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07/04/2014

Un pouvoir absolu supprime d’autant plus radicalement l’histoire qu’il a pour ce faire des intérêts ou des obligations plus impérieux

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« La première intention de la domination spectaculaire était de faire disparaître la connaissance historique en général ; et d’abord presque toutes les informations et tous les commentaires raisonnables sur le plus récent passé. Une si flagrante évidence n’a pas besoin d’être expliquée. Le spectacle organise avec maîtrise l’ignorance de ce qui advient et, tout de suite après, l’oubli de ce qui a pu quand même en être connu. Le plus important est le plus caché. Rien, depuis vingt ans, n’a été recouvert de tant de mensonges commandés que l’histoire de mai 1968. D’utiles leçons ont pourtant été tirées de quelques études démystifiées sur ces journées et leurs origines ; mais c’est le secret de l’État.

En France, il y a déjà une dizaine d’années, un président de la République, oublié depuis mais flottant alors à la surface du spectacle, exprimait naïvement la joie qu’il ressentait, "sachant que nous vivrons désormais dans un monde sans mémoire, où, comme sur la surface de l’eau, l’image chasse indéfiniment l’image". C’est en effet commode pour qui est aux affaires ; et sait y rester. La fin de l’histoire est un plaisant repos pour tout pouvoir présent. Elle lui garantit absolument le succès de l’ensemble de ses entreprises, ou du moins le bruit du succès.

Un pouvoir absolu supprime d’autant plus radicalement l’histoire qu’il a pour ce faire des intérêts ou des obligations plus impérieux, et surtout selon qu’il a trouvé de plus ou moins grandes facilités pratiques d’exécution. Ts’in Che-houang-ti a fait brûler les livres, mais il n’a pas réussi à les faire disparaître tous. Staline avait poussé plus loin la réalisation d’un tel projet dans notre siècle mais, malgré les complicités de toutes sortes qu’il a pu trouver hors des frontières de son empire, il restait une vaste zone du monde inaccessible à sa police, où l’on riait de ses impostures. Le spectaculaire intégré a fait mieux, avec de très nouveaux procédés, et en opérant cette fois mondialement. L’ineptie qui se fait respecter partout, il n’est plus permis d’en rire ; en tout cas il est devenu impossible de faire savoir qu’on en rit.

Le domaine de l’histoire était le mémorable, la totalité des événements dont les conséquences se manifesteraient longtemps. C’était inséparablement la connaissance qui devrait durer, et aiderait à comprendre, au moins partiellement, ce qu’il adviendrait de nouveau : "une acquisition pour toujours", dit Thucydide. Par là l’histoire était la "mesure" d’une nouveauté véritable ; et qui vend la nouveauté a tout intérêt à faire disparaître le moyen de la mesurer. Quand l’important se fait socialement reconnaître comme ce qui est instantané, et va l’être encore l’instant d’après, autre et même, et que remplacera toujours une autre importance instantanée, on peut aussi bien dire que le moyen employé garantit une sorte d’éternité de cette non-importance, qui parle si haut.

Le précieux avantage que le spectacle a retiré de cette "mise hors la loi" de l’histoire, d’avoir déjà condamné toute l’histoire récente à passer à la clandestinité, et d’avoir réussi à faire oublier très généralement l’esprit historique dans la société, c’est d’abord de couvrir sa propre histoire : le mouvement même de sa récente conquête du monde. Son pouvoir apparaît déjà familier, comme s’il avait depuis toujours été là. Tous les usurpateurs ont voulu faire oublier "qu’ils viennent d’arriver". »

Guy Debord, Commentaires sur La société du spectacle

 

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Commentaires

Et en terme kierkegaardien le rapport du desir au fictif du spectacle engendre le caratere démoniaque proprement dit, celui ou la contradiction existentielle n'est pas reprise dans la décision absolue mais ou les contraires se juxtaposent simplement l'un a coté de l'autre dans le médium de l'imagination de sorte que l'individualisme contemporain sans souffrir de la douloureuse naissance d'une pensée, individualisme de clonage qui est absence d'ipseite, ou l'inexistant s'enferme dans la volonté de voir dans le desir ce qui lui donne toujours raison, et non ce qui le révéle au prix fort d'avoir toujours tort devant Dieu. De sorte que l'individu n'a plus d'histoire parce qu'il n'a plus de contradiction a surmonter, et qu'il est pris dans l'illusion de vivre d'une synthese qu'il n'a pourtant jamais librement faite ni choisie et encore moins pensée. de sorte encore, qu'une époque sans histoire est proprement le terreau des caracteres démoniaques qui toujours choisirront leur volonté obsésionnellement finie, temporelle et selon eux inscrit dans une speudo necessité dont le spectacle, parce qu'il en est le reflet, les cautionne au rabais....et le tour est joué, le monde est nivellé par le bas, les caracteres possedent les traits essentiels de la perdition que l'idolatrie fait reluire comme de brillantes vertu...les valeurs sont renversées. CQFD
bye

Écrit par : jerome | 07/04/2014

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