16/03/2014
Les pauvres ne les intéressent que dans la mesure où on peut se réclamer d’eux en politique
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« Les millionnaires de gauche font semblant de s’apitoyer sur les pauvres des pays occidentaux et parlent des pauvres seulement pour attaquer le gouvernement. Les pauvres ne les intéressent que dans la mesure où on peut se réclamer d’eux en politique. Je pense au visage large et mou du chef de l’opposition socialise en France. Il s’en fiche des malheureux et des réprouvés et des emprisonnés et des opprimés qui vivent dans les pays socialistes, il n’a pas à s’encombrer de cela. Il n’en a pas besoin pour sa propagande, au contraire, ça lui nuirait.
(…)
Des penseurs prônent aujourd’hui le déclenchement des désirs, c’est la fête que l’on veut, la fête des désirs, quelle fête ? Comme fête collective de ce genre, je ne vois que le carnaval de saucisse et de bière qui a lieu tous les ans à Cologne, par exemple, et qui se dissipe le matin en laissant quelques cadavres sur les trottoirs.
Cette fête ou ces fêtes ne sont que désir de détruire. Les nazis parlaient de leurs fêtes. Au Mexique tous les chants sont tristes, sauf les chants révolutionnaires, révolutionnaires de n’importe quoi, contre n’importe quoi, gaieté de tuer.
(…)
Et pendant tout ce temps, les écrivains écrivent, moi-même j’écris. Romans d’amour, romans “philosophiques”, bricolages formalistes du nouveau roman, misère et honte que tout cela. (…) Il y a quelques temps, je rencontrai une des nouveaux romanciers du nouveau roman. Soljénitsyne venait de recevoir le prix Nobel. Au point de vue “moral”, me dit le bricoleur littéraire du nouveau roman, on a peut-être bien fait de donner le prix Nobel à Soljénitsyne, mais, me dit-il encore en souriant avec fatuité : ” Au point de vue littéraire, Soljénitsyne, ce n’est pas grand chose. ” Je ne lui répondis pas. Mais toute l’expression de son visage exprimait cette pensée : “C’est moi qui mériterais le prix parce que je suis plus grand que Soljénitsyne en littérature.” Le romancier du nouveau roman s’éloigna sans se rendre compte évidemment que tout ce qu’il écrivait c’était de la m…, mais ne soyons pas grossiers. »
Eugène Ionesco, Le Figaro littéraire, 1972 in "Antidotes"
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