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06/03/2013

La source enfouie de son chant profond

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« "Humain" est aujourd’hui le mot à la mode. Ils n’ont que ce mot-là à la bouche, du moins ceux qui font du bruit. Et, frelatés et racornis comme ils le sont, c’est l’humain justement qui ne peut plus les toucher. Voyez-les au cinéma : lorsqu’il y a (dans un film russe ou allemand) quelque chose qui va loin, ils rient. Aussi, ce qu’ils appellent l’humain, parlons-en ! Et de même d’autres mots, qui signifient ce qu’il y a de plus beau sur la terre - "pureté", "gratuité", - qu’ils ont vidés de leur sens et font servir à on ne sait quel usage... Ils parlent du peuple (qu’ils appellent "prolétariat", parce que "peuple" est trop simple), et le peuple à l’état nature les dégoûte, ils ne l’aiment que rendu artificiel, comme ils n’aiment les visages des femmes que falsifiés. Ils parlent de liberté, et tous sont à la chaîne, d’ailleurs ne bougeant plus, même quand leur chaîne est défaite. Ils parlent d’affranchissement des mœurs, et ils sont comme le stupide cheval, qu’une feuille de papier à cigarette au milieu de la route fait broncher. Ils vous pourfendent de leur catholicisme, et il n’est pas une heure dans leur vie entière où ils aient agi en chrétiens. Ils rabâchent de la révolution, et s’ils la font ils la rapetisseront elle aussi, parce qu’ils y resteront eux-mêmes. Il n’y a que la guerre qu’ils n’aient pas pu amoindrir. Elle, elle les prit, les souleva, et les laissa retomber. A l’armistice ils ne déclinèrent pas : ils redevinrent ce qu’ils étaient vraiment. "La guerre tue moins d’âmes que la paix", a écrit Veuillot. Certes, et surtout en France. L’Allemagne a besoin de la guerre pour y donner cours à ses instincts. La France a besoin de la guerre pour s’y sauver de ses instincts. Elle est comme ces fleurs qui embaument quand un lien les pressure en bouquet, et qui perdent leur parfum quand le lien se relâche : il faut qu’on la brutalise pour qu’elle donne son odeur. Et cependant la paix doit être maintenue ; il faut se débrouiller avec la paix. Mais quoi donc, alors, ou qui donc, en temps de paix, secouera assez cette nation pour qu’elle se déchire et s’entrouvre, et qu’il en jaillisse la source enfouie de son chant profond ? »

Henry de Montherlant, Service inutile

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