07/02/2014
Nous allons t'imposer des limites... Nous allons exiger allégeance à une doctrine
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« Unter den Linden. Le solennel boulevard berlinois qui conduisait à la porte de Brandebourg, au Reichstag et aux étendues boisées du Tiergarten. Entrant dans cette large perspective, j'ai pris instinctivement à l'ouest. Comment ai-je su que j'allais dans cette direction ? En apercevant le Mur au loin, qui coupait brutalement le cours de l'avenue et bloquait la porte de Brandebourg dont le sommet apparaissait au-dessus. On entrevoyait aussi la coquille vide du Reichstag, abandonnée par la République fédérale quand elle était partie refonder ses institutions politiques dans le calme rationnel des environs de Bonn. Planté au centre du boulevard, j'ai contemplé longuement la réalité écrasante du Mur. De mes petites rues de Kreuzberg, on en arrivait facilement à le concevoir comme un simple signal de voie sans issue, une interférence désagréable, un gigantesque panneau , mais c'était le point de vue occidental. Ici, à l'est, sur l'artère la plus grandiose du Berlin historique, il faisait figure d'obscénité, d'aberration délibérée. En bouchant Unter den Linden, les autorités est-allemandes déclaraient à leurs sujets et au reste du monde : DEFENSE D'ENTRER.
Je m'étais toujours montré plus que sceptique devant l'anticommunisme primaire et la rhétorique des Reagan et consorts, tout comme devant le patriotisme revanchard professé par ladite , et les successeurs de l'effrayant sénateur McCarthy ne faisaient que m'horripiler. Pourtant je dois dire que là, devant cette face orientale du Mur...non, cela n'a pas été mon chemin de Damas et je n'ai pas pris aussitôt la résolution de voter pour un nouveau mandat de Ronald Reagan aux élections de novembre. Le cœur du problème se trouvait peut-être dans ma phobie de toute restriction spatiale ou mentale, ma crainte permanente de me retrouver prisonnier d'une existence que je n'aurais pas voulue. Et, à mes yeux, le Mur représentait le symbole de la détention. Ce béton et ces barbelés me disaient :
Nous allons t'imposer des limites. Nous allons exiger allégeance à une doctrine , à des règles auxquelles tu seras obligé de te plier. Si tu oses jouer au dissident, si tu tentes de réaliser le rêve chimérique de ne pas restreindre ton univers aux strictes frontières que nous matérialisons , si tu as l'audace de rendre publiques (ou même d'exprimer ) des pensées contraires à nos dogmes, nous serons impitoyables. »
Douglas Kennedy, Cet instant-là
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