte sacré du souvenir, un monde lui est apparu, d'une profondeur prodigieuse. L'homme perdu dans le visible n'en soupçonne même pas le seuil. »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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26/11/2022

Souffrance inerte

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« L'AMI.— Il y a une manière de souffrir, inerte, qui aggrave la douleur et la corrompt, comme se corrompent les blessures mal tenues. S'en garder. S'habituer à la souffrance active qui est la souffrance transformée en ressort moral. Il n'est pas bon qu'une douleur devienne la force dominante dans l'existence. Paralysie et désordre, voilà ce qui en résulte. Peut-on livrer le gouvernement de la maison auxlarmesd'enfant, même exemptes de caprice ? Ce serait la démoralisation et l'incohérence. La douleur indomptée, livrée à elle-même, exerce des ravages irréparables. Il faut la combattre comme un mal. Ce qui est sans frein ni loi, devient toujours un agent de désorganisation. Éclairons donc nos douleurs, et qu'elles rentrent dans le rang !

Le travail est un excellent contrepoids à la douleur. A lui seul, il ne suffit pas. Négliger, réprimer, étouffer son coeur en se plongeant dans une activité sans trêve, c'est se manquera soi-même. La douleur a des droits à notre attention. S'en occuper, écouter ses leçons, mais trouver un élément qui lui tienne la balance et maintienne l'équilibre.

Quel réconfort je trouve dans le souvenir de ma vaillante mère, à la vie si traversée ! Que serait-elle devenue, si elle avait fait ses deuils sur une chaise longue? Elle aurait péri de maladie poire. La douleur sans le travail engendre une légion de pensées malfaisantes. Elle nous livre aux craintes, aux pressentiments funestes, pires que tous les malheurs. Cassons, s'il faut en venir là, des pierres sur la route, mais ne nous laissons pas pourrir dans le souci !

Si les morts pouvaient nous parler, voilà quels conseils ils nous donneraient.

Honorons-les en travaillant ! Pleurons-les debout, appliqués à quelque saint effort !

Pour ceux qui se perdent dans la haine ou les vanités, les morts sont morts deux fois. Tous les jours, le néant les emporte plus loin.

Mais vivre dans l'esprit fraternel, dans les choses d'en haut, c'est se rapprocher de tous, des vivants comme des morts.

Préparons l'éternel revoir, qu'à peine notre foi vacillante peut saisir, par une vie tendant comme par degrés à l'Union supérieure !

Dieu seul est la Vérité totale et la possède dans son incommensurable étendue. Pour nous, prions seulement d'être conduits de proche en proche vers une clarté plus complète et telle que nos yeux en ont besoin ! »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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Places vides

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« L'AMI. — Pour l'amour même de ceux qu'elle t'a ravis, ne fais pas à la mort l'honneur de lui assigner une trop grande place, ni surtout la première dans ton coeur et à ton foyer. A cette place-là, invite l'espérance à s'asseoir, avec la tendresse humaine, avec la foi. Invites-y Dieu et toutes les puissances amies ! Et ceux que tu pleures seront au milieu de vous. »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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23/11/2022

Dieu l'a pris mon enfant

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« — Dieu m'a pris mon enfant.

L'AMI. — Ne dis pas cela !

— Job l'a bien dit : "L'Éternel l'a donné, l'Étemel l'a ôté, que le nom de l'Éternel soit béni ! »

L'AMI. — N'abusons des paroles de personne ! Job voit fondre sur lui des malheurs inexplicables. Comme il sait que tout est dans la main de Dieu, il garde sa confiance, et le bénit, dans les jours mauvais comme dans les beaux jours. En cela il a raison.

Mais, relis les textes ! Disent-ils que Dieu avait décidé de prendre à Job ses biens d'abord, ses enfants ensuite, en dernier lieu sa santé ? Dieu est-il considéré comme l'artisan de ses malheurs ? Non. Il y avait là-dessous une machination de Satan. Job pouvait-il s'en douter ? Évidemment il se trompait.

— Mais n'est-il pas consolant de pouvoir s'associer à sa parole ? Quel autre refuge avons-nous dans les obscurités de la vie ? Quoi qu'il arrive, pouvoir nous en remettre à Dieu absolument, n'est-ce pas le recours suprême du croyant ?

L'AMI.— Certes, oui ! Ici nous sommes d'accord. Il est bon de savoir que tout se ramène à Dieu, en définitive. Mais prenons garde ! C'est dépasser le but et sortir du vrai que de dire avec l'assurance d'un témoin oculaire : Dieu a fait ceci ou cela. Pour parler ainsi en connaissance de cause, il nous faudrait une envergure d'esprit qui nous manque totalement. Peux-tu poser ton pouce sur le Silberhorn et ton index sur le Davalaghiri ?... Ce serait là cependant une moins téméraire entreprise que.de vouloir enfermer dans les limites de ton esprit certains domaines, entre eux contradictoires, de l'action divine.
Crois au Père, crois à son amour ! C'est ce que tu peux faire de plus conforme à la fois à ta raison et à ton coeur. Ne te laisse dire ni insinuer par aucun désordre de ce monde, par aucun malheur, aucune ignominie, aucune douleur affolante, que le Père t'oublie et ne t'aime pas ! Garde fixée sur toi sa face qui rassure et console !

Or, tu changes sa figure, en voyant en lui un ravisseur d'enfants. Son front se durcit. Il devient le despote se jouant de nos affections et de nos vies selon son bon plaisir, et devant qui rien ne vaut, si ce n'est "obéir et se taire".

Ici, je ne sais quel bon instinct nous guide mieux que des paroles tombées au rang de formules. Si ton fils meurt assassiné, tu ne diras pas que Dieu l'a tué. S'il meurt victime de sa témérité, attribueras-tu sa mort à Dieu ? Non. Pourtant au fond de tout, il y a Dieu.

Mais voilà, ton fils est mort de maladie, et couramment nous disons que Dieu l'a ainsi voulu, qu'il a envoyé ce mal.
Est-ce Dieu qui a organisé la vie telle que nous la menons ? Notre hygiène fait-elle partie de sa création ; nos grandes villes, de son plan ? Est-ce que la femme et les enfants croupissant dans les usines malsaines, au fond des troisièmes cours d'un faubourg sans air, souffrent et meurent selon une loi fixée par Dieu ? Certes, Dieu est au fond de ces choses-là aussi, et c'est là notre espérance pour en sortir. De ces cloaques, son esprit nous mènera vers les pures hauteurs. Mais si je pouvais croire le mal et la misère conformes à sa volonté, tout mon entrain pour les attaquer tomberait. Dans une pensée humaine, l'idée que Dieu fait directement tout ce qui arrive, comme nous voyons un homme organiser et produire ses actes, est une idée intolérable, paralysant toute action, transfor- mant la vie religieuse en un bagne. On n'évaluera jamais les angoisses et les tortures infligées au pauvre coeur humain par la religion ainsi comprise. Du fond de quel enfer Job crie-t-il des paroles comme celles-ci : "Et quand il m'exaucerait, si je l'invoque, je ne croirais pas qu'il eût écouté ma voix, lui qui m'assaille comme par une tempête, qui multiplie sans raison mes blessures... Suis-je innocent ? il me déclarera coupable... Il détruit l'innocent comme le coupable... Il se rit des épreuves de l'innocent, la terre est livrée aux mains de l'impie ; il voile la face des juges. Si ce n'est lui, qui est-ce donc ?"
Hélas I que de pauvres créatures souffrantes vivent dans la fournaise asphyxiante de semblables idées !

Cela est tellement horrible qu'en face de certaines formes du mal, la conception dualiste du monde, malgré ses sombres terreurs, me paraît plus consolante, plus assimilable à nos esprits, et surtout moins déconcertante que cette tenta- tive impraticable de manoeuvrer avec la cause première comme avec une grandeur connue et délimitée. On prie avec plus de conviction : "Délivre-nous du mal !" quand on ne s'engage pas dans ces impasses de l'esprit où l'on est contraint de considérer Dieu comme l'auteur responsable du mal.
Il y a des affirmations dont l'assemblage produit un mélange détonant. Elles ne peuvent être enfermées sous le même crâne, sans le faire éclater. L'homme ne peut supporter cette pensée que Dieu est à la fois dans l'innocent qu'on persécute et dans le juge inique qui le condamne. Si c'est Lui le grand semeur de bacilles et berger de microbes, comment pourras-tu l'invoquer contre la maladie et la mort ? J'aimerais mieux, pour ma part, dire : "C'est l'ennemi qui a fait cela". Autrement c'est à en de- venir fou.

