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04/02/2009

Léon Bloy, "Le Salut par les Juifs"

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

Excusez-moi, mais il est une suite de jours qui donnent la conscience d’un rouleau compresseur que l’on est, par la grâce de Dieu, ou par la grâce de l’instant, à se sentir saisi d’une conscience si haute, d’une compréhension globale claire, dense, holoscopique qui en arrive à écraser toutes les postures idéologiques, toutes les crispations émotionnelles, tous les discours de gauche, de droite, réactionnaires ou conservateurs qui envahissent en une singulière guerre de tranchées le réseau virtuel de la toile du net. Amusement de pacotilles. Vient l’instant où l’on ouvre un livre. Retour au geste simple. Le Salut par les juifs, par exemple, de Léon Bloy. On se confronte alors, on se mesure au déséquilibre ! On cherche le chemin de la compréhension dans le déluge de mots, l’explosion de souffre, emplie de préjugés, mais des préjugés orientés par une volonté de savoir de connaître, de comprendre. D’être la dialectique enclenchée, le sens rhétorique promulgué par la plume acide, indique comme une issue hors le préjugé lui-même. Il y a de la justification, aussi, le désir de faire sens, de faire lien, entre l’ancienne opinion et la nouvelle clairvoyance. Construire une structure qui tienne debout de part en part. anéantir les contradictions. La description du juif sale, misérable tant spirituellement que physiquement, socialement, politiquement, devant de longues lignes qui indiquent l’aveuglement des idées toutes faites, les références aux œuvres précédentes, que Léon refuse de remettre en cause, n’indiquent que l’état d’un palier de la connaissance, de la réalisation d’une lecture. Saint-Paul, depuis, lui a ouvert les yeux.

« Salus ex judaeis est. Le Salut vient des juifs (Salux EX Judaeis, quia Salus A Judaeis. Réponse à un tout petit docteur qui contestait ma traduction).
J’ai perdu quelques heures précieuses de ma vie à lire, comme tant d’autres infortunés, les élucubrations antijuives de M. Drumont, et je ne me souviens pas qu’il ait cité cette parole simple et formidable de Notre Seigneur Jésus-Christ, rapportée par saint Jean au chapitre quatrième de son Evangile.
Si ce journaliste copieux daigna jamais s’enquérir des Textes sacrés et s’il est en mesure de démontrer, pour ma confusion, que ce précepte considérable est mentionné dans tel ou tel des volumineux pamphlets dont il assomme régulièrement les peuples chrétiens, — il faut dire alors que cet hommage au Livre saint est si merveilleusement aphone, pénombral, rapide et discret qu’il est presque impossible de l’apercevoir et tout à fait impossible d’en être frappé.
C’est quelque chose pourtant, ce témoignage du Fils de Dieu !
Je sais bien que saint Augustin en a terriblement affaibli la portée dans sa pauvre exégèse des « deux murailles », qu’il est loisible de consulter au quinzième traité du commentaire fameux de ce vénérable Docteur.
Mais on était alors au Ve siècle ; la Réprobation d’Israël avait commencé depuis l’exorbitante catastrophe de Jérusalem ; l’espèce humaine, à moitié conquise déjà par les successeurs de Pierre, avait irrémédiablement froncé son cœur et s’était endurcie pour toute la durée des temps contre la descendance exécrée des bourreaux du Christ.
L’effrayante brûlure des premières Persécutions se cicatrisait enfin et les grandes semailles du sang des Martyrs étaient accomplies.
La pédagogie du Surnaturel tombait aux théologiens, aux explicateurs, aux philosophes désabusés, et la gênante assertion de Celui qui fut appelé le Fils du Tonnerre pouvait être écartée respectueusement, sans aucun danger de scandale ou de simple étonnement pour une Eglise toute rouge qui vagissait encore dans son berceau.
Cette parole demeure cependant. Elle subsiste, malgré tout, en sa force mystérieuse, et ressemble à quelque gemme très sombre, d’un troublant éclat, rendue plus inestimable par l’inattention téméraire des économes ou des contrôleurs de la Foi.

Le Salut vient des Juifs ! Texte confondant qui nous met furieusement loin de M. Drumont ! A Dieu ne plaise que je lui déclare la guerre, à ce triomphant ! La lutte, vraiment, serait par trop inégale.
Le pamphlétaire de la France Juive peut se vanter d’avoir trouvé le bon coin et le bon endroit. Considérant ave une profonde sagesse et le sang-froid d’un chef subtil que le caillou philosophal de l’entregent consiste à donner précisément aux ventres humains la glandée dont ils raffolent, il inventa contre les Juifs la volcanique et pertinace revendication des pièces de cent sous. C’était l’infaillible secret de tout dompter, de tout enfoncer et de jucher son individu sur les crêtes les plus altissimes.
Dire au passant, fût-ce le plus minable récipiendaire au pourrissoir des désespérés : — Ces perfides Hébreux, qui t’éclaboussent, t’ont volé tout ton argent ; reprends-le donc, ô Egyptien ! crève-leur la peau, si tu as du cœur, et poursuis-les dans la mer Rouge.
Ah ! dire cela perpétuellement, dire cela partout, le beugler sans trêve dans des livres ou dans des journaux, se battre même quelquefois pour que cela retentisse plus noblement au delà des monts et des fleuves ! mais surtout, oh ! surtout, ne jamais parler d’autre chose, — voilà la recette et l’arcane le medium et le retentum de la balistique du grand succès. Qui donc, ô mon Dieu ! résisterait à cela ?
Ajoutons que ce grand homme revendiquait au nom du Catholicisme. Or, tout le monde connaît le désintéressement sublime des catholiques actuels leur mépris incassable pour les spéculations ou les manigances financières et le détachement céleste qu’ils arborent. J’ai fait des livres, moi-même, en vue d’exprimer l’admiration presque douloureuse dont me saturent ces écoliers de la charité divine et je sens bien qu’il m’eût été impossible de m’en empêcher.
Il est donc aisé de concevoir l’impétuosité de leur zèle, quand les tripotantes mains de l’Antisémite vinrent chatouiller en eux le pressentiment de la Justice. On peut même dire qu’en cette occasion, les écailles tombèrent d’un grand nombre d’yeux et le généreux Drumont apparut l’apôtre des tièdes qui ne savaient pas que la religion fût si profitable. »

Le Salut par les Juifs, Léon Bloy

On est face à l’écriture d’un homme qui voit poindre dès 1892 la haine générale qui vient encercler et nourrir l’infortune sanglante de l’éternel bouc émissaire qui tombe toujours à pic. Mais Dieu veille :

« L’Histoire des Juifs barre l’histoire du genre humain comme une digue barre un fleuve, pour en élever le niveau. Ils sont immobiles à jamais et tout ce qu’on peut faire c’est de les franchir en bondissant avec plus ou moins de fracas, sans aucun espoir de les démolir.
On l’a suffisamment essayé, n’est-ce pas ? et l’expérience d’une soixantaine de générations est irrécusable. Des maîtres à qui rien ne résistait entreprirent de les effacer. Des multitudes inconsolables de l’Affront du Dieu vivant se ruèrent à leur tuerie. La Vigne symbolique du Testament de Rédemption fut infatigablement sarclée de ces parasites vénéneux ; et ce peuple disséminé dans vingt peuples, sous la tutelle sans merci de plusieurs millions de princes chrétiens, accomplit, tout le long des temps, son destin de fer qui consistait simplement à ne pas mourir, à préserver toujours et partout, dans les rafales ou dans les cyclones, la poignée de boue merveilleuse dont il est parlé dans le saint Livre et qu’il croit être le Feu divin (Machabées, Livres II, ch. 1.)
Cette nuque de désobéissants et de perfides, que Moïse trouvait si dure, a fatigué la fureur des hommes comme une enclume d’un métal puissant qui userait tous les marteaux. L’épée de la Chevalerie s’y est ébréchée et le sabre finement trempé du chef musulman s’y est rompu aussi bien que le bâton de la populace.
Il est donc bien démontré que rien n’est à faire, et, considérant ce que Dieu supporte, il convient, assurément, à des âmes religieuses de se demander une bonne fois, sans présomption ni rage imbécile et face à face avec les Ténèbres, si quelque mystère infiniment adorable ne se cache pas, après tout, sous les espèces de l’ignominie sans rivale du Peuple Orphelin condamné dans toutes les assises de l’Espérance, mais qui, peut-être, au jour marqué, ne sera pas trouvé sans pourvoi. »

Le Salut par les Juifs, Léon Bloy

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Commentaires

J'ai eu peur à un moment, et puis j'ai lu jusqu'au bout.

Félicitations pour votre blog.

Écrit par : fAÎENCE | 04/02/2009

Bonjour!
Je ne connaissais pas du tout ce texte, qui me semble assez révélateur de la période.
Il est curieux de remarquer que l'émergence de l'antisémitisme (1re occurrence 1860, puis conceptualisation 187) marque aussi une mutation du paradigme "juif" dans la littérature et les essais, en france et en allemagne-autriche (je ne sais pas trop pour d'autres régions)
L'association de la judéité à des éléments non seulement défavorisant, mais calomnieux (saleté, maladie, perversité...) est récurrente et sert d'arrière-plan à léon bloy.
On peut s'interroger à nouveau sur les difficultés pour ne pas dire l'impossibilité à lutter contre les haines et xénophobies sans entrer dans le terrain des xénophobes...

Écrit par : sacha | 08/05/2009

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