10/12/2016
Dans une France anonyme
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« – Tu crois vraiment que la France va mourir ? s’écria Gilles.
– Mais oui, la France meurt. Viens au village, à côté, je vais te montrer maison par maison, famille par famille, la mort de la France, viens. […]
C’était une charmante chapelle du XVe siècle, d’un jet sûr. À l’intérieur, il y avait quelques bons vieux bancs de chêne et toute l’ignoble pacotille du catholicisme décadent, Vierge fabriquée à la grosse, Saint-Joseph, Sacré-Cœur de Jésus, Jeanne d’Arc de patronage, drapeau français.
Sur un mur, la longue liste des morts de la guerre, plus grande que le village.
– Voilà tous ceux que les gens de Paris ont tués avec leur sale politique. Le député d’ici, c’est le comte de Falcourt, il pense exactement comme un radical-socialiste. La cervelle aussi vidée.
Ils étaient seuls dans l’église. Le vieux s’était incliné devant l’autel, faisait un grand signe de croix. Gilles se dit : “De ma part, ce serait une simagrée.”
Le vieux l’amena sur le côté de l’autel. Il lui montra une dalle funéraire. Deux géants, homme et femme, les seigneurs de Hoqueville. Deux longues silhouettes incisées dans la pierre.
– La vieille race noroise, noyée aujourd’hui dans une France anonyme.
– Mais après que ceux-ci étaient tombés en décadence, dès le XIIIe siècle, il y a eu des renaissances magnifiques.
– Oui, mais tant va la cruche à l’eau… C’est la source même de la vie qui est atteinte. Plus de foutre, ou il va au bidet. Les Français n’ont plus qu’une passion, de crever… Une jeune fermière me disait, l’autre jour : “Pensez-vous que je ferai des enfants ? Pour quoi faire ?” Si tu avais vu son regard. Une opacité, la taie du néant. Ils ont tout oublié, ils ne savent plus rien. Ils sont entièrement sortis du monde animal et du monde humain.
– Ils sont comme les Parisiens.
– La terre ne leur dit plus rien. Ils ne sentent plus la terre, ils ne l’aiment plus. Ils ont honte d’être restés ici. La seule excuse à leurs yeux, c’est qu’ils gagnent pas mal d’argent.
– Jusqu’où ça ira-t-il ?
– Ils seront envahis. Ils sont déjà envahis. Des Polonais, des Tchécoslovaques, des bicots. Mais leur vice dévore tout de suite l’envahisseur.
– Il y a une puissance de syphilis dans la France. »
Pierre Drieu la Rochelle, Gilles
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Terreur sur la République...
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09/12/2016
Une cuisine bourgeoise
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« Tu avais en toi une image de la vie, une croyance, une exigence, tu étais prêt à des exploits, des souffrances, des sacrifices ; et puis, peu à peu, tu remarquas que le monde n'exigeait de toi aucun exploit et aucun sacrifice, que la vie n'est pas une épopée héroïque avec des rôles en vedette, mais une cuisine bourgeoise, où l'on se contente de boire et de manger, de prendre un café, de tricoter des bas, de jouer aux cartes et d'écouter la T.S.F. Et celui qui veut et qui a en lui autre chose : l'héroïque, le beau, l'adoration des grands poètes, la piété pour les saints, n'est qu'un imbécile et un don Quichotte. »
Herman Hesse, Le loup des Steppes
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