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17/04/2011

Portes fermées

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

« On peut, certes, sans se risquer, assurer que l’homme est toujours le même. Il s’agit là de l’une de ces affirmations incontestables et insignifiantes qu’on laisse derrière soi, dès que l’on commence à penser. Il est bien vrai qu’en tout temps l’homme apporte à la vie les mêmes instincts. La seule affaire est de savoir ce que les hommes de chaque époque ont ajouté à ce fonds commun, et s’ils ont contenu et disciplinés ces instincts, ou s’ils se sont bornés à les laisser libres. Quoi qu’on pense de la société du moyen âge, on ne peut nier qu’elle n’ait été construite en hauteur. Qu’on voie s’y manifester avec vigueur les types les plus différents, cela même doit être compté à son avantage. Il existe, en effet, des rapports secrets entre toutes les puissantes façons d’exister. Elles s’appellent, se provoquent, se sollicitent. Alors même qu’elles semblent s’opposer, elles se répondent. Saint François montra toujours beaucoup de bienveillance pour les hommes dont le caractère était le plus éloigné du sien. Il en usait ainsi par affabilité naturelle, et sans se douter que s’il n’y avait pas eu ces guerriers, ces tyrans, ces bandits, peut-être lui-même n’aurait pas existé non plus. Ce n’est pas dans les époques de mollesse que se manifestent les plus purs types de douceur. Le monde moderne se croit violent mais il se vante, il n’est que grossier. Si la violence s’y produisait hardiment, peut-être verrait-on paraître des caractères opposés, pour lui donner la réplique. Encore faut-il observer que nous sommes aujourd’hui dans des conditions bien moins favorables que du temps de saint François. Nous vivons dans un monde tout matériel, où l’abus des grands mots cache l’absence de toute doctrine ; que la violence y prenne décidément l’avantage, elle risque d’y commander longtemps sans conteste, comme la seule force authentique que l’homme moderne soit prêt à reconnaître, au lieu qu’au XIIIe siècle, enveloppée et contenue de tous côtés par les idées qui régnaient, elle était réduite à tenir sa place dans l’ensemble des caractères, où il est bon qu’elle aussi existe et se manifeste.

Une seule chose menace les plus hautes expressions de la nature humaine, c’est une longue habitude de la médiocrité. La médiocrité croit tout permettre, elle croit même tout être, et elle ne s’aperçoit pas que, dans son morne climat, les plus nobles façons d’exister s’étiolent peu à peu. Il est curieux et presque plaisant qu’en un temps où on ne lui parle que de liberté, l’individu soit près de perdre la plus importante, qui est celle de ne pas vivre comme tout le monde. Il est évident qu’aujourd’hui la foule voit sans faveur et, autant qu’il dépend d’elle, cherche à empêcher des genres de vie qui ne sont pas conformes au sien. C’est ainsi que les ordres religieux sont à peine soufferts, parce que les principes sur lesquels ils se constituent bravent les préférences et les goûts de la multitude. Cet empire de la médiocrité va bien plus loin qu’on ne croit. Qu’un homme exceptionnel se présente, aussitôt le médecin et l’aliéniste ont l’œil sur lui et sont prêts à lui trouver ces dispositions maladives que seuls les gens médiocres ne présenteront jamais. L’homme moderne a pris toutes ses précautions contre le sublime. Il en était autrement au moyen âge ; les hommes y attendaient perpétuellement quelqu’un qui les dépassât. Cela les exposait à bien des erreurs et à bien des risques, mais il y avait des portes ouvertes là où, maintenant, il y a des portes fermées. »

Abel Bonnard, Saint François d’Assise

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