16/05/2012
Je suis rejeté, délaissé dans le présent. Le passé, j’essaie en vain de le rejoindre : je ne peux pas m’échapper.
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« Mes souvenirs sont comme les pistoles dans la bourse du diable: quand on l’ouvrit, on n’y trouva que des feuilles mortes. [...] J’ai beau fouiller le passé je n’en retire plus que des bribes d’images et je ne sais pas très bien ce qu’elles représentent, ni si ce sont des souvenirs ou des fictions. [...]
Il y a beaucoup de cas d’ailleurs où ces images ont disparu, il ne reste plus que des mots: je pourrais encore raconter les histoires, les raconter trop bien [...], mais ce ne sont plus que des carcasses. Il y est question d’un type qui fait ceci ou cela, mais ça n’est pas moi, je n’ai rien de commun avec lui. [...] je rêve sur des mots, voilà tout. [...]
Pour cent histoires mortes, il demeure tout de même une ou deux histoires vivantes. Celles-là, je les évoque avec précaution, quelquefois, pas trop souvent, de peur de les user. J’en pêche une, je revois le décor, les personnages, les attitudes. Tout à coup, je m’arrête : j’ai senti une usure, j’ai vu pointer un mot sous la trame des sensations.
Ce mot-là, je devine qu’il va bientôt prendre la place de plusieurs images que j’aime.
Aussitôt je m’arrête, je pense vite à autre chose ; je ne veux pas fatiguer mes souvenirs. En vain ; la prochaine fois que je les évoquerai, une bonne partie s’en sera figée. J’ébauche un vague mouvement pour me lever, pour aller chercher mes photos, dans la caisse que j’ai poussée sous ma table.
A quoi bon ? Ces aphrodisiaques n’ont plus guère d’effet sur ma mémoire.
L’autre jour, j’ai retrouvé sous un buvard une petite photo pâlie. Une femme souriait, près d’un bassin. J’ai contemplé un moment cette personne, sans la reconnaître. Puis au verso j’ai lu : Anny, Portsmouth, 7 avril 27. »
Jamais je n’ai eu si fort qu’aujourd’hui le sentiment d’être sans dimensions secrètes, limité à mon corps, aux pensées légères qui montent de lui comme des bulles.
Je construis mes souvenirs avec mon présent.
Je suis rejeté, délaissé dans le présent. Le passé, j’essaie en vain de le rejoindre : je ne peux pas m’échapper. »
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