— Que dirai-je donc dans mon affliction et que penserai-je pour calmer mon âme ?

L'AMI. — Dis-toi d'abord qu'il est arrivé un malheur, un grand malheur ! Car c'est un malheur que de perdre un enfant aimé : vouloir le nier serait un indigne sophisme. Et puis rappelle-toi cette parole du psaume : "Le malheur peut atteindre le juste, mais l'Eternel le sauve toujours." II n'y a rien de plus ferme pour un coeur meurtri. Invoque Dieu contre les désordres de la nature et contre ses brutalités ! Invoque-le contre la mort, contre toutes les forces de destruction et de découragement ! Crie : A moi Éternel, voilà l'ennemi !

Ne dis pas : Dieu m'a pris mon enfant. Dis plutôt : Mon enfant a succombé à une terrible maladie. Mais ni la maladie, ni la mort ne pourront nous arracher de la main de Dieu, ni détruire notre place dans son plan. Pense ensuite que Dieu veut te fortifier, t'apaiser, te rendre en esprit ce que tu as perdu dans le monde visible.

Ton malheur devra produire du fruit et contribuer au bien. De cette nuit, de la lumière et de la force doivent surgir.
Ensuite pense très simplement et avec une certitude absolue : Le Père fait siennes les misères de ses enfants. Il souffre avec toi ; il est sous ton fardeau. Ainsi tu pourras pleurer ton fils et suivre cette ligne du coeur dont il est toujours néfaste de s'éloigner. Va, pauvre père, Celui qui est le Père, comprend. Ne te violente pas, reste un homme ! Ne crains pas d'offenser Dieu par ta douleur ! Ne fais pas cet horrible tour de force d'arriver à trouver doux ce qui est amer, heureux ce qui est malheureux ! Évite l'inhumain et le monstrueux ! Garde le bon sens avec la foi ! Il nous faut un Dieu faisant vivre, et non un être implacable, froidement cruel qui écrase sans broncher, tue sans sourciller. C'est le Père. On ne te le dira jamais assez, pauvre et douloureuse humanité, car, plus que tes malheurs, tes faux dieux t'exterminent. »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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21/11/2022

Que leur dirai-je ?

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« Que dire aux écrasés, à ceux qui n'ont plus rien à attendre, que la mort détruit, s'ils ne savent ni espérer, ni prier, ni croire ?

L'AMI. — Aime-les et tais-toi ! Dans l'amour, toutes les questions sont résolues. Le silence de l'amour vrai contient tout l'infini des révélations. Toute parole comparée à lui n'est qu'un effort inégal au but. Tais-toi ! Si tu parlais, tu dirais ce qu'on ne comprend pas, tu ajouterais une misère au fardeau des misères. Tu n'expliquerais rien et ne prouverais rien à cet être dans la fournaise, incapable de t'écouter, et tu le quitterais, l'ayant plongé dans la nuit plus avant. Tu le quitterais, pensant peut-être que tu as dit de bonnes choses, et content de toi-même, ô ironie ! A ceux qui se débattent aux griffes du malheur, offrir une formule est cruel. Et parfois il ne leur est prouvé par là qu'une chose, c'est que nous restons sur le Tirage, tandis qu'ils sont dans les flots.

Tais-toi ! Le silence est dans ce monde une grandeur inconnue. Il règne volontiers aux abords du royaume de paix. C'est un des messagers qui environnent l'Esprit. Quand le silence se fait, grand, sacré, sois sur que Dieu n'est pas loin. Tais-toi !

Mais aime-les bien, ceux qui souffrent ! Prends sur toi leur fardeau, entre dans la fournaise, souffre avec eux. Et dans ce saint silence, actif et dévoué, tu briseras la chape étouffante où le malheur isole et enferme ses victimes. Ils te sentiront près d'eux, dans le désert d'angoisse qu'ils traversent. Près de quelqu'un qui vous aime, on n'est pas loin de Dieu. S'ils ne le connaissent pas, ils en sentiront l'immense douceur, innommée, passer comme un souffle des cieux sur leur front enfiévré.

*

L'AMI. — Couche les morts dans Ses bras, quelque terrible que soit leur fin ! »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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20/11/2022

Sourire

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« Comme elle nous souriait, au dernier jour, cette bonne mère !

L'AMI.— Souviens-toi de ce sourire! C'est un reflet de la victoire sur la mort. Évangile libérateur ! pour t'annoncer, un dernier souffle de voix est plus puissant qu'une voix retentissante.

Toute belle vie demeure parmi nous comme un don de Dieu. Puisse le parfum en être gardé ! Ce qu'ils nous ont laissé, les chers envolés, reste à jamais notre trésor. Leur paix nous environne, apaise nos coeurs au sein des luttes, trempe notre courage aux heures difficiles. Vaillante patience, bonne humeur inaltérable, confiance en Dieu ; dans la figure de ta mère tout cela te sourit.
Et nous n'entrons pas seuls dans le mystère dernier. Ils sont tous là, les morts aimés. Leur présence nous soutient, leurs âmes nous accueillent et nous disent : Bon courage, amis, la tribulation augmente, mais le but est proche ; voici la grande paix, voici le port, voici la patrie !

*

Dans l'ombre planant sur nos sentiers, les regards des morts aimés se lèvent comme des étoiles. Sources d'espérance et de réconfort, ils nous aident à vivre et à souffrir, à marcher dans la certitude de l'invisible et dans l'affranchissement des éphémères vanités. »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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19/11/2022

Oh ! la mort

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« — Oh ! la mort des aimés! Oh ! cette misère, avant ! ce pauvre corps sculpté par la douleur, ces yeux caves, cette parole qui s'éteint ! Puis ce silence, cette nuit, cette poussière! Avec quelle brutale insistance nous est fournie la preuve de notre néant ! Quelle fureur d'effacer jusqu'à nos traces ! Afin qu'il soit bien entendu qu'il ne reste rien de nous et de notre espérance. Même quand tout paraît fini, la démonstration continue et s'acharne. Aux vivants, tout crie : Tu es poussière ; aux morts, la tombe le ressasse. Après cela, que nous reste-t-il, si ce n'est les yeux pour pleurer ?

L'AMI. — Dans vos larmes vit l'espérance. Le désespoir même qui ne pleure plus est une forme de l'espérance qui ne peut mourir. Désespérer, c'est avoir vu son étoile se voiler. Au delà du voile, elle brille.

Vous avez l'espérance tenace. Les puissances de destruction ont beau faire abonder leurs témoignages ; leur victoire sur vous est de celles qui se crient si fort, parce qu'elles sont douteuses. Il est des morts qu'il faut tuer. Vous en êtes. Mais que peut-on contre eux ? Leur répéter qu'ils sont morts ? Cela ne prouverait-il pas au contraire qu'ils sont vivants ?

Elle est vieille comme le monde, la leçon de choses qui affirme et proclame votre incurable néant. Mais malgré tout ce qu'elle vous a fait souffrir, vous ne l'avez pas retenue. Votre néant, vous n'y croyez pas, puisque vous êtes toujours là. Si vous aviez ajouté foi à la révélation de mort écrite à travers la création, flamboyante dans les rougeurs d'incendie, hurlante dans la tempête, béante dans le gouffre, il vous serait arrivé selon votre foi. Convaincus de néant, vous seriez rentrés dans le néant. Mais que vous viviez encore, après avoir été consumés par mille fournaises mortelles, cela provient de votre foi à la vie. D'où vous vient-elle ? De cette grande mécanique universelle qui vous broie ? Non, Elle vous vient de Dieu. Elle est, en vous, son inef- façable signature. Ne la protestez pas vous- mêmes ! Dieu vit en vous, voilà votre secret. Vous êtes de sa race. Sa pensée s'agite sous votre poussière. Vous êtes une espérance de Dieu.

— Comment ce qui n'est plus serait-il encore ? Comment, dévorés et digérés par la tombe, subsisterions-nous ? Notre vie est effacée comme s'efface sous le coup d'épongé une écriture sur le tableau.

