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21/10/2020

"À bas Nancy ! Vive Paris !" Cri de trahison, détestable reniement !

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

 

« — Sturel ! — déclama Mouchefrin, — par le nom puissant de Bouteiller ! (qui nous ait en sa protection !) passe-moi ton porte-monnaie et je te ferai voir un bel exemple de maîtrise ; tu vas connaître le plus victorieux instrument de domination… Messieurs, pour fêter Rœmerspacher de Nomény, qui dès ce jour est Rœmerspacher de Paris, nous vous offrons un rhum de clôture. Crions tous : "À bas Nancy ! Vive Paris !"

Cri de trahison, détestable reniement ! Oui, ce mauvais garçon a parfaitement résumé cette première partie de leurs vies : et l’ingratitude qu’il manifeste, sans une protestation de ses camarades, a été voulue, nécessitée par Bouteiller. "À bas Nancy ! Vive Paris !" traduit ce besoin de se jeter à l’eau qui anime tous ces jeunes gens. Le fausset des filles, la verve irréfléchie des bohêmes, le grognement des pochards composent — et c’est convenance — l’odieuse clameur d’approbation qui accueille le toast et à laquelle le patron met fin en expulsant tout le monde.

Il faisait un petit jour froid, et le vent, aidé par les balais de la voirie, soulevait une sale poussière. Nos jeunes Lorrains, passant d’une telle chaleur dans cette aube glacée, sentent peut-être leur corps souillé de poussière et mal à l’aise sous des vêtements fripés, mais ces impressions dont, à trente-cinq ans, ils s’attristeraient, ne modifient rien de leur joie sans cause, de leur entrain. À l’heure où dorment épuisés les viveurs réputés, les favoris de la beauté, ces enfants dont nul amour ne se soucie ont l’haleine fraîche et le regard ardent ; et rien qu’un bain les ferait quand même jolis et fleurs pour les femmes.

Le gros de la troupe empoigna la valise de Rœmerspacher, et, avec mille bouffonneries auxquelles leur jeunesse et leur ébriété pouvaient seules donner du charme, ils allèrent l’installer à l’hôtel Cujas, en face du fameux hôtel Saint-Quentin qu’on a démoli avec la rue des Grés en 1888, et qu’habitèrent successivement Jean-Jacques Rousseau, Balzac et ses héros, George Sand, Vallès. Tous personnages dont la sensibilité préparait les chemins à ces jeunes analystes.

Rœmerspacher garda une fille de la bande, ce dont il eût été gêné devant Sturel. Celui-ci, remontant le Luxembourg vers sa rue Sainte-Beuve, tenait toujours la Nouvelle Héloïse sous le bras. En route, il s’aperçut que Mouchefrin avait conservé son porte-monnaie avec deux cents francs, et qu’il ignorait son adresse. »

Maurice Barrès, Les déracinés

 

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