27/05/2011
Ses anciens admirateurs l'accueillirent aux cris de "Vendu ! Fasciste !"
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« Sur les collines qui entourent Woodstock, les villages sont des havres de repos pour les bergers et les paysans du matin, ceux qui descendent vers les vignes, qu'on aperçoit à flanc de coteau.
Le Soleil se lève sur Upper Byrdcliffe. La Maison des Dylan retrouve ses activités quotidiennes. Le jardinier traverse le parc en poussant sa brouette de mauvaises herbes. Les chiens s'étirent au soleil, mais ils ne dorment que d'un oeil.
Bobby s'occupe de sa terre. Il répare la clôture du poulailler, ausculte les vieux arbres malades, traverse la terrasse, s'installe sous les lourdes branches d'un tilleul.
"La seule chose qui m'émeuve vraiment, c'est de me réveiller chaque matin, d'être en vie et de commencer un nouveau jour." Les enfants sont levés depuis longtemps. Jesse galope dans les allées du parc, se prend pour un oiseau, tape dans un ballon, ouvre les bras, imite l'aéroplane, se jette dans les buissons en poussant des cris d'indien, surgit à l'improviste sur la terrasse et se retrouve sur les genoux de son père.
Une vie calme et claire. Sara écoute de la musique dans le salon. Bob reconnaît un vieil air du folklore californien. Albert Grossman apparaît tout à coup dans l'allée, son blouson de toile sur l'épaule. Bob a été prévenu par téléphone. Il attendait la visite de son imprésario. A l'ombre des arbres du parc, la discussion tournera autour des droits d'auteur, des pourcentages, du contrat signé par Dylan pour un livre qu'il n'a plus envie de voir paraître (1), des propositions de la M.G.M. -- un vague projet de film -- et surtout de John Wesley Harding, que Grossman n'aime pas.
"Mon petit vieux, va faire un tour à San Francisco, Berkeley, Sausalito et regarde où ils en sont tous, l'acide, l'expérience cosmique, le rock électrique, un véritable volcan ! C'est du feu qui déferle sur ce putain de pays... et toi tu grattes ta guitare en sourdine pour chanter tes âneries chrétiennes. Ca n'intéresse personne, vieux, personne !"
L'altercation est violente, Grossman demande simplement à Dylan de jeter sa Bible aux orties, d'avaler de la mescaline ou du L.S.D. et de venir faire rugir sa guitare, comme à l'époque de Blonde on Blonde, pour être dans le coup et faire rentrer des dollars.
Bob vient de comprendre qu'il n'a plus rien à faire avec l'empire Grossman, qu'il ne renouvellera pas son contrat.
"Tu es pratique, Grossman, trop pratique pour être heureux un jour. Tu es une marionnette. Rien d'autre qu'une marionnette.
-- Mais, petit, tu as un nom à défendre. Tu étais le meilleur, le plus grand !
-- Le plus grand par rapport à quoi ? Monte au sommet d'une montagne, ou escalade une tour de Manhattan. Tu me vois passer sur le trottoir en bas. Suis-je grand, Grossman, vu de cette hauteur ?
-- Ton nom vaut une fortune.
-- Une fortune ! Craque une allumette, que devient cette fameuse fortune ? On a tout dit, Grossman. Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi, mais le jeu s'arrête ici. Toi et moi, on n'ira pas plus loin."
C'est ainsi que Bob Dylan se sépara d'Albert Grossman, son imprésario et protecteur.
Grossman descendit l'allée en maugréant. Là-haut, le ciel ne s'était pas assombri, les arbres jouaient toujours les mêmes jeux d'ombres sur la terrasse, les enfants se poursuivaient de l'autre côté du bassin, Sara écoutait toujours de la musique californienne dans le salon. La discussion des deux hommes n'avait rien changé. Ce qui prouvait qu'elle était sans importance... comme toutes les discussions d'adultes installés dans des rôles.
Pour bien montrer qu'il vivait en marge des modes et des courants musicaux de son époque, Bob Dylan enregitra un nouvel album, Nashville Skyline, avec le chanteur Johnny Cash, bien connu pour ses opinions conservatrices. Les critiques se déchaînèrent : Dylan, dans la peau d'un gentleman farmer, chantait aux côtés de Johnny Cash !
Dylan répondra : "Dans ce disque, je n'ai pas cherché à atteindre autre chose que moi-même." Lui-même, c'est-à-dire le retour à la vie tranquille, le calme des grands espaces, et l'amour de Sara et ses enfants.
Ils apparaissent sur la pochette du disque, en costume, et les cheveux courts, déchaînant l'horreur de ses anciens admirateurs qui l'accueillirent aux cris de "Vendu ! Fasciste !" »
(1) "Tarentula", qui paraîtra en mai 1971.
Jean-Paul Bourre, Bob Dylan, Vivre à plein
« there is no right wing
or left wing...
there is only one up wing
an' down wing »
Bob Dylan, 11 Outlined Epitaphs, 1964
18:16 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (3) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Et le livre , c'est ... Tarentula ?
J'ai du le lire quand j'avais 14 ans , je l'ai refermé à la 50ème page en me disant : "il est fou ..."
Pas prêt pour ça , certainement ...
Écrit par : Prolo de la Lite | 28/05/2011
Pardonnez-moi Prolo, je ne comprends pas votre question... mon extrait est un extrait du livre de Jean-Paul Bourre "Bob Dylan, Vivre à plein", dans lequel il est fait référence à "un livre que DYLAN n'a plus envie de voir paraître" et qui renvoie bien à la note stipulant qu'il s'agit de "Tarentula", livre expérimental et surréaliste, probablement écrit sous l'emprise de certaines substances... je comprends votre position, mais je ne puis vous en dire plus ne l'ayant pas lu.
Par contre j'ai lu "Babel" et "Corps de plane" de Patti Smith, livres expérimentaux, journaux de dérives diverses et nombreuses, éclatées, tantôt nocturnes, tantôt solaires, et on a la même impression très souvent... on se dit : "elle est destructurées, la pauvre, larguée, folle !" Mais c'est rempli de fulgurances, de trouvailles linguistiques, de bifurcations, de passerelles jetées entre Rimbaud, Hendrix et Jeanne d'Arc... entre Central Park et l'Abyssinie... l'Arabie heureuse des soufis et les explorateurs psychédéliques de San Francisco, entre l'urgence Punk de New York et le Romantisme européen... une vraie fournaise qu'il faut prendre pour ce que c'est : un fourre-tout expérimental... une tentative, probablement malheureuse, de créer un nouveau monstre littéraire qui, certes, n'atteindra jamais la brûlure d'une Grande Oeuvre digne de ce nom, mais ouvre indéniablement des brèches dans la Citadelle poussiéreuse de la Littérature académique et bien assise dans les conventions.
Je suppose que "Tarentula" ce doit être un peu la même chose.
Ai-je répondu à votre question ? ;-)
Écrit par : Nebo | 28/05/2011
Oui , oui , parfaitement !
Je n'avait pas vu la note en fin de page ...
Je note pour la Patti , il faudrait que je relise Tarentula , c'était certainement trop tôt ...
Écrit par : Prolo de la Lite | 28/05/2011
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