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23/10/2013

Les migrations, aujourd’hui, ne se font plus par déplacements compacts mais par infiltrations successives

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Un peuple qui s’est accompli, qui a dépensé ses talents, et a exploité jusqu’au bout les ressources de son génie, expie sa réussite en ne donnant plus rien après. […]



Dans le métro, un soir, je regardais attentivement autour de moi : nous étions tous venus d’ailleurs… Parmi nous pourtant, deux ou trois figures d’ici, silhouettes embarrassées qui avaient l’air de demander pardon d’être là. Le même spectacle à Londres.

Les migrations, aujourd’hui, ne se font plus par déplacements compacts mais par infiltrations successives : on s’insinue petit à petit parmi les “indigènes”, trop exsangues et trop distingués pour s’abaisser encore à l’idée d’un “territoire”. […] Devant ces gueules si disparates, l’idée d’une communauté tant soit peu homogène est inconcevable. La possibilité même d’une multitude si hétéroclite suggère que dans l’espace qu’elle occupe n’existait plus, chez les autochtones, le désir de sauvegarder ne fût-ce que l’ombre d’une identité. A Rome, au IIIe siècle de notre ère, sur un million d’habitants, soixante mille seulement auraient été des Latins de souche. Dès qu’un peuple a mené à bien l’idée historique qu’il avait mission d’incarner, il n’a plus aucun motif de préserver sa différence, de soigner sa singularité, de sauvegarder ses traits au milieu d’un chaos de visages.

Après avoir régenté les deux hémisphères, les occidentaux sont en passe d’en devenir la risée : des spectres subtils, des fins de race au sens propre du terme, voués à une condition de parias, d’esclaves défaillants et flasques […] Quand une nation n’en possède plus [une cause de l’histoire], et qu’elle cesse de s’estimer la raison ou l’excuse de l’univers, elle s’exclut elle-même du devenir.[…]



Le rôle des périodes de déclin est de mettre une civilisation à nu, de la démasquer, de la dépouiller de ses prestiges et de l’arrogance liée à ses accomplissements. Elle pourra ainsi discerner ce qu’elle valait et ce qu’elle vaut […]



On est saisi d’étonnement et même d’épouvante lorsqu’on entend des hommes parler d’affranchir l’Homme. Comment des esclaves affranchiraient-ils l’Esclave ? Et comment croire que l’histoire - procession de méprises - puisse traîner encore longtemps ? L’heure de fermeture sonnera bientôt dans les jardins de partout. »

Emil Mihai Cioran, Ecartèlement

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