L'AMI. — On peut effacer l'écriture, mais non pas l'esprit, le sens de l'écriture. Que la matière fragile, où s'est incarnée pour un temps une pensée divine, s'oblitère et s'évanouisse sous le coup d'épongé du temps, l'espérance qui est en vous, la pensée divine qui anime votre poussière, demeure. De par l'esprit éternel besognant en vous, vous êtes esprit. En Dieu est votre vie, votre identité garantie. Son souvenir, où rien ne meurt, entretient votre souvenir. As-tu médité parfois la profondeur limpide et infinie de cette vieille parole de psaume ? Par sa lumière, nous voyons la lumière.

Si par notre aspect extérieur et visible nous vivons dans le temps et l'étendue, c'est-à-dire dans l'éphémère, par notre aspect intérieur, invisible, nous vivons en Dieu, dans l'éternel, par conséquent. A sa lumière, nous voyons la lumière. Aveugles et morts serions-nous, malgré la perfection de cet organisme, si rien de divin ne le pénétrait. Cette merveille ne serait qu'une lettre morte. Or, c'est un verbe vivant. Que la lettre s'efface, l'esprit subsiste. Ne t'embarrasse pas dans les ruines de ce qui est passé, comme passera la figure de ce monde ! Lève tes regards vers la lumière ! Ils ne sont pas là, dans l'ombre et la poussière, ceux que tu pleures. Ils sont en Dieu, comme toi aussi ; par l'esprit qui t'anime, tu es en Dieu. Le lien n'est pas rompu.

Ne consens pas à leur néant ! Ceux qu'on aime ne meurent point. La tendresse qui les suit, devient, pour notre espérance, le pont jeté de ces bords mortels vers le rivage impérissable. Tu reverras tous ceux que tu as aimés. Tu les reconnaîtras. Les as-tu connus ici dans l'argile sous laquelle palpitait leur âme ? Non. Tu les connaissais uniquement par la forme et la vie imprégnée à cette argile. Et parfois tu soupirais de je ne sais quel mur de séparation entre eux et toi, les cherchant, et tenu à distance par ce qui n'était pas eux, tout en faisant partie d'eux, matériellement. Au grand revoir l'obstacle sera tombé. Plus rien de passager ne nous séparera. La soif d'union qui tourmente ici toute âme ferme et pure sera enfin apaisée. Ne te confonds pas avec ce qui n'est pas toi ! Connais-toi mieux ! Cet univers mécanique et tout ce qu'il contient, comparé à toi n'est qu'un symbole, une fragile similitude, où s'enveloppe une pensée immortelle. Saisis-toi dans ce que tu signifies ! car en cela tu demeures vraiment. Pleure ! tout ce qui est simplement et sincèrement humain est bon. Les larmes sont la rosée de cette fleur des cieux, nommée l'espérance. Pleure, mon fils, mais espère ; ose espérer ! De tous les courages c'est le plus beau. Tu ne l'auras jamais assez. On ne saurait trop attendre de Dieu. Toute attente sera infiniment dépassée. La plus pure clarté qui, pour nos âmes, éclaire l'au-delà, le pressentiment du plus heureux revoir, ne sont qu'une pauvre image, un lointain et pâle crépuscule en compa- raison de l'immortel matin.

— Oh ! merci, répète-le-moi, encore, toujours ! je suis le voyageur couvert de poussière ; tu es l'oasis. Je suis la soif ; tu es la source. Ne taris pas ! Loin de toi je doute ; près de toi je crois, et l'antique parole s'accomplit : mes brebis entendent ma voix ! »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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18/11/2022

Les deux sommeils

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« Assieds-toi près des berceaux où sommeille l'enfance !
Assieds-toi près de la couchette où dorment les morts !
Dans le berceau, l'avenir est couché, comme aux sillons la semence.
Une promesse est dans chaque tête bouclée. Autour d'elle, c'est comme un battement d'ailes : l'essaim des espérances prend son vol, et les rêves y murmurent, pareils aux abeilles sur la bruyère.
Un jour, tout aboutira à l'autre sommeil.

As-tu regardé les morts dormir ? Qui donc attendent-ils ?
Car ils attendent, et sur leurs lèvres fermées cet appel voltige :
"Les jours sont accomplis. Nous avons marché, lutté, souffert.
Où donc est Celui qui nous dira pourquoi..."

Les morts attendent Dieu...

Et maintenant, Seigneur, la parole est à toi. Tu sais ce que l'homme ignore. Tu sais ce que promet le berceau, ce que recouvre la tombe. En toi est notre espérance.
Si nous n'avions pas cette sécurité, le sourire des petits nous étreindrait le coeur. Il faudrait pleurer sur les berceaux plus encore que sur les tombes. »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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L'Esprit

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« Vivre n'est pas tout ; mourir moins encore.
L'essentiel est que l'Esprit transparaisse à travers la vie comme à travers la mort. »

Charles Wagner, L'ami - Dialogues intérieurs

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16/06/2022

3 ans de vide immense...

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Le 4 juin dernier, nous nous rendions, ma mère, mon fils et la maman de ma défunte épouse, au Baptême de mes petits-enfants, Milo et Elsa, organisé par leurs parents, ma fille Laura et son Compagnon Vincent, en la Paroisse Orthodoxe de Saint Sava, à Paris. Nous avions décidé de nous y rendre en Voiture Uber, les déplacements de la maman de ma défunte épouse étant plus difficiles que de par le passé. L'âge exige ses droits et nous rappelle combien notre passage ici-bas est tout aussi dérisoire que nos accomplissements et combien nous devons faire preuve de dévotion et d'abnégation pour prendre soin de nos ainés.
L'événement me rappelait également combien était vide mon existence depuis le 16 juin 2019 et la Naissance au Ciel de ma bien aimée, car si il manquait quelqu'un pour se tenir à mes côtés, c'était bien Irina, sa force, son amour inconditionnel et sa délicate affirmation.

Je me trompais. Elle était avec nous.

Irina n'était pas une fanatique irrationnelle de Cyndi Lauper, mais je me souviens qu'il y avait trois chansons de l'artiste en question qu'elle écoutait avec une délectation festive et joyeuse à la moindre occasion. Pour se filer la pêche, quand elle faisait du sport (et elle en faisait), quand elle était nostalgique de sa jeunesse et des années 80 (elle l'était parfois)... et pour me taquiner. Je me saisissais, en effet, de la moindre occasion où elle faisait surgir ces trois chansons dans les enceintes de notre chaîne Haute Fidélité pour la chambrer, faire le zouave ou me mettre à danser frénétiquement (moi qui suis une bille en danse), ce qui la faisait rire à s'en écrouler sur le canapé.

En nous installant dans le Uber, conduit par un brave antillais à l'accent coloré et à la politesse irréprochable, la Radio nous saisit de son émission : Radio Nostalgie. Et nous eûmes droit à la suite, comme par un heureux hasard (ben voyons... je ne crois pas au hasard dans de telles circonstances) non pas à une, non pas à deux, mais carrément aux trois chansons de Cyndi Lauper qu'Irina aimait...

Si ça ce n'est pas un signe... je ne sais pas ce que c'est... Car ça a aussitôt hurlé dans mon coeur : "Tu vois ? Je suis là avec vous. Pour nos enfants et nos petits-enfants. Ne t'inquiète pas. D'ailleurs tu t'inquiètes trop. Il y a plein de choses que tu ne fais pas comme il faut. Tu traînes la jambe. Tu peux mieux faire. Bouge. Tu n'es pas seul. Ecoute les paroles des chansons."

Je me suis concentré sur les paroles de ces trois chansons de Cyndi Lauper. Les trois seules de l'artiste qu'Irina écoutait de son vivant à fond la caisse, dont je n'avais jamais calculé les mots énoncés auparavant. Et je me suis mis à pleurer à l'arrière de la voiture comme un gosse perdu tellement chaque mot m'atteignait avec une dimension que je ne soupçonnais pas.

Il y a plein de choses que je dois changer dans ma vie. Je sais que je suis un naze. Je fais de mon mieux, pécheur et indigne que je suis. Et Dieu qui sonde les coeurs et les reins sait... il sait même ce que j'ignore... il me connaît mieux que moi-même.

Trois années de vide dans mon existence. Et trois années que tu m'accompagnes et nous accompagnes dans ce mystère qu'est la Vie par-delà la Mort d'une façon que nous ne soupçonnons même pas.

 

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14/06/2022

Et si la mort n'existait pas ?

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16/06/2021

2 ans...

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 Il n'est pas un jour sans que tu ne sois présente dans la moindre fibre, la moindre parcelle de mon être...

