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13/02/2015

Glaive et charrue

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

« A première vue, il est facile de faire la distinction entre technologie salutaire et technologie néfaste ; il suffit, semble-t-il, de voir la fin propre de chaque outil technique. Ainsi, les charrues sont bonnes et les glaives sont mauvais. Avec l’avènement de l’ère messianique, dit l’Ancien Testament, les glaives seront fondus en socs de charrue. En traduisant cette comparaison dans le contexte de la technologie moderne, on dira que la bombe atomique est mauvaise tandis que les engrais chimiques sont bons, puisqu’ils aident à subvenir aux besoins nutritifs de l’humanité.

Cependant, on voit immédiatement que la technologie moderne nous enferme dans un dilemme irritant. Ses "charrues" à elle peuvent être, à long terme, aussi nuisibles que ses "glaives" ! (Et le "long terme" des effets cumulatifs est […] inhérent à la mise en œuvre de cette technologie). Mais alors, ce sont elles, les "charrues" salutaires, qui sont le véritable problème. Car, si on peut laisser le glaive au fourreau, on ne peut laisser les charrues dans la grange. Une guerre atomique totale aurait certes des conséquences effroyables ; or, bien qu’elle puisse se déclancher à tout moment et que cette possibilité pèse sur notre avenir comme un cauchemar, elle ne doit pas se produire nécessairement. En effet, l’écart salvateur entre potentialité et actualisation, entre la possession de l’outil et son emploi, est encore préservé dans ce cas – ce qui permet d’espérer que cet emploi pourra être évité (cette non-utilisation étant la fin paradoxale de la possession de cette technologie précise). Mais il y a là, par ailleurs, de nombreuses choses qui cachent sous leur apparence pacifique un potentiel de dangers apocalyptiques, et que nous somme pourtant obligés d’accomplir, tout simplement pour survivre. Pendant que le mauvais frère Caïn – la bombe – repose dans sa caverne, le bon frère Abel – le réacteur nucléaire pacifique – produit, sans susciter de drame, ses sédiments de poison pour les millénaires futurs. »

Hans JONAS, La technique moderne comme sujet de réflexion éthique

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