30/08/2011
Père, je te rends grâces de m'avoir exaucé
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« …prenons le cas de Lazare, qui est la résurrection la plus connue opérée par jésus, et celle qui est décrite avec le plus de détails. Elle se passe comme suit. Deux dames amies de jésus l'envoient chercher; leur frère Lazare est alité et malade, elles souhaitent que jésus vienne le guérir. Que fait jésus? Il commence par ne pas venir. Il dit : "Cette maladie n'est pas mortelle; elle est pour la gloire de Dieu : elle doit servir à glorifier le Fils de Dieu." Il se comporte (notons, pour être juste : d'après l'évangéliste Jean) comme se comporte tout chef politique des temps modernes et actuels, quand il est confronté à un événement inopiné et désagréable il cherche automatiquement à l'exploiter à son profit et à s'y tailler une publicité personnelle.
Qu'il y ait un malade en train de souffrir est secondaire. Beaucoup plus important est de savoir comment mettre en scène la guérison de ce malade de la façon la plus spectaculaire, afin d'accroître son propre prestige et de renforcer le mouvement de ses partisans. Jésus s'y prend d'une façon radicale et carrément brutale. Il attend que Lazare soit mort, et il déclare à ses disciples qu'il se réjouit de ne pas avoir été plus tôt auprès de lui, et ce, dit-il, "pour que vous croyiez". Et c'est seulement alors qu'il se rend, tout tranquillement, suivi de sa troupe, jusqu'au village de Lazare, où il arrive avec quatre jours de retard.
Les deux dames, Marie et Marthe, sont déçues - on peut le comprendre. "Si tu étais venu plus tôt, disent-elles, notre frère ne serait pas mort." Jésus prend cela pour une offense à sa majesté, il se met en colère et les tance vertement, devant la communauté en deuil, disant qu'elles n'ont pas à pleurnicher et à se plaindre, mais à croire, entendons : en lui, le Fils de Dieu, à qui rien n'est impossible. Puis il ordonne qu'on le conduise jusqu'au tombeau, non sans faire en chemin quelque chose qui touche le coeur, à savoir verser aux yeux de tous une larme, ce qui produit aussitôt sur le public l'effet voulu. "Voyez comme il l'aimait!" murmure la foule. Parvenu devant le tombeau, une sorte de caverne fermée par une plaque de roche, Jésus ordonne : "Enlevez la pierre !"
L'une des soeurs suggère qu'il vaudrait mieux s'abstenir, le mort étant déjà là depuis quatre jours et commençant à sentir, mais jésus balaie l'objection et de nouveau remet cette femme à sa place : qu'elle ferme sa gueule et qu'elle croie! - Pardon, ma citation n'est pas tout à fait exacte, le Messie s'exprime en termes un peu plus choisis :«Ne t'ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?» Ainsi parle-t-il. On enlève alors la pierre. Le moment décisif est venu. La foule retient son souffle : on l'imagine, les yeux rivés d'abord sur le caveau obscur, puis tournant vers jésus des regards pleins d'espoir; on se représente les partisans et les adversaires (il y en a aussi) qui tendent l'oreille et préparent de quoi noter, pour que pas un mot du maître ne leur échappe et que le moindre détail soit rapporté.
Le récit de jean se lit comme un reportage fait après coup, on a l'impression d'assister à un spectacle médiatique d'aujourd'hui, il ne manque plus que les caméras de télévision. Là, gros plan sur jésus : avant de passer à l'action, il fait monter encore la tension dramatique par une manoeuvre dilatoire consistant à la fois à délivrer son message et à dévoiler, avec une franchise proprement effrontée, le but de propagande qu'il assigne à l'événement. Il lève les yeux vers le ciel et s'adresse à Dieu, qu'il appelle son Père, lui disant : "Père, je te rends grâces de m'avoir exaucé. Je sais bien que tu m'exauces toujours; mais c'est pour tous ces hommes qui m'entourent que je parle, afin qu'ils croient". »
Patrick Süskind, Sur l’amour et la mort
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