 



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16/06/2020

Un an...

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Irina... Cette complicité acquise après bien des épreuves qui auraient fait éclater n'importe quel autre couple... Un jour tu m'avais dit : "Ensemble pour le meilleur et pour le pire, nous on l'a vécu, on y a survécu même, nous sommes passés au travers des gouttes... Nous étions trempés jusqu'aux os... mais on s'est essuyé mutuellement et nous avons appris à nous aimer vraiment"...

Oui... avec la bonne distanciation, le respect, un désir jamais éteint, toujours présent, mais inondé de tendresse...

Une année de ton absence m'a vidé de presque tout...

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16 Juin 2019...

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Un an que tu es née au Ciel,
Tendresse de mon coeur.
En ma bouche il n'y a ni lait ni miel,
Ni la moindre saveur.
Les jours se suivent et se ressemblent :
C'est une cohorte crépusculaire.
Mes joies sont vaines et mes mots tremblent
En mon âme atrabilaire.

Comédie oblige je traverse le jour,
Comme un fantôme qui esquive,
Tu es vivante, mon bel amour
Et je suis mort, à la dérive.
La joie que tu me donnais s'est éteinte,
Ma seule lumière est cette bougie
Qui brûle comme la seule étreinte
Que je puisse te donner dans ma nuit.

Je prie pour toi, amour, prie pour moi,
Je t'en supplie viens-moi en aide.
Ballotté, livide et aux abois,
Mon existence est bien laide.
Mes cent souvenirs sont des dagues
Qui quotidiennement m'anéantissent.
Hors le sommeil ma vie est une blague
Et mon Royaume est un abysse.

 



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16/06/2019

Deuil

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Ma tendre épouse, Irina, est décédée cette nuit à 00h53.

Durant 1 an et demi elle s’est courageusement battue contre le crabe qui l’a dévoré doucement mais sûrement malgré toute sa ténacité et tout son courage pour tenir tête à la maladie. Cancer du poumon métastasé au cerveau en premier lieu, au foie ensuite... et probablement un peu partout après l’arrêt des traitements, lorsque le médecin m’a dit qu’il n’y avait plus rien à faire et que cette optique semblait la soulager tellement les traitements l’avaient vieillie et amoindrie en l’espace de quelques mois. Elle en avait assez et avait décidé de baisser les bras... même face à des traitements alternatifs que nous avons tenté jusqu’au bout mais que son épuisement ne lui a pas permis de prendre dans les règles.

Tout cela je l’ai tu en ces lieux, par pudeur et par retenue. Je ne voulais pas me faire plaindre, ni attirer des énergies tristes en direction de notre combat qui était déjà assez difficile comme ça.

Elle me laisse vide et désemparé, ravagé par la douleur… et nos beaux enfants le sont autant que moi. Ils ont perdu une maman qui les aimait à la folie, j’ai perdu la chair de ma chair, le souffle de mon souffle, ma compagne, mon amie, ma confidente à laquelle je pouvais tout dire, ne rien cacher. Nous partagions absolument tout. Elle savait être une amie pleine d’attention avec une réelle qualité d’écoute. Tout l’intéressait. Tout l’animait… du rire jusqu’à la révolte. Durant 34 années nous avons traversé quelques bourrasques… mais chacune d’entre elles fut abrégée par un Amour inconditionnel. Sa tendresse n’avait d’égal que sa beauté et sa dévotion. C’était une femme libre qui ne supportait pas les féministes. Elle savait se lever tôt et se mettre à l’ouvrage. Elle a fait ma gloire et mon bonheur et a rempli mon coeur de miel. J’aurais donné ma vie pour qu’elle conserve la sienne. Sans hésiter. Mais la Providence Divine en a décidé autrement et je ne sais pas, encore, ce qu’elle a voulu nous dire.

Elle avait la Foi, mais ces derniers temps celle-ci la rendait amère… et son parcours spirituel a été difficile, plein d’aléas et de chutes. Hier soir cependant, mon instinct m’a fait lui demander si elle voulait voir un prêtre. Orthodoxe ou Catholique. Selon son bon vouloir. La Catholicité, dont elle avait reçu le baptême dans son enfance, ne l’enchantait plus… et elle n’était pas assez rigide pour se joindre aux « tradis ». L’Orthodoxie lui parlait et la touchait, mais elle n’a pas eu le temps d’approfondir le courant qui est le mien, malgré un beau dialogue entamé avec mon prêtre et confesseur qui était venu la voir à la maison. Elle a opté pour un prêtre Catholique que je suis allé chercher aussitôt. Un brave africain, doux, au regard tendre et au verbe fleuri qui est venu à la maison un peu après 19h00. Elle s’est confessée, a pris la communion, toutes deux pour la première fois depuis plus de 30 ans… 35 peut-être… et a reçu l’onction pour les malades. Aussitôt après, alors qu’elle était depuis de nombreuses semaines sous assistance respiratoire et que sa face était tordue de douleur, une quiétude et une paix angélique se sont installées sur son visage durant quelques instants avant que les soubresauts de sa respirations saccadée ne reprennent.

Entourée par moi, notre fils, ma mère et une de ses soeurs, elle a brusquement cessé de respirer, nous laissant anéantis et transpercés de douleur.

Elle n’a pas eu le temps de voir naître ses premiers petits enfants, car notre belle grande fille attend des jumeaux qui doivent naître dans les semaines qui viennent. Je n’entendrais pas dans notre vie familiale les cris de « Mamie ! Mamie ! » avec des petits bras tendus vers elle. Mais ses petits enfants la connaîtront et de là où elle est je sais que par ses prières elle veillera sur eux.

Mon Amour, prépare-moi une place… nous nous retrouverons un jour. Je t’aime.

Irina - 30/11/1963 - 16/06/2019

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24/06/2016

Une suite d'expériences unique en son genre

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et

 

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« Car la vie de quelqu'un, même la plus humble, est un déroulement inédit et original d'une suite d'expériences unique en son genre. Le témoin ne peut donc juger qu'à la condition de rester témoin jusqu'au bout. Qui sait si la dernière minute ne viendra pas d'un seul coup dévaluer une vie apparemment honorable ou réhabiliter au contraire une vie exécrable ? »

Vladimir Jankélévitch, La Mort

 

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17/04/2014

Nous tendons à la mort, comme la flèche au but et nous ne le manquons jamais

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et

 

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« Nous tendons à la mort, comme la flèche au but et nous ne le manquons jamais, la mort est notre unique certitude et nous savons toujours que nous allons mourir, n'importe quand et n'importe où, n'importe la manière. Car la vie éternelle est un non-sens, l'éternité n'est pas la vie, la mort est le repos à quoi nous aspirons, vie et mort sont liées, ceux qui demandent autre chose réclament l'impossible et n'obtiendront que la fumée, leur récompense. »

Albert Caraco, Bréviaire du chaos

 

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19/03/2014

Singulière Extase

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Baudelaire par Gustave Courbet

« Mais la seconde blessure de son cœur d’enfant ne fut pas aussi facile à cicatriser. À son tour mourut, après un intervalle de quelques années heureuses, la chère, la noble Élisabeth, intelligence si noble et si précoce, qu’il lui semble toujours, quand il évoque son doux fantôme dans les ténèbres, voir autour de son vaste front une auréole ou une tiare de lumière. L’annonce de la fin prochaine de cette créature chérie, plus âgée que lui de deux ans, et qui avait pris déjà sur son esprit tant d’autorité, le remplit d’un désespoir indescriptible. Le jour qui suivit cette mort, comme la curiosité de la science n’avait pas encore violé cette dépouille si précieuse, il résolut de revoir sa sœur. "Dans les enfants, le chagrin a horreur de la lumière et fuit les regards humains." Aussi cette visite suprême devait-elle être secrète et sans témoins. Il était midi, et quand il entra dans la chambre, ses yeux ne rencontrèrent d’abord qu’une vaste fenêtre, toute grande ouverte, par laquelle un ardent soleil d’été précipitait toutes ses splendeurs. "La température était sèche, le ciel sans nuages ; les profondeurs azurées apparaissaient comme un type parfait de l’infini, et il n’était pas possible pour l’œil de contempler, ni pour le cœur de concevoir un symbole plus pathétique de la vie et de la gloire dans la vie."

