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13/06/2011

Les hommes tenus en laisse

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

« L'impudeur de Diogène ne se comprend pas du premier coup d'œil. Si elle semble s'expliquer, d'une part du point de vue de la philosophie de la nature [...], d'autre part son intérêt se trouve en réalité dans le domaine politique et sociologique. La honte est la chaîne sociale la plus intime qui nous attache aux normes générales du comportement avant toutes les règles concrètes de la conscience. Mais le philosophe de l'existence ne peut se déclarer satisfait de cette donnée première que sont les dressages sociaux de la honte. Il reprend le processus depuis le début ; les conventions sociales n'établissent pas ce dont l'homme devrait vraiment avoir honte, surtout parce que la société est elle-même suspecte de reposer sur des perversions et des irrationalités. Le kunique stig-matise donc un fait courant : les hommes sont tenus en laisse par les commandements profondément ancrés de la honte. [...]
En se masturbant publiquement, il commettait une impudicité par laquelle il se mettait en opposition avec les dressages politiques de la vertu de tous les systèmes. Cette masturbation était l'attaque frontale contre toute politique familiale, pièce centrale de tout conservatisme. Du fait que, comme la tradition le dit pudiquement, il s'est chanté à lui-même sa chanson nuptiale avec ses propres mains, il n'a pas subi la contrainte de contracter un mariage à cause de ses besoins sexuels. Par son exemple, Diogène enseignait la masturbation comme progrès culturel, il va sans dire, non pas comme rechute dans l'animalité. Selon le sage on doit en effet laisser vivre l'animal pour autant qu'il est la condition de l'homme. Le masturbateur joyeux (« Plût au ciel qu'il suffît également de se frotter le ventre pour apaiser sa faim ») rompt l'économie sexuelle conservatrice sans pertes vitales. L'indépendance sexuelle demeure une des conditions les plus importantes de l'émancipation. »

Peter Sloterdijk, Critique de la raison cynique, trad H. Hildenbrand, Christian Bourgois, 1987

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