12/08/2011
Un idéal du passé
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« Les difficultés inédites et croissantes que l’entreprise éducative rencontre au sein de nos sociétés ne sont en rien des difficultés de méthode qu’une « modernisation » bien comprise permettrait de résoudre. Elles sont des difficultés de principe que les réformes mirifiques destinées à les traiter se bornent invariablement à amplifier, faute de les reconnaître pour ce qu’elles sont. Elles tiennent au stade atteint par l’individualisation du processus. Elles représentent d’ailleurs un remarquable révélateur des contradictions inhérentes à l’articulation de l’individu et de la société dans sa configuration actuelle, très au-delà de l’éducation. Il est entendu que l’éducation a pour fin de former l’individu, de le pourvoir de moyens aussi larges que possible d’exercer une indépendance aussi complète que possible. C’est l’originalité de l’enseignement moderne que d’avoir systématisé cette visée. Mais à partir du moment où l’on met cette indépendance au point de départ, comme si elle relevait de l’état de nature, où l’on prétend en faire le ressort même des acquisitions, on rend profondément problématique la construction culturelle de cette indépendance. On s’interdit, en effet, de poser la culture ou les savoirs dont il s’agit d’acquérir la maîtrise, dès à commencer par la langue, d’extériorité, d’englobement par rapport à l’individu, de telle sorte qu’il ne peut que rester au dehors de ce qu’il lui faudrait s’incorporer et s’approprier. On fabrique en fait des dépendants à prétentions d’indépendance. Une situation révélatrice, encore une fois, d’une relation plus générale à l’appartenance collective, qui tend à devenir impensable aux individus, dans leur volonté d’être des individus, alors qu’ils en dépendent plus que jamais. Nous ne sommes probablement qu’au début de nos peines, au regard de la régression qui s’annonce. La diffusion des Lumières, que nous avions la candeur de croire automatiquement associée aux progrès de la démocratie, pourrait vite se révéler un idéal du passé. »
Marcel Gauchet, La démocratie contre elle-même
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