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04/01/2012

Aujourd'hui j'ai vu Sainte-Sophie. A peine entré dans le monument, je n'ai plus eu à y faire un pas. Je lui appartenais tout entier.

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Aujourd'hui j'ai vu Sainte-Sophie. A peine entré dans le monument, je n'ai plus eu à y faire un pas. Je lui appartenais tout entier. Les autres édifices, quand ils sont d'une aussi vaste étendue, demandent que le visiteur les parcoure, afin de s'emparer successivement de toutes leurs perspectives. Ici l'on est aussitôt sous la domination de l'immense coupole ; elle rend tout l'édifice unanime. Quand un monument arrive à cette beauté souveraine, il n'est plus au pouvoir de personne de lui arracher son âme. On a pu faire du Parthénon une église, puis une mosquée, il n'a jamais daigné le savoir. A Sainte-Sophie, l'Islam n'est rien. Il a eu beau pendre à ses parois d'énormes inscriptions, elle témoigne à jamais pour cette somptueuse civilisation byzantine où l'art ne se sépare pas du faste ; les chapiteaux sont plus brodés encore que sculptés, les tribunes se creusent comme des grottes enchantées, l'oeil cherche encore les mosaïques sous le badigeon qui les a couvertes. Sainte-Sophie reste à jamais la grande Église, celle qui mettait en présence l'Empereur et Dieu, l'Autocrator et le Pantocrator, et où la hiérarchie des fonctionnaires était si exactement continuée par celle des Dominations et des Trônes qu'on ne devait pas voir exactement où elles s'attachaient l'une à l'autre.

A l'exception de cet édifice, presque tout ce qui représentait Byzance a péri. On la retrouve encore dans une magnifique citerne, dans quelques églises que l'Islam, au lieu de les détruire, s'est contenté d'envahir, et dans les remparts. Il est une de ces églises qui est restée dans mon souvenir. C'est la Kharié-Djami. Elle dépendait d'un couvent et date du temps des Comnène, mais presque toutes les mosaïques dont elle est décorée sont moins anciennes et ne remontent qu'au XIVè siècle. On la trouve tout près des murailles, au bout d'un de ces quartiers qui traînent et se défont dans la solitude. Il était midi quand j'y arrivai. Le vieux muezzin, penché sur le balcon du minaret, distribuait d'une voix cassée son appel aux quatre horizons. Après quoi il redescendit dans la mosquée, où quelques fidèles faisaient leur prière, avec les prosternations prescrites. Cependant, les mosaïques des deux narthex me racontaient l'histoire du Christ et celle de la Vierge. »

Abel Bonnard, "Constantinople", in Le bouquet du monde

 

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