Un grand malheur, un malheur irréparable qui nous frappe dans la belle saison de l’année, porte, dirait-on, un caractère plus funeste, plus sinistre. La mort, nous l’avons déjà remarqué, je crois, dans l’analyse des Confessions, nous affecte plus profondément sous le règne pompeux de l’été. "Il se produit alors une antithèse terrible entre la profusion tropicale de la vie extérieure et la noire stérilité du tombeau. Nos yeux voient l’été, et notre pensée hante la tombe ; la glorieuse clarté est autour de nous, et en nous sont les ténèbres. Et ces deux images, entrant en collision, se prêtent réciproquement une force exagérée." Mais pour l’enfant, qui sera plus tard un érudit plein d’esprit et d’imagination, pour l’auteur des "Confessions" et des "Suspiria", une autre raison que cet antagonisme avait déjà relié fortement l’image de l’été à l’idée de la mort, — raison tirée de rapports intimes entre les paysages et les événements dépeints dans les Saintes Écritures. "La plupart des pensées et des sentiments profonds nous viennent, non pas directement et dans leurs formes nues et abstraites, mais à travers des combinaisons compliquées d’objets concrets." Ainsi, la Bible, dont une jeune servante faisait la lecture aux enfants dans les longues et solennelles soirées d’hiver, avait fortement contribué à unir ces deux idées dans son imagination. Cette jeune fille, qui connaissait l’Orient, leur en expliquait les climats, ainsi que les nombreuses nuances des étés qui les composent. C’était sous un climat oriental, dans un de ces pays qui semblent gratifiés d’un été éternel, qu’un juste, qui était plus qu’un homme, avait subi sa passion. C’était évidemment en été que les disciples arrachaient les épis de blé. Le dimanche des Rameaux, "Palm Sunday", ne fournissait-il pas aussi un aliment à cette rêverie ? Sunday, ce jour du repos, image d’un repos plus profond, inaccessible au cœur de l’homme ; "palm", palme, un mot impliquant à la fois les pompes de la vie et celles de la nature estivale ! Le plus grand événement de Jérusalem était proche quand arriva le dimanche des Rameaux ; et le lieu de l’action, que cette fête rappelle, était voisin de Jérusalem. Jérusalem, qui a passé, comme Delphes, pour le nombril ou centre de la terre, peut au moins passer pour le centre de la mortalité. Car si c’est là que la Mort a été foulée aux pieds, c’est là aussi qu’elle a ouvert son plus sinistre cratère.

Ce fut donc en face d’un magnifique été débordant cruellement dans la chambre mortuaire, qu’il vint, pour la dernière fois, contempler les traits de la défunte chérie. Il avait entendu dire dans la maison que ses traits n’avaient pas été altérés par la mort. Le front était bien le même, mais les paupières glacées, les lèvres pâles, les mains roidies le frappèrent horriblement ; et pendant qu’immobile il la regardait, un vent solennel s’éleva et se mit à souffler violemment, "le vent le plus mélancolique, dit-il, que j’aie jamais entendu." Bien des fois, depuis lors, pendant les journées d’été, au moment où le soleil est le plus chaud, il a ouï s’élever le même vent, "enflant sa même voix profonde, solennelle, memnonienne, religieuse." C’est, ajoute-t-il, le seul symbole de l’éternité qu’il soit donné à l’oreille humaine de percevoir. Et trois fois dans sa vie il a entendu le même son, dans les mêmes circonstances, entre une fenêtre ouverte et le cadavre d’une personne morte un jour d’été.

Tout à coup, ses yeux, éblouis par l’éclat de la vie extérieure et comparant la pompe et la gloire des cieux avec la glace qui recouvrait le visage de la morte, eurent une étrange vision. Une galerie, une voûte sembla s’ouvrir à travers l’azur, — un chemin prolongé à l’infini. Et sur les vagues bleues son esprit s’éleva ; et ces vagues et son esprit se mirent à courir vers le trône de Dieu ; mais le trône rayait sans cesse devant son ardente poursuite. Dans cette singulière extase, il s’endormit ; et quand il reprit possession de lui-même, il se retrouva assis auprès du lit de sa sœur. Ainsi l’enfant solitaire, accablé par son premier chagrin, s’était envolé vers Dieu, le solitaire par excellence. Ainsi l’instinct, supérieur à toute philosophie, lui avait fait trouver dans un rêve céleste un soulagement momentané. Il crut alors entendre un pas dans l’escalier, et craignant, si on le surprenait dans cette chambre, qu’on ne voulût l’empêcher d’y revenir, il baisa à la hâte les lèvres de sa sœur et se retira avec précaution. Le jour suivant, les médecins vinrent pour examiner le cerveau ; il ignorait le but de leur visite, et, quelques heures après qu’ils se furent retirés, il essaya de se glisser de nouveau dans la chambre ; mais la porte était fermée et la clef avait été retirée. Il lui fut donc épargné de voir, déshonorés par les ravages de la science, les restes de celle dont il a pu ainsi garder intacte une image paisible, immobile et pure comme le marbre ou la glace.

Et puis vinrent les funérailles, nouvelle agonie ; la souffrance du trajet en voiture avec les indifférents qui causaient de matières tout à fait étrangères à sa douleur ; les terribles harmonies de l’orgue, et toute cette solennité chrétienne, trop écrasante pour un enfant, que les promesses d’une religion qui élevait sa sœur dans le ciel ne consolaient pas de l’avoir perdue sur la terre. À l’église on lui recommanda de tenir un mouchoir sur ses yeux. Avait-il donc besoin d’affecter une contenance funèbre et de jouer au pleureur, lui qui pouvait à peine se tenir sur ses jambes ? La lumière enflammait les vitraux coloriés où les apôtres et les saints étalaient leur gloire ; et, dans les jours qui suivirent, quand on le menait aux offices, ses yeux, fixés sur la partie non coloriée des vitraux, voyaient sans cesse les nuages floconneux du ciel se transformer en rideaux et en oreillers blancs, sur lesquels reposaient des têtes d’enfants, souffrants, pleurants, mourants. Ces lits peu à peu s’élevaient au ciel et remontaient vers le Dieu qui a tant aimé les enfants. Plus tard, longtemps après, trois passages du service funèbre, qu’il avait entendus certainement, mais qu’il n’avait peut-être pas écoutés ou qui avaient révolté sa douleur par leurs trop âpres consolations, se représentèrent à sa mémoire, avec leur sens mystérieux et profond, parlant de délivrance, de résurrection et d’éternité, et devinrent pour lui un thème fréquent de méditation. Mais, bien avant cette époque, il s’éprit pour la solitude de ce goût violent que montrent toutes les passions profondes, surtout celles qui ne veulent pas être consolées. Les vastes silences de la campagne, les étés criblés d’une lumière accablante, les après-midi brumeuses, le remplissaient d’une dangereuse volupté. Son œil s’égarait dans le ciel et dans le brouillard à la poursuite de quelque chose d’introuvable, il scrutait opiniâtrément les profondeurs bleues pour y découvrir une image chérie, à qui peut-être, par un privilége spécial, il avait été permis de se manifester une fois encore. C’est à mon très-grand regret que j’abrége la partie, excessivement longue, qui contient le récit de cette douleur profonde, sinueuse, sans issue, comme un labyrinthe. La nature entière y est invoquée, et chaque objet y devient à son tour représentatif de l’idée unique. Cette douleur, de temps a autre, fait pousser des fleurs lugubres et coquettes, à la fois tristes et riches ; ses accents funèbrement amoureux se transforment souvent en concetti. Le deuil lui-même n’a-t-il pas ses parures ? Et ce n’est pas seulement la sincérité de cet attendrissement qui émeut l’esprit ; il y a aussi pour le critique une jouissance singulière et nouvelle à voir s’épanouir ici cette mysticité ardente et délicate qui ne fleurit généralement que dans le jardin de l’Église romaine. — Enfin une époque arriva, où cette sensibilité morbide, se nourrissant exclusivement d’un souvenir, et ce goût immodéré de la solitude, pouvaient se transformer en un danger positif ; une de ces époques décisives, critiques, où l’âme désolée se dit : "Si ceux que nous aimons ne peuvent plus venir à nous, qui nous empêche d’aller à eux ?" où l’imagination, obsédée, fascinée, subit avec délices les sublimes attractions du tombeau. Heureusement l’âge était venu du travail et des distractions forcées. Il lui fallait endosser le premier harnais de la vie et se préparer aux études classiques. »

Charles Baudelaire, Un Mangeur d'Opium in Les paradis Artificiels


Thomas de Quincey

 

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09/09/2013

Les vieillards d'hier avaient la tristesse de laisser leur monde durer après eux

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« On ne peut parler de la mort que très simplement, car déployer de l'éloquence sur ce sujet-là ne ferait que prouver qu'on n'a pas pensé à ce dont on parle. L'idée de la mort apparaît nécessairement au-delà de toute idée sérieuse de la vie, comme la mer au fond d'un grand paysage. Elle a en chacun de nous un caractère différent selon notre propre nature, notre âge et le plus ou moins d'attache que nous gardons à la vie que les circonstances nous ont faite. Quand, dans mes premières réflexions ma propre fin me faisait horreur, et plus encore, je crois, la pensée que ceux que j'aimais auraient à mourir.

