18/09/2011
L'architecture malfaisante détruit la santé de la nation
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« Si ressuscitaient aujourd'hui les bâtisseurs de cathédrales ils seraient effarés par notre manque d'audace. Ils nous arracheraient des mains nos outils et construraient des Notre-Dame à l'image d'un siècle pour qui la pesanteur n'existe plus. Or c'est l'esprit même de ces hommes, soulevés d'espoir et de foi, qui anime Le Corbusier, quand il trace les plans de la Ville Radieuse. Nos villes, dit-il, sont des villes des siècles passés, bâties pour loger des piétons que rien ne pressait. New-York est une tentative de ville d'aujourd'hui mais tragiquement ratée. Les gratte-ciel entassés les uns sur les autres et assiégés par la zone noire des taudis, ont tué la rue, rendant la circulation impossible, noyant d'ombre le sol et lui refusant l'air.
Les hommes, pour fuir cet enfer, ont acquis dans la banlieue, une petite maison de campagne. Une petite maison dans la campagne, c'est charmant, mais lorsque ce rêve individuel est réalisé des centaines de milliers de fois, la campagne est morte, et ce qui lui survit c'est une dispersion de la ville, entraînant des dépenses d'énergie inutiles et formidables. Car il a fallu créer, pour irriguer cette ville étendue jusqu'à cent kilomètres autour de New-York, un réseau échevelé de routes, d'égouts, de téléphone, d'électricité, de voie ferrée, d'eau courante, etc... Et une énorme partie du travail de tous est consacrée à payer ces dépenses somptuaires.
Toute la vie américaine est détraquée par cette dispersion ; les hommes passent trois heures par jour dans le train, le métro, le bus ou l'auto. Pendant qu'ils voyagent, ils ont besoin de boucher le vide de leur esprit inoccupé. On leur fournit dans ce but des journaux colossaux qui pèsent jusqu'à un kilo 250. La publicité les envahit, violente. Les faits-divers brutaux sont montés avec des titres comme des coups de poings. Mais on ne trouve, là-dedans, la moindre nourriture.
Ayant quitté le matin une épouse endormie, ils la retrouvent le soir étrangère. Ils sont abrutis par leur journée de ville écrasante. La femme, elle, a consacré ses loisirs aux sports, aux conférences, aux livres, à la T.S.F. Elle se sent supérieure à l'homme enchaîné. Elle ne lui pardonne guère.
Ce manque total de contact entre les hommes sans loisirs et les femmes libres crée un déséquilibre moral et sexuel qui paraît étrange dans une race physiquement aussi parfaite. La famille est coupée en deux par la ville. L'architecture malfaisante détruit la santé de la nation. »
René Barjavel, Invitation au voyage - Le Prophète dans la Cité, Article dans "MICROMÉGAS - Courrier critique et technique du livre moderne" - n° 8 - 10 mai 1937
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