23/08/2013
Un lansquenet ivre et stylite au désert
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« Cendrars, c’est une légende entée sur une gueule. Une trogne, un mufle, une hure, ravagés, cabossés, couturés des cicatrices de la vie, incendiés par la flamme d’un absolu qui ne cesse de se dérober, illuminés par la chaleur de l’alcool et les éructations du Verbe. Cette trogne à la puissante laideur, on la dirait jaillie d’un autre temps, immémorial, forcené. Elle pourrait appartenir à l’un de ces gueux échappés d’une kermesse flamande de Bruegel l’Ancien, à l’un des nautoniers de la Nef des fous de Jérôme Bosch, à l’un des reîtres germaniques d’Albrecht Dürer, chevauchant entre la mort et le diable, le regard fixé au loin sur un improbable salut.
Trouant le masque creusé par les stigmates de l’existence, démentant le nez sensuel et rabelaisien, les yeux très claires sont d’un visionnaire, d’un "voyant" à la Rimbaud, d’un mystique à l’état sauvage. A rebours de l’apparence, tout d’une pièce comme un menhir, Cendrars est un Janus biffons. Le nom de plume qu’il s’est choisi, "visible comme une affiche bleue", le suggère : Cendrars égale braise et cendre, feu et consomption. "En cendres se transmue / Ce que j’aime et possède / Tout ce que j’aime et que j’étreins / Se transmue aussitôt en cendres."
Il y a en lui un lansquenet ivre et stylite au désert, un légionnaire hâbleur et un rat de bibliothèque taciturne, un aventurier cynique et un François d’Assise éperdu, un grand vivant mordant à pleins crocs dans tous les fruits délectables de la vie, et un solitaire désenchanté crachant sur les trompeuses illusions du monde et aspirant à la sérénité du cloître. Cette dualité, cette attirance tantôt pour les forces du mal, tantôt pour les élans mystiques – son côté Moravagine et son côté Dan Yack-, la légende, qui s’est tôt emparée de lui, l’a occultée. Pour braquer tous les feux sur la pittoresque silhouette de l’arpenteur des mondes, de l’ "Homère du Transsibérien", du baroudeur tous azimuts, familier des tripots et des paquebots, des bordels et des truands, des peintres maudits et des aventuriers internationaux. Une légende belle comme un chromo, irréfutable comme un éléphant, et que l’écrivain s’est plu à entretenir, nourrir et enjoliver. »
Bruno de Cessole, Blaise Cendrars, l’Homère du Transsibérien, in Le Défilé des réfractaires
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Commentaires
Beau portrait. J'ai lu la signature de Bruno de Cessole au bas d'articles mais je ne connais pas ses essais. Cet extrait me donne envie de les découvrir, notamment celui qui a pour titre "Le Défilé des réfractaires".
Écrit par : Paglop77 | 23/08/2013
Un extrait de l'essai "Le Défilé des réfractaire":
http://www.l-editeur.fr/sites/default/files/LeDefileDesRefractaires_intro+sommaire.pdf
Écrit par : Paglop77 | 23/08/2013
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