Plus tard, quand nous avons en effet connu toute la monstruosité de la mort par la fin de ceux que nous aimons, il nous devient aisé de lui donner beaucoup moins d'importance quand il ne s'agit plus que de nous même, et de la considérer alors soit avec indifférence, soit avec plus ou moins d'attrait. Pour moi, cet attrait naît en partie des circonstances présentes. Très convaincu que nous assistons à une chute immense de l'homme, et que des forces matérielles d'une puissance irrésistible travaillent, sans cesse et partout, à réduire à l'uniformité, à l'insignifiance, à la platitude, ces êtres humains qui se signalaient jadis par la fantaisie de tant de caractères divers, persuadés que l'homme laisse derrière lui les sommets de l'art, de l'héroïsme et de la sainteté, assuré que ma propre patrie est dans le passé, il doit me devenir beaucoup plus facile de quitter un monde qui n'a plus rien pour me retenir et où je n'aurai à regretter que la lumière. Les vieillards d'hier avaient la tristesse de laisser leur monde durer après eux. Une mélancolie plus subtile est réservée à quelques uns d'entre nous : c'est d'avoir vu leur monde finir avant eux. Il ne leur reste plus qu'à rejoindre ce grand cortège doré qui s'éloigne, et j'avoue que parfois j'ai un peu honte de tarder. »

Abel Bonnard

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11/07/2010

Mamie Aline est morte

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Mamie Aline est morte. Elle nous a quittés et nous restons là à nous souvenir. Il y a une semaine de ça nous étions accablés devant elle, alors que nous lui rendions visite, du côté de Dijon. Désarmés. Anéantis. Dans le mutisme sévère. A sa vue, dans son hospice, son petit corps décharné, brindille si fragile qu’une seule étreinte trop forte aurait brisé aussitôt, nous laissait sans voix. Cela faisait, mon Dieu, des années que je ne l’avais pas vue. Des soucis financiers, sans cesse, me désolaient de ne pouvoir me rendre plus souvent auprès d'elle, et nous privilégions, toujours, mon épouse et nos enfants pour qu'ils aillent lui donner un peu de présence et d'amour. Il y a une semaine, j'ai vu dans le regard d'Irina tous les reproches qu’elle se faisait à elle-même. Et dans le regard du père d'Irina qui nous avait emmenés dans sa voiture vers cette vision déchirante, ses regrets, ses absences, ses fautes son besoin de petit garçon : être pardonné par-delà ses 70 ans. Et j'ai vu, quant à moi, dans le regard de Mamie Aline l’ombre de ma grand-mère à moi, comme l’indication que tout cela n’est que la pente naturelle des choses qui apparaissent, s’épanouissent puis vont à leur effritement. Passé un certain temps, alors que nous sommes installés (façon de parler) dans la vie, nos parents et grands-parents, arrières grands-parents si nous avons la chance de les connaître, nous servent à apprendre à vieillir à notre tour. A ce sujet, Vladimir qui était avec nous n’en n'a pas loupé une miette. Après le deuil de ma grand-mère maternelle il savait déjà, mon grand garçon, que tout semble joué d’avance. A nous, ses parents, de lui faire comprendre que ça n’est pas si sinistrement simple. Il faut s’aimer, aimer et atteindre la cible. Comprendre ce qu’on peut. Si il y a de l’amour cela rend juste les choses un peu moins pénibles.

Cet aller-retour Dijon/Massy avec Irina, Vladimir et Jacques le papa d'Irina, m’avait laissé triste et cafardeux. Et eux aussi bien sûr. L’autoroute défilant dans nos yeux avait charrié des arbres, des champs, des panneaux indicateurs, des véhicules à foison et des myriades de pensées, de celles qui nous situent, nous font parcourir à nouveau quelques bouts de chemins épars que nous nous sommes tracés maladroitement ou parfois, aussi, en brillant, avec une certaine assurance, et nous étions là dans cette voiture filant sur la fournaise de l’asphalte à ruminer nos doutes ou à brandir nos certitudes, statufiés sur place.
Entre l’hospice et notre retour, un couscous avec Jean-Claude, Maryse, Eliane et Jean-Michel, préparé par ce dernier, notre fratrie familiale, nous avait mis du baume au cœur. Et champagne et vin aidant, pour célébrer nos retrouvailles, nous étions, pour quelques instants, devenus nostalgiques.

Le lendemain, je me souviens encore, le corps eut besoin de repos et l’estomac surtout, après tout ce que nous avions ingurgité lors du repas de la veille, dans la joie de nous retrouver mais avec les cœurs serrés en raison de Mamie, petit corps délicat au regard pétillant d’enfance et d’amour. Je songeais, en récupérant, au papa d'Irina ayant dit que sa mère semblait être dans son monde. C’est tout juste s’il n’avait pas dit à ce moment qu’elle était déjà un peu « auprès de Papa », ce papi qu'Irina a tant aimé et dont la mort alors qu'elle était tout juste adolescente, fut fondatrice.
Il est inutile de chercher à avoir une emprise sur le flot de la vie qui contient aussi la mort. Il faut juste parvenir à bien se laisser porter.

Finalement, le Lundi qui suivit, je reçu un coup de téléphone d'Irina, au travail, qui m'informa que Mamie avait été emmenée à l'hôpital ayant perdu conscience. Coma. Et plus personne ne semblait optimiste. Nous nous rapprochions de la frontière. Nouvelle étape. Irina était inondée de tristesse en même temps que de souvenirs. C'est que ce sont ses grands-parents qui l'ont élevée et ça pèse son poids cet amour que personne ne sera jamais capable de lui retirer, car c'est son trésor à elle, son héritage dont elle est fière et je dois dire que ça me l’avait fait l’aimer encore plus lorsque je l’ai rencontrée, puis suis tombé amoureux et ai vu combien elle savait conférer aux choses un prix et ces choses étaient à son coeur tellement précieuses que de prix elles n’en avaient pas. Mon Dieu, nous étions jeunes, mais tellement conscients de cela. Nous nous comprenions. Et les aléas de la vie ne sont jamais parvenus à briser cela. Et des hauts et des bas, nous en avons eus, vous pouvez me croire. Je sais que profondément en elle, dans un recoin secret de son âme, elle devait se dire que le calvaire de sa grand-mère se devait de cesser et que la seule issue serait la mort. Elle espérait juste que son départ se fasse naturellement et sans souffrance. Et nous l'espérions tous. Tard dans la nuit de Lundi à Mardi, le téléphone sonna : Mamie était morte.

La perte d’un être cher est une nouvelle pierre d’achoppement, un départ nouveau sur le chemin de la vie qui ne fait que se poursuivre. Nous devons y puiser un peu de notre future mort à nous. Rien ne s’arrête jamais. Tout trouve une résolution. Je songe au moine taoïste chinois Wu-Men qui écrivait vers 1228 : « Si tu te trouves tout en haut d’un mât de cent pieds, où iras-tu ? » C’est pour ceux qui pensent qu’ayant atteint un but ils sont arrivés au sommet des possibles. Wu-Men poursuit : « Être en haut d’un mât de cent pieds, c’est être entré sur la voie, mais ce n’est pas encore la chose réelle. Une fois au sommet du mât, il faut faire un pas de plus. »
Il n’y a rien à faire. Il faut juste laisser les choses se faire. Il est inutile de lutter. La nature est la nature. Epicure, sans le savoir, était très chinois quand il disait : « La vraie sagesse, la vraie supériorité ne se gagne pas en luttant mais en laissant les choses se faire d’elles-mêmes. » Il nous faut juste ordonner et organiser ce qui, à première vue, ressemble à un chaos, mais n’est que la loi de la nécessité. Il faut faire corps avec la voie. Epicure : « Les plantes qui résistent au vent se cassent, alors que les plantes souples survivent aux ouragans. » Lâcher prise ne veut pas dire que l’on se soumet aux lois écrites dans la fibre intime du réel, ni même que l’on se débarrasse des dangers et des difficultés inhérentes à ceux-ci. Lâcher prise signifie que l’on ne s’en empare pas, qu’on ne fait pas le faux démiurge. Pour ne pas subir et se soumettre, on se laisse emporter, ainsi les choses rentrent dans l’ordre. Venice, par exemple, n’a pas su mettre ces choses en pratique. Pas une seule fois en quelques 15 années d’existence. Cela nous aurait, pourtant, rendu beaucoup de services et nous aurait, à coup sûr, épargné nos nerfs.

