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23/07/2014

Affirmer l'Ordre en place

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« La culture supérieure de l’Occident était une culture pré-technologique aussi bien au sens fonctionnel qu’au sens chronologique du terme. Elle devait sa force à l’expérience d’un monde qui n’existe plus, et que l’on ne peut pas retrouver parce que la société technologique le rend strictement impossible. C’était principalement une culture féodale, même lorsque le monde bourgeois lui donnait quelques-unes de ses formulations les plus durables. Elle était féodale parce que […] ses œuvres authentiques exprimaient une désaffection méthodique et consciente à l’égard du monde des affaires et de l’industrie, à l’égard de son ordre fondé sur le calcul et le profit.

 

Dans la littérature cette dimension est représentée par des caractères déchirés, par exemple, l’artiste, la prostituée, la femme adultère, le grand criminel, le proscrit, le guerrier, le poète maudit, Satan, le fou – par ceux qui ne gagent pas leur vie ou qui du moins ne la gagnent pas d’une manière normale et régulière.

Ces caractères, il est vrai, n’ont pas disparu de la littérature de la société industrielle avancée, mais ils survivent essentiellement transformés : la vamp, le héros national, le beatnik, la ménagère névrosée, le gangster, la star, le grand patron, la grande figure charismatique ; leur fonction, très différente, est contraire à celle de leurs prédécesseurs culturels. Ce ne sont plus les images d’une autre manière de vivre mais plutôt des variantes ou des formes de la même vie, elles ne servent plus à nier l’ordre établi, elles servent à l’affirmer. »

 

H. MARCUSE, L’homme unidimensionnel, (1964) 

 

 

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Statu Quo

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« Le changement profond dans nos habitudes de pensée est plus sérieux. Il est dans la façon dont le système dominant coordonne toutes les idées et tous les objectifs avec ceux qu’il produit, dont il les enferme et dont il rejette ceux qui sont inconciliables. L’instauration d’une pareille réalité unidimensionnelle ne signifie pas que le matérialisme règne et que les préoccupations spirituelles, métaphysique et que les activités bohèmes ont disparu. Au contraire, il y a toujours beaucoup de "Prions ensemble cette semaine", de "Pourquoi ne pas essayer Dieu ?", de Zen, "d’existentialisme", des manières de vivre "beat". mais ces formes de protestations et de transcendance n’entrent plus désormais en contradiction avec le statu quo, elles ne sont plus négatives. Elles constituent plutôt la partie cérémonielle d’un behaviorisme pratique, sa négation inoffensive, elles sont rapidement assimilées par le statu quo, elles font partie de son régime de santé. »

H. MARCUSE, L’homme unidimensionnel, (1964)

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Le monde moderne avilit

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« Au lieu d’attendre, de vivre solitaires, de faire n’importe quoi d’autre. De voir venir. De faire venir. De faire n’importe quel autre métier, qui eut été honorable. De se faire, fût-ce de très loin, les annonciateurs, fût-ce très isolés, les préparateurs d’un autre monde, quel qu’il fût - il aurait toujours été meilleur que ce monde moderne - les introducteurs, fût-ce très lointain et très perdus, de n’importe quel autre monde, à venir, d’un tiers monde, d’une tierce création, d’une tierce Rome. Tout eut mieux valu, et infiniment, que ce monde moderne, historique, scientifique, sociologique, incurablement bourgeois.

Quand nous disons moderne, c’est le nom même dont ils se vantent, c’est le nom de leur orgueil et de leur invention, c’est le nom qu’ils aiment, qu’ils revendiquent, ou, comme ils disent, qu’ils affectionnent, c’est le nom d’orgueil fou dont ils revêtent leur orgueil, nomen adjectivum : l’ère moderne, la science moderne, l’Etat moderne, l’école moderne, ils disent même la religion moderne. Il y en a même, plusieurs, qui disent le christianisme moderne. Et il y en a un qui dit : le catholicisme moderne.

Le monde moderne avilit. Il avilit la cité ; il avilit l’homme. Il avilit l’amour ; il avilit la femme. Il avilit la race ; il avilit l’enfant. Il avilit la nation ; il avilit la famille. Il avilit même la mort. »

Charles PEGUY, "Cahiers, IX, I (6 Octobre 1907)", in Œuvres en prose complètes, Paris, Gallimard, Pléiade, 1988, t. II, p. 518, 709 et 720.

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La question de la technique

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« Qu'est-ce que la technique moderne ? Elle aussi est un dévoilement. C'est seulement lorsque nous arrêtons notre regard sur ce trait fondamental que ce qu'il y a de nouveau dans la technique moderne se montre à nous.
Le dévoilement, cependant, qui régit la technique moderne ne se déploie pas en une pro-duction au sens de la poiesis. Le dévoilement qui régit la technique moderne est une pro-vocation par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une énergie qui puisse comme telle être extraite et accumulée. Mais ne peut-on en dire autant du vieux moulin à vent ? Non : ses ailes tournent bien au vent et sont livrées directement à son souffle. Mais si le moulin à vent met à notre disposition l'énergie de l'air en mouvement, ce n'est pas pour l'accumuler.
Une région, au contraire, cet provoquée à l'extraction de charbon et de minerais. L'écorce terrestre se dévoile aujourd'hui comme bassin houiller, le sol comme entrepôt de minerais. Tout autre apparaît le champ que le paysan cultivait autrefois, alors que cultiver signifiait encore : entourer de haies et entourer de soins. Le travail du paysan ne provoque pas la terre cultivable. Quand il sème le grain, il confie la semence aux forces de croissance et il veille à ce qu'elle prospère. Dans l'intervalle, la culture des champs elle aussi, a été prise dans le mouvement aspirant d'un mode de culture d'un autre genre, qui requiert la nature. Il la requiert au sens de la provocation. L'agriculture est aujourd'hui une industrie d'alimentation motorisée. L'air est requis pour la fourniture d'azote, le sol pour celle de minerais, le minerai par exemple pour celle d'uranium, celui-ci pour celle d'énergie atomique, laquelle peut être libérée pour des fins de destruction ou pour une utilisation pacifique. [...]
La centrale électrique est mise en place dans le Rhin. Elle le somme de livrer sa pression hydraulique, qui somme à son tour les turbines de tourner. Ce mouvement fait tourner la machine dont le mécanisme produit le courant électrique, pour lequel la centrale régionale et son réseau sont commis aux fins de transmission. Dans le domaine de ces conséquences s'enchaînant l'une l'autre à partir de la mise en place de l'énergie électrique, le fleuve du Rhin apparaît, lui aussi, comme quelque chose de commis. La centrale n'est pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles unit une rive à l'autre. C'est bien plutôt le fleuve qui est muré dans la centrale. Ce qu'il est aujourd'hui comme fleuve, à savoir fournisseur de pression hydraulique, il l'est de par l'essence de la centrale. [...] Mais le Rhin, répondra-t-on, demeure de toute façon le fleuve du paysage. Soit, mais comment le demeure-t-il ? Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande, l'objet d'une visite organisée par une agence de voyages, laquelle a constitué là-bas une industrie des vacances. »

Martin Heidegger, La question de la technique, in Essais et Conférences, Gallimard

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Ces fêtes de lumières

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« Le parfum du désir qui passe, la grâce en mouvement, ces secondes d’éternité qui glissent le long des paupières effilées, ça et là, la sérénité bouddhiste, ces sourires énigmatiques tournés vers l’intérieur ou vers l’au-delà. Ces vieux sages couleur d’ivoire, ces dieux au visage de pierre qui parlent au soleil, et dans les pagodes, ces femmes aux mains jointes, aux épaules douces, qui méditent sur les mystères du monde ; et en haute région, ces nuits mystérieuses oppressantes, pleines de frémissements, de froissements, d’appels rauques, de cris et de chuchotements. Et ces fêtes de lumières sur les miroirs des rizières et sur les horizons bleutés des calcaires, et ces cathédrales de végétation à la fois prisons et cachettes ; et cette végétation bouillonnante, effervescente, tentaculaire, somptueuse, écrasante, éclatante, et envoûtante comme les drogues. »

Hélie de Saint Marc 

 

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Son cri aigu perça le silence de la pièce

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« Il reposa le sabre ainsi enveloppé sur la natte devant lui, puis se souleva sur les genoux, se réinstalla les jambes croisées et défit les agrafes de son col d’uniforme. Ses yeux ne voyaient plus sa femme. Lentement, un à un, il défit les minces boutons de cuivres. Sa brune poitrine apparut, puis le ventre. Il déboucla son ceinturon et défit les boutons de son pantalon. On vit l’éclat pur et blanc du pagne qui serrait les reins. Le lieutenant le rabattit à deux mains pour dégager davantage le ventre, puis saisit la lame de son sabre. De la main gauche il se massa le ventre, les yeux baissés. Pour s’assurer que le fil de la lame était bien aiguisé, le lieutenant replia la jambe gauche de son pantalon, dégagea un peu la cuisse et coupa légèrement la peau. Le sang remplit aussitôt la blessure et de petits ruisseaux rouges s’écoulèrent qui brillait dans la lumière. [...]. Les yeux du lieutenant fixaient sur sa femme l’intense regard immobile d’un oiseau de proie. Tournant vers lui-même son sabre il se souleva légèrement pour incliner le haut de son corps sur la pointe de son arme. L’étoffe de son uniforme tