Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/07/2014

Un certain étourdissement de la sensibilité

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Lorsque d'aussi grandes expositions d'artistes incompatibles sont reçues avec autant d'intérêt et d'appréciation, il est clair que ceux qui les visitent ont acquis une forte immunité. C'est pour avoir perdu son mordant que l'art est si bien reçu [par] un public dont l'appétit sans cesse croissant n'a d'égal que l'atrophie progressive des organes réceptifs.
Des propos tenus par Wagner à la veille de sa mort, transcrits par Cosima, allaient déjà dans le même sens, rapporté à la musique : "Hier, entendant parler de la popularité de Manfred de Schumann à Munich, il dit : ils éprouvent tout à fait le même sentiment qu'en écoutant Tristan, un certain étourdissement de la sensibilité, car il n'y a pas trace de jugement artistique."

Au contraire, l'auditeur du XVIIIe siècle, enthousiasmé par l'audace d'une modulation en trois notes pour passer d'un ton au ton relatif, se sentait de connivence avec le compositeur. La compétence musicale était alors à la mode comme l'attestent le nombre, l'étendue et la richesse des articles qui s'y rapportent dans l'Encyclopédie. Le public cultivé connaissait les écrits de Rameau, de d'Alembert, de Jean-Jacques Rousseau. Une théorie musicale en plein révolution jouissait dans l'opinion, de pair avec le système de Newton (des passerelles existaient entre les deux), d'une faveur comparable à celle par quoi s'explique à présent le succès commercial des livres de vulgarisation sur l'astrophysique et la cosmologie. Il y a toutefois une différence : nous lisons les ouvrages de vulgarisation scientifique en consommateurs, tandis que les habitués des salons où on jouait de la musique (et qui, pour beaucoup d'entre eux, en jouaient eux-mêmes) jugeaient plus ou moins en praticiens. Entre l'auditeur et le compositeur, la cloison n'était pas aussi étanche qu'elle l'est devenue aujourd'hui. »

Claude Lévi-Strauss, Regarder, écouter, lire

 

07:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.