Aimer véritablement, je l’ai dit maintes fois, ce n’est pas s’accrocher à l’autre comme les moules s’accrochent à la roche sous les bourrasques d’eau. Malheur à ceux qui veulent avoir une vie de moule. Aimer c’est aimanter et les aimants, chacun le sait, attirent puis repoussent. Il faut donc repousser l’autre si on constate qu’il a besoin de se nourrir de nous pour survivre. Je n’aime pas les vampires.
Si vous aimez, votre amour doit projeter les autres vers eux-mêmes, votre devoir est de les propulser vers le monde pour qu’ils fassent l’expérience de l’étonnement, l’expérience de ce qu’ils sont. Voilà la seule liberté, guère absolue, mais c’est une bénédiction, puisque nous sommes faits à l’image de Dieu il nous faut tendre vers cette perfection humaine. Être capable de passer 40 jours au désert, dans le jeûne et la prière… en souriant. Dans la confiance. Tchouang-Tseu affirme que pour devenir parfait il nous faut ignorer la perfection : là est la perfection véritable. Cela me fait songer à ces commentateurs bibliques qui affirment, eux, que Dieu peut connaître l’avenir individuel de chacun, mais qu’il s’en voile exprès l’accès car, étant un Dieu d’amour, il veut nous laisser libres de tendre vers la perfection, ou de tendre vers la déchéance.

« De qui es-tu le bien aimé ? ai-je demandé,
Toi qui es d’une beauté si insupportable ?
De moi-même, répondit-il,
Car je suis un et unique,
L’amour, l’amant et l’aimé,
Le miroir, la beauté, le regard. »

Fakhruddin Iraqi

De même que Dieu, se suffisant à lui-même, n’a fait le cosmos et la terre comme piédestal de sa Parole par l’intermédiaire d’une singulière création : l’être humain, l’Adam Kadmon ; que par pur geste d’amour gratuit, l’homme, si à son échelle humaine il parvenait à ce qu’exprime Fakhruddin Iraqi dans sa vision mystique, pourrait alors donner ce qu’il donne dans un pur acte d’amour.

Puis vint Jeudi. De nouveau départ vers Dijon. Pour accompagner Mamie vers son dernier repos, comme le dit l'expression.

Irina effondrée, devant le petit cadavre de Mamie Aline placé en son cercueil, de ne pouvoir la reconnaître, tellement la mort l’avait changée. Irina en larmes de ne pouvoir goûter une dernière fois, avec ses yeux, au doux visage familier et attendrissant qui lui a prodigué tant d’amour en l’élevant pour en faire la belle adulte que mon cœur n’a cessé d’aimer durant ces vingt-cinq dernières années. Que le temps nous pèse et que la mort est lourde.

Empédocle, Fragments :

« Ce sont des fous, et leur esprit est d’une bien petite envergure, ceux qui s’imaginent que quelque chose puisse naître sans avoir existé auparavant, ou que quelque chose puisse mourir et être totalement anéanti. Jamais le sage n’en viendra à penser que c’est seulement durant la vie (c’est-à-dire ce que nous appelons « vie ») que nous existons et que le bien et le mal nous affectent, alors que, avant la naissance et après la mort, nous ne serons rien. »

Voilà une bien surprenante intuition, n’est-ce pas ?

Dans la vie, nos échecs comme notre sommeil, nos maladies et douleurs diverses, la disparition d’animaux de compagnie tant aimés et chéris qui ont partagé bien de doux instants en notre compagnie, enfin la disparition de nos parents, de membres de notre famille aimés ou haïs, de membre de la fratrie et du cercle familial, devraient nous préparer à notre future mort. Et Mamie Aline nous l’aimions. Ma douleur toute personnelle, et celle d'Irina sans aucun doute, aura été de n’avoir pu la prendre avec nous pour lui donner l’amour qu’elle avait su nous donner au temps où elle se portait bien. Mais une situation financière désastreuse, l’impossibilité pour aucun d’entre nous d’arrêter de travailler pour cause de dettes et l’état de santé de Mamie qui nécessitait une surveillance quotidienne nous avait obligé à accepter sa mise à l’hospice. Oh ça n’était pas un sinistre mouroir, les trois fils de Mamie en concertation avec Maryse, un membre de la famille médecin, lui avait trouvé un endroit propre où le personnel semblait jeune et dynamique. Mais les années ont fait leur travail. Coupée de la maison à laquelle elle était attachée, celle-ci revendue pour payer l’hospice, malgré les visites de la famille et quelques escapades en week-end organisées pour sortir Mamie de sa nouvelle routine, le temps a eu raison d’elle comme il finira par avoir raison de nous.

Nous sommes à un âge, Irina et moi, où nous allons voir partir de plus en plus nos ainés, tous ces visages qui nous ont souris, ces mains qui nous ont caressés, ces voix qui nous ont réprimandés, ces êtres qui nous ont formés lorsque nous étions jeunes, vifs, chahuteurs et plein de désirs. Il nous faut considérer tout cela avec attention pour que l’idée de la mort se fasse moins redoutable. S’apprivoise-t-elle vraiment ? Guy de Maupassant dans Bel Ami« Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. (…) Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rêver, tout ce que nous faisons, c’est mourir. Vivre enfin, c’est mourir. »
Et puis ô légèreté vivifiante de Montaigne : « Qui a appris à mourir, il a désappris à servir. Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et contrainte. Il n’y a rien de mal en la vie pour celui qui a bien compris que la privation de la vie n’est pas mal. »
L’Ecclésiaste l’a scandé comme en une sorte de Mandala juif, repris par les chrétiens :  « Tout n’est que vanité. » Et le Christ nous invite à ne pas trop nous attrister au départ d’un être aimé car c’est, d’une part, inutile et, d’autre part, il faut être dans la confiance du Seigneur. Sénèque (les grecs et les romains sont indispensables) : « Qu’y a-t-il de pénible à retourner d’où l’on vient ? » Car « tu es poussière et tu retourneras à la poussière. » dit la Bible. Sénèque encore : « Il vivra mal, celui qui ne saura pas bien mourir. » Et même un être profondément nihiliste comme Michel Houellebecq affirme, dans un entretien donné à Nouvelles Clés n°20 durant l’hiver 1998 : « Il m’a toujours semblé, de manière irrationnelle mais motivante et forte, que la mort justifiait la vie. L’état dans lequel on se trouve à la mort — le possible apaisement de la haine, en fait — redéfinit rétrospectivement toute l’existence. Réussir sa mort est vraiment un but. »

Combien je méprise cette époque où l’on évite de regarder la mort et l’agonie bien en face. Le témoignage unique du Christ, par son agonie et sa mort, ne peut être regardé pour ce qu’il est en raison de sa souffrance. Dans un monde de bisounours qui s’émeuvent de la moindre écharde un film comme La Passion du Christ de Mel Gibson, passe, en effet, pour une agression cinématographique fasciste ! Et ne pouvant considérer avec attention la mise à mort du Christ, comment considérer l’essentiel : sa résurrection ?

