25/02/2013
Monsieur Cogito raconte la tentation de Spinoza
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« Baruch Spinoza d'Amsterdam
désirait atteindre Dieu
en taillant des lentilles
au grenier
tout à coup il perça le rideau
et se trouva face à face
il parla longuement
(lorsqu'il parlait ainsi
sa pensée et son âme
se dilataient)
il posa des questions
au sujet de la nature humaine
- distrait Dieu se frottait la barbe
- lui l'interrogea sur la cause première
- Dieu promenait son regard dans l'infini
- il l'interrogea sur la cause finale
- Dieu se tordait les doigts
s'éclaircit la voix
lorsque Spinoza se tut
Dieu dit
- tu parles bien Baruch
j'aime ton latin géométrique
et aussi la syntaxe limpide
la symétrie des conclusions
parlons cependant
des Choses Vraiment
Grandes
- regarde tes mains
estropiées et tremblantes
- tu abîmes tes yeux
dans les ténèbres
- tu te nourris mal
tu t'habilles comme un misérable
- achète une nouvelle maison
pardonne aux glaces de Venise
de répéter la surface
- pardonne les fleurs nouées dans les cheveux
- la chanson d'ivrogne
- occupe-toi de tes rentes
comme ton collègue Descartes
- sois rusé
comme Erasme
- dédie un traité
à Louis XIV
de toute façon il ne le lira pas
- calme
la furie rationnelle
elle fera tomber des trônes
et noircir les étoiles
- songe
à une femme
qui te donnera un enfant
- tu vois Baruch
nous parlons de Choses Grandes
- je veux être aimé
des incultes et des violents
ce sont les seuls
qui languissent vraiment après moi
c'est alors que le rideau retombe
Spinoza reste seul
il ne voit pas de nuage doré
pas de lumière dans les hauteurs
il voit l'obscurité
il entend le grincement des marches de l'escalier
les pas qui s'éloignent en bas »
Zbigniew Herbert, Monsieur Cogito et autres poèmes
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