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15/02/2012

La houle d'un corps heureux

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Elle glissa hors de la chemise longue, tendit aux mains et aux lèvres d’Antoine les fruits tendres de sa gorge et renversa sur l’oreiller, passive, un pur sourire de sainte qui défie les démons et les tourmenteurs...
Il la ménageait pourtant, l’ébranlait à peine d’un rythme lent, doux, profond… Elle entrouvrit les yeux : ceux d’Antoine, encore maître de lui, semblait chercher Minne au-delà d’elle-même… Elle se rappela les leçons d’Irène Chaulieu, soupira "Ah ! ah !" comme une pensionnaire qui s’évanouit puis se tut, honteuse. Absorbé, les sourcils noueux dans un dur et voluptueux masque de Pan, Antoine prolongeait sa joie silencieuse. "Ah ! ah... !" dit-elle encore malgré elle. Car une angoisse progressive, presque intolérable, serrait sa gorge, pareille à l’étouffement des sanglots prêts à jaillir… Une troisième fois, elle gémit, et Antoine s’arrêta, troublé d’entendre cette Mine qui n’avait jamais crié... L’immobilité, la retraite d’Antoine ne guérirent pas Mine, qui maintenant trépidait, les orteils courbés, et qui tournait la tête de gauche à droite comme une enfant atteinte de méningite. Elle serra les poings, et Antoine put voir les muscles de ses mâchoires délicates saillir, contractés.
Il demeurait craintif, soulevé sur ses poignets, n’osant la reprendre… Elle gronda sourdement, ouvrit des yeux sauvages et cria : "Va donc !"
Un court saisissement le figea au-dessus d’elle ; puis il l’envahit avec une force sournoise, une curiosité aigüe, meilleure que son propre plaisir. Il déploya une activité lucide, tandis qu’elle tordait des reins de sirène, les yeux refermés, les joues pâles et les oreilles pourpres… Tantôt elle joignait les mains, les rapprochait de sa bouche crispée, et semblait en proie à un enfantin désespoir… Tantôt elle haletait, bouche ouverte, enfonçant aux bras d’Antoine ses ongles véhéments… L’un de ses pieds, pendant hors du lit, se leva, brusque, et se posa une seconde sur la cuisse brune d’Antoine qui tressaillit de délice...
Enfin, elle tourna vers lui des yeux inconnus et chantonna : "Ta Minne… ta Minne à toi..." tandis qu’il sentait enfin, contre lui, la houle d’un corps heureux… »

Colette, L’ingénue libertine

07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Beau texte tourné avec cette liberté de ton qui civilise.

Écrit par : Paglop77 | 15/02/2012

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