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24/06/2011

Redevenir la France

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

« Au vingtième siècle, l’Europe aura connu deux régimes résolument antichrétiens : le communisme soviétique et le nazisme allemand. Dans l’ordre du développement économique, du progrès social, de la baisse du taux de chômage, ces régimes obtinrent à leurs débuts de bons résultats, mais rapidement ils tournèrent l’un et l’autre au cauchemar et furent pour les populations qui les subirent une source d’effroyables malheurs, de souffrances indicibles. M. Lénine et M. Hitler devraient, me semble-t-il, nous avoir durablement vaccinés contre la tentation de construire une Europe sans le Christ, un monde dont la transcendance serait exclue, un monde horizontal où la puissance matérielle et la consommation seraient les seuls dieux sur les autels desquels les Européens seraient invités à offrir leurs sacrifices. L’Europe dont nous rêvons est l’Europe de saint Benoît de Nursie et de saint Serge de Radonège, l’Europe de Dante et de Dostoïevski. Pas une Europe qui transformerait les églises en garages, en porcheries, en musées de l’athéisme, et où l’unique religion serait celle du football et du loto.

Le centenaire de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat a donné lieu en France à de saugrenues manifestations d’anticléricalisme qui m’ont bien fait rigoler. S’ils se figurent que c’est en criant « A bas la calotte !» place de la République qu’ils vont exorciser le péril de l’impérialisme islamique (tiens, république, islamique, ça rime), nos bouffeurs de curés se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au coude.

Les églises sont vides, c’est un fait. Les chrétiens ont mieux à faire que d’y assister à la messe dominicale (les RTT, les week-end à Deauville ou à Marrakech, la belle vie, quoi). En revanche, les musulmans de France, qui eux ne vont pas au Club Med de Marrakech, réclament des mosquées et ont l’intention de les emplir. Ils les empliront, soyons-en sûrs, ce n’est qu’une question de temps. Pendant la guerre d’Algérie, j’ai vécu à Cherchell, l’antique Césarée. L’église avait été construite avec les pierres d’un temple païen consacré à la déesse Minerve. J’ai connu cette église pleine de fidèles, y compris de parachutistes qui s’y rendaient leur pistolet-mitrailleur en bandoulière. Deux ans après la signature des accords d’Evian, je suis retourné à Cherchell. L’église avait été transformée en mosquée.

Les Français sont, paraît-il, le peuple le plus déchristianisé d’Europe. Eh bien, si nos églises continuent de se dépeupler, elles seront métamorphosées en mosquées, cela ne fait pas un pli. Paris ou Cherchell, même combat. Là où notre Moyen-Âge a bâti la cathédrale Notre-Dame s’élevait un temple consacré à la déesse Isis. Un jour peut-être, comme l’église de Cherchell, comme la cathédrale d’Alger, comme Sainte-Sophie de Constantinople, Notre-Dame de Paris sera transformée en mosquée, et y célèbrera non un archevêque mais un mufti. Ce n’est pas de la science-fiction, c’est de l’histoire.

Et après tout, pourquoi pas ? Minerve, Isis, Jésus-Christ, Allah, les dieux se succèdent, mais l’essentiel n’est-il pas que le parfum des prières et de l’encens continue de s’élever vers le ciel ? Dans un de mes premiers livres, un bref récit intitulé Comme le feu mêlé d’aromates, j’écris : « J’appartiens aux quatre premiers siècles, quand Dionysos et le Ressuscité se disputent le cœur de l’homme » et j’y confesse « ma passion d’accorder Vénus et Jésus-Christ ». Hélas ! Dans la France d’aujourd’hui j’ai l’impression d’être un dinosaure, le survivant d’une espèce disparue, et d’y parler une langue qui n’est plus comprise par personne. Mes compatriotes ont dans une même abjecte dégoulinade renié les dieux du paganisme et le Dieu de l’Evangile, leur héritage gréco-romain et leur héritage chrétien. Tant pis pour eux. Ils ne lisent plus ni Plutarque ni les Pères de l’Eglise ? On leur fera lire Mahomet. Si nous sommes trop fatigués ou trop lâches pour sauvegarder notre foi, notre patrimoine spirituel, nos traditions, notre manière de vivre, eh bien ! de nouveaux dieux prendront la place des nôtres, c’est la règle, et nous n’aurons pas le droit de pleurnicher.

Ce que j’écris là des croyants, je le pense aussi des athées, car si ceux-là ne lisent plus saint Augustin, ceux-ci ne lisent pas davantage Lucrèce, et un prétendu agnostique qui n’a pas sur sa table de chevet le De rerum natura, ce maître livre de mon adolescence, ce compagnon de route de mon âge mûr, est à mes yeux indigne de vivre.

Pendant soixante-dix ans, les communistes soviétiques ont vidé les églises et empli les camps de concentration, tenté de lobotomiser la Russie. Aujourd’hui, pour le peuple russe et l’Eglise orthodoxe le martyre a pris fin. La Russie, retrouvant sa mémoire, a rendu son nom à Saint-Pétersbourg, a réédité Rozanov et Berdiaeff, a rebâti la cathédrale moscovite du Christ-Sauveur, a reçu la dépouille du général Dénikine. La Russie s’est réconciliée avec elle-même. Je souhaite ardemment que la France n’ait pas besoin de faire une expérience comparable à celle de la Loubianka et du Goulag pour rester (ou redevenir) la France. »

Gabriel Matzneff

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07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Tout celà est fort possible, en effet !
Bon texte ! Jolie photo :-))

Écrit par : Leo | 07/01/2012

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