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20/01/2012

Le relativisme absolu conduit à un indifférentisme

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 


Jacques Dewitte

« Alors qu’il voyageait au Mexique et visitait des sites archéologiques amérindiens en compagnie d’un écrivain mexicain, le philosophe polonais Kolakowski en est venu à se demander "où sont les barbares ?". Sont-ils du coté des conquistadores, lesquels sont barbares parce qu’ils ont voulu détruire une culture extra-européenne ? Ou bien ne seraient-ce pas plutôt du coté de ces Européens qui, devenus indifférents à leur propre tradition, posent l’équivalence absolue de toutes les cultures ? Dans ce cas on devrait paradoxalement admettre que les conquistadores seraient non seulement les derniers Européens, mais les derniers non-barbares. Car le relativisme absolu conduit à un indifférentisme et à une dissolution de tout ce à quoi l’on peut adhérer en quelque manière.

Il s’agit d’une boutade permettant surtout de prendre en considération ce problème capital : jusqu’où peut on aller dans la remise en question critique de soi-même. Peut-on aller, sans contradiction, jusqu’à approuver, le cas échéant, la barbarie dans un souci de respect des "autres" et de leur "altérité". Il s’agit en effet de déjouer le piège dans lequel tombe le relativisme culturel en finissant par nier la différence même entre lui-même et ses ennemis.

Etre barbare, c’est être emprisonné dans son exclusivisme et son fanatisme. Si l’on est fier d’en être sorti, si l’on se pique d’avoir surmonté l’enfermement dans la clôture ethnocentrique, alors on ne peut s’interdire de condamner la barbarie éventuelle des autres.

Faute de quoi l’universalisme se contredit lui-même :

"Il se nie s’il est généreux au point de méconnaitre la différence entre l’universalisme et l’exclusivisme […] entre soi-même et la barbarie ; il se nie si, pour ne pas tomber dans la tentation de la barbarie, il donne aux autres le droit d’être barbare".

L’universalisme ne peut donc rester à l’intérieur de la culture qui l’a produit [la culture européenne] et s’arrêter aux frontières des autres cultures, par "respect de leur différence". S’il ne veut pas se nier lui-même, il ne peut pas ne pas impliquer un certain prosélytisme. "L’universalisme se paralyse lui-même s’il ne se croit pas universel, c'est-à-dire propre à être propagé partout".

Kolakowski évoque de manière frappante une situation concrète qui est plus actuelle que jamais, dans les pays européens ayant accueilli d’importantes populations musulmanes et où certaines organisations tentent de faire reconnaître la charia à l’encontre du droit européen : quelle attitude adopter face aux règles de la loi islamique qui prescrit notamment la lapidation pour la femme adultère (ou la flagellation pour les hommes), ou bien l’amputation de la main pour la fraude fiscale ?

"Si l’on dit, dans un cas pareil, "c’est la loi coranique, il faut respecter les autres traditions", on dit en fait : "ce serait terrible pour nous, mais c’est bon pour ces sauvages" ; par conséquent, ce qu’on exprime, c’est moins le respect que le mépris des autres traditions, et la phrase "toutes les cultures sont égales" est la moins propre à décrire cette attitude". »

Leszek Kolakowski, "Où sont les barbares ?", Le village introuvable, Bruxelles, Complexe, 1978, p. 110-111, commenté ici par Jacques Dewitte dans L’exception européenne. Ces mérites qui nous distinguent, Paris, Michalon, 2008, p. 34-35


Leszek KOLAKOWSKI

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