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14/04/2013

Les occultes voies respiratoires de l'eau, du vent, rigoureusement pareils à mon désir

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Mon amant, j'ai eu l'impudence de parler de moi seulement pour crier avec vous que la tragédie prolifère faute de moyens, que les bandes de la violence dessinée ne sont que les petits ballons-sondes d'un malaise de dupes.
Vous êtes toujours libre de claquer les portières de vos paupières pour d'autres voyages. Toutes les portes sont ouvertes comme mes jambes à votre approche, battantes comme une robe de frénésie au bord de l'océan.
Je vous ai suivi, comme d'autres, dans la nuit, le long du fleuve, parce que j'eus l'impression ce soir-là que quelques-uns - et je ne dis pas nous - pouvaient donner vie à tous les désirs de la ville, encore et malgré tout frissonnants sous le béton à désarmer.
Je n'ai pas peur, je descends tranquillement les marches qui perdent de leur netteté sous les yeux diurnes mais sûre que l'avancée de chaque cercle d'eau autour de ma jambe bouleverse le système thermique d'une individualité commodément admise.
( Ne riez pas vous qui êtes sur la berge; une fois dans le remous, vous saurez que les bouées municipales ne sont d'aucun recours.)
Mon amant, je ne vous suis pas, je vous entraîne peut-être, moi ou quelques femmes dont vous découvrez le visage à la confluence des rivières. De vous, des autres, de moi, je veux le feu qu'il est toujours possible de faire jaillir entre les pierres du temps ; mais le feu n'est à personne, le feu dévore les relations de cause à effet, se retrouvera toujours dans des regards que nous ne connaissons pas encore.
Mon amant, vous aussi, vous ne me violez pas parce que je suis passionnément consentante à ce que d'autres vies que la vôtre vivent de moi quand vous me pénétrez.
Je ne suis pas fatiguée, je me lève à peine, j'évite les voies parallèles.
Ma route part de la veine bleue du poignet, du vôtre, du mien... J'y avance, sûre qu'elle conduit au point d'équilibre insatiablement instable, à la convergence des rayons infra-lumineux de la vie, d'où partent les occultes voies respiratoires de l'eau, du vent, rigoureusement pareils à mon désir. »

Annie Le Brun, Douzième cercle

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Commentaires

Moi qui apprécie très rarement la littérature féminine, suis conquis par ce texte. Je ne connaissais pas l'auteur (!). Le dernier paragraphe est particulièrement sublime. Merci à vous.

Écrit par : Pierre Aragon | 16/04/2013

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