Khalil Gibran dans Le Prophète :
« Si vous brûlez de voir l’esprit de la mort, ouvrez grand votre cœur dans le corps de la vie. Car la vie et la mort ne font qu’un, tout comme la rivière et la mer ne font qu’un. (…) Qu’est-ce donc que mourir si ce n’est s’offrir nu au vent et s’évaporer au soleil ? Et qu’est-ce donc que cesser de respirer si ce n’est se libérer du souffle de ses perpétuelles marées, afin de s’élever sans le poids de la chair et de s’exhaler à la recherche de Dieu ? »

Poursuivons encore un peu, avec Marc-Aurèle, Pensées : « Dusses-tu vivre trois mille ans et autant de fois dix mille ans, souviens-toi pourtant que personne ne perd une autre vie que celle qu’il vit, et qu’il n’en vit pas d’autre que celle qu’il perd. Donc le plus long et le plus court reviennent au même. Car le présent est égal pour tous, est donc égal aussi ce qui périt, et la perte apparaît ainsi comme instantanée, car on ne peut perdre ni le passé ni l’avenir, comment en effet pourrait-on vous enlever ce que nous ne possédez pas ? Il faut donc se souvenir de deux choses : l’une que toutes choses sont éternellement semblables et recommençantes, et qu’il n’importe pas qu’on voie les mêmes choses pendant cent ou deux cents ans ou pendant un temps infini, l’autre qu’on perd autant, que l’on soit très âgé ou que l’on meurt de suite : le présent est en effet la seule chose dont on peut être privé puisque c’est la seule chose qu’on possède, et que l’on ne perd pas ce que l’on n’a pas. (…) Quand on voit ce qui est maintenant, on a tout vu, et ce qui s’est passé depuis l’éternité, et ce qui se passera jusqu’à l’infini ; car tout est pareil en gros et en détail. »

C’est à se demander si l’exercice du pouvoir ne donne une considération de la globalité qui affine la conscience quant à la vanité de la vie. Je songe, bien entendu, au Roi Salomon et à l’Ecclésiaste. A se demander si l’Empereur Marc-Aurèle ne l’a lu lui-même. En tout cas, ce que dit là Marc-Aurèle a de fortes résonances avec Schopenhauer dans Le Monde comme volonté et comme représentation : « [ Avant de venir au monde ] j’étais toujours moi, tous ceux-là étaient moi. (…) En effet le substratum ou contenu, ou matière du présent, est toujours proprement le même. (…) Il n’y a qu’un présent et il est toujours proprement le même. (…) Il n’y a qu’un présent et il est toujours : car il est la forme unique de l’existence réelle. » Pour le dire en un mot, rien ne sert de tenter de s’emparer de quoi que ce soit, comme je le dis bien souvent. Il faut faire dans le laisser-faire et jouir plutôt que de souffrir car à chaque jour suffit sa peine. Il faut être dans l’acquiescement, l’acceptation. Le « oui » nietzschéen est très chrétien, contrairement aux idées reçues, et très taoïste. Seul ce « oui » ouvre à la liberté. Et la liberté se trouve couronnée lorsqu’on est capable de regarder la mort et sa mort en face. Et pour bien regarder la mort et sa mort en face, il faut, comme disait Ricoeur dans Temps et Récit III pouvoir examiner sa vie et faire, si je puis dire, constamment le ménage « pour une large part, une vie épurée, clarifiée, par les effets cathartiques des récits tant historiques que fictifs. » Dans un monde où la mémoire est remplacée par de minables commémorations et où l’Histoire ressemble plus à des bruits de chiottes aux relents révisionnistes, comment voulez-vous qu’un individu, ou, plus compliqué, toute une Nation, puisse faire des retours sur soi salutaires ? Chacun préfère danser sous les spots-lights et continuer de moisir, oublier les fantômes et les cadavres dans les armoires poussiéreuses. Pour appréhender la mort, il faut, déjà, être dans la logique de l’infini tournoyant. Ralph Waldo Emerson dans Essays, Spirituals Laws : « C’est le fini qui souffre. L’infini repose dans un calme souriant. »

Pour cela il faut parvenir à traverser nos limbes ici et maintenant, nos limbes de certitudes que nos fondation ont érigé autour de nous. Constante métamorphose et révolution toujours recommencée en soi-même. Constante métamorphose ? Héraclite dans ses Fragments : « On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve. Ni toucher deux fois une substance périssable dans le même état, car elle se disperse et se réunit de nouveau par la promptitude et la rapidité de sa métamorphose : la matière, sans commencer ni finir, en même temps naît et meurt, survient et disparaît. » Ce qui renvoie aussi à Jean-Jacques Rousseau, que pourtant je n’apprécie pas du tout en d’autres circonstances, disons « utopiques », a ce même sentiment dans Les Rêveries du promeneur solitaire : « Tout est dans un flux continuel sur la terre : rien n’y garde une forme constante et arrêtée, et nos affections qui s’attachent aux choses extérieures passent et changent nécessairement comme elles. » Et les initiés connaissent bien cette assertion très sérieuse d’Albert Einstein que le commun des mortels ne comprend que trop peu : « Pour nous autres, physiciens convaincus, la distinction entre passé, présent et futur n’est qu’une illusion, même si elle est tenace. »

Ici et maintenant. Et infini. La mort, ce détail douloureux.

Mamie Aline, catholique pratiquante, est morte dans sa 89e année. Aussi loin que je me souvienne elle a toujours affirmé qu’elle souhaiterait être confiée au feu et ses cendres placées auprès de son époux décédé en 1977. Nous nous sommes donc pliés à sa volonté. En comité réduit, une petite douzaine de personnes, nous avons accompagné Mamie vers le dénouement qui nous attend tous, des souvenirs pleins nos larmes, le cœur étreint par la douleur, dans la pudeur de l’absence de mots, des silences hurlant dans nos gorges muettes, à tourner sur nous-mêmes dans une chaleur caniculaire. La mort, ce détail douloureux, n’empêche pas la vie, grouillante, de poursuivre sa course, flamboyante bénédiction ou néfaste malédiction, qui pousse les hommes à prier dans les temples ou, plus généralement, à massacrer leurs semblables.
Lorsque la déchéance s'empare de nos défunts, dans les dernières années de leur existence, les vidant de leur substance, de leur force pendant quelques courtes années qui nous paraissaient bien souvent être des décennies, leur mort, bien que douloureuse, toujours douloureuse, est vécue dans ces cas-là comme une délivrance. Et puis les cérémonies clôturées quant à la dépouille, lorsqu'on se retrouve chez soi, vidé, anéanti par la douleur, hantés par mille souvenirs on se surprend bien vite à éprouver une forte appétence pour la vie, à respirer simplement l'air et à trouver remarquable qu'il vienne gonfler nos poumons, à regarder le ciel, même s'il est gris et que des nuages menacent, à savourer de caresser un chat qui quelques jours auparavant nous laissait presque indifférent, à prendre plaisir à un bon vin encore plus intensément que d'habitude... et je me dis, moi, que c'est signe de santé et que le défunt ou la défunte nous y invite, que c'est ce qu'il ou elle aurait souhaité, que notre vie se poursuive et que nous parvenions juste, à l'occasion, à nous souvenir de lui ou d'elle et des instants privilégiés que nous avons eu ensemble, jadis, quand la Vie nous parait encore de nos meilleurs atouts.

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10/01/2010

Mort !

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Mort !

Les Armes ont tu leurs ordres en attendant
De vibrer à nouveau dans des mains admirables
Ou scélérates, et, tristes, le bras pendant,
Nous allons, mal rêveurs, dans le vague des Fables.

Les Armes ont tu leurs ordres qu'on attendait
Même chez les rêveurs mensongers que nous sommes,
Honteux de notre bras qui pendait et tardait,
Et nous allons, désappointés, parmi les hommes.

Armes, vibrez ! mains admirables, prenez-les,
Mains scélérates à défaut des admirables !
Prenez-les donc et faites signe aux En-allés
Dans les fables plus incertaines que les sables.

Tirez du rêve notre exode, voulez-vous ?
Nous mourons d'être ainsi languides, presque infâmes !
Armes, parlez ! Vos ordres vont être pour nous
La vie enfin fleurie au bout, s'il faut, des lames.

La mort que nous aimons, que nous eûmes toujours
Pour but de ce chemin où prospèrent la ronce
Et l'ortie, ô la mort sans plus ces émois lourds,
Délicieuse et dont la victoire est l'annonce !


- Décembre 1895 -

Paul Verlaine

 

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06/09/2008

Mourir comme il faut...

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Être au clair avec mes proches, mes semblables. Paix. L’agonie est un combat dit la langue grecque. C’est bien quand on a fini de vivre que l’on lâche l’affaire pour mourir. Ce n’est pas une lapalissade. C’est ainsi. Le chemin de l’homme est parsemé d’embuches pour lui interdire de mourir comme il faut.

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