Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

05/04/2011

C'est ça la fraternité imbécile et tendre des hommes

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

« Car on est toujours le Pylade de quelque Achille, le Roland d'un Olivier quand on est jeune et ça dure longtemps cette jeunesse entre les hommes, c'est interminable, ça n'en finit pas de s'étirer parce qu'on ne veut pas qu'il meure ce temps des confidences et des fraternités ou l'on allait du même pas, ou l'on bavardait pendant des jours et des nuits de la même voix, ou l'on partageait tout, et même, ça arrivait, les filles. Ou l'on avait comme dit la chanson, un camarade. Et toujours pas de Carbo, de copain, de frère pour lui demander, sans en avoir l'air, d'une voix neutre, comme ça, en buvant un verre, ou en marchant épaule contre épaule, dans la rue : "Drôle d'histoire, non? Qu'est-ce que tu aurais fait à ma place?". A peu près sûr que Carbo aurait répondu par une plaisanterie et par une plaisanterie certainement énorme. On demande un conseil à son meilleur copain, quand on a l'âge d'un Valentin, en essayant tout de même de l'épater un peu, et l'autre évidemment, nous répond par une plaisanterie, un rire, un calembour. Ce n'est pas qu'il se dérobe, non, mais plutôt parce que ça fait partie d'un jeu très ancien et qu'il y a aussi dans l'énormité même que le copain nous balance, à froid ou en riant, peut-être une pudeur. Mais c'est très bien ainsi. Ca remet les pieds sur terre. Ca douche l'émotion et on se remet à être tranquillement un homme au lieu de s'envoler - ô pigeon vole et jeunesse aussi ! - en se prenant au moins pour un albatros. C'est à coup de bêtises échangées qu'on croit devenir de vrais hommes, c'est à dire rester des enfants. Et cela s'appelle la virilité alors que son vrai nom est si souvent la tendresse. Et si Valentin avait été blessé, et si on avait dû l'amputer d'une jambe, et s'il avait appris cette rude nouvelle à Carbo, celui-ci aurait écrit : "j'espère ma vieille que tu m'a gardé les ongles". Et voilà. Et c'est ça la fraternité imbécile et tendre des hommes. Mais personne ne le sait parce que les adolescents à la voix qui mue à voix basse, parce que les soldats, parce que les joueurs de boules qui s'engueulent sous les platannes, parce que les pêcheurs à la ligne qui se racontent leur dernière prise à gestes fabuleux, parce que les carabins, parce que les grands mômes qui s'envoient des tannées dans les salles de boxe, parce que les nemrod du café du commerce et des voyageurs, parce que Ballu, Ramur, Pérou, le lieutenant Valentin et même N'Doulou, parce que personne ne livre le secret. Mais il y a , dit-on, des femmes douces et rusées qui parfois le devinent. Et les mères, toujours. »

Jean Cau, Mon lieutenant

06:35 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.