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09/08/2012

Vie urbaine

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« D’après un rapport publié par l’Organisation des Nations Unies, c’est en 2008 que, pour la première fois dans l’histoire, la population mondiale est devenue majoritairement urbaine. Sans même considérer le simple fait qu’un tel constat soit possible – c'est-à-dire que l’humanité puisse à la fois se quantifier et se localiser, qu’elle soit ainsi intégralement soumise à la statistique – un tel événement n’est guère comparable qu’au passage du nomadisme à la sédentarité qui définit la rupture entre paléolithique et néolithique. Encore ce dernier s’est-il accomplit très lentement […] alors que l’urbanisation de l’humanité s’est traduite par un véritable exode (dit rural) qui en deux siècles à peine a déplacé des centaines de millions d’hommes et changé la face de la terre. La condition urbaine définit donc aujourd’hui la condition de l’homme, le site en lequel il se tient est urbain, et cette première exigence d’une pensée qui se veut lucide est d’éclaircir cette situation nouvelle. Or le trait caractéristique d’un tel site est d’être construit, bâti, édifier : constater que l’homme vit en site urbain, c’est constater qu’il évolue dans un milieu intégralement artificiel. L’espace dans lequel il se déplace, la vitesse de ses déplacements, le rythme de ses activités, les images et les sons qui s’imposent à lui, les messages et informations qu’il reçoit continûment, les matières qu’il touche, la nourriture qu’il consomme, jusqu’à l’air (conditionné ou pollué) qu’il respire, tout est résultat d’une production artificielle ; son rapport à autrui est médiatisé par le système de télécommunication, et ses humeurs elles-mêmes sont maitrisables à volonté par les molécules de synthèse de l’industrie pharmaceutique. Le constat s’impose, selon lequel l’homme ne vit plus au sein de la nature mais dans un système d’objets produits pour une utilisation préalablement déterminée : la nature a disparu, circonscrite aux « espaces verts », aux « ressources naturelles » et à « l’environnement », c'est-à-dire réduite à la fonction qui lui est assigné par cet espace urbain. La distinction entre le naturel et l’artificiel fut pour la première fois formulé dans la pensée grecque, qui opposait « ce qui est par nature » (phusis) et ce qui est par technique (techne) : le basculement de l’humanité de la vie rurale à la condition urbaine, qui l’arrache à un environnement naturel pour la plonger dans un environnement artificiel, peut se définir comme l’avènement du règne de la technique.

Nous sommes en cela les contemporains de la plus profonde mutation qu’ait connue l’humanité depuis le néolithique […]. Cet évènement, d’une rapidité foudroyante, a en effet bouleversé de fond en comble l’existence humaine, à tel point qu’il est difficile d’identifier ce qui demeure de l’histoire ancienne : à une époque où l’Eglise catholique soumet les plus saintes de ses reliques à des tests de datation au carbone 14 et des analyses palynologiques, la religion elle-même subit la domination de la technique, et se trouve ébranlée par elle. La vie d’un homme aujourd’hui n’a plus qu’un lointain rapport avec ce qu’était la vie de ses aïeux deux siècles plus tôt, et ce jusque dans l’intimité de ses croyances. »

Jean VIOULAC, L’époque de la technique. Marx, Heidegger et l’accomplissement de la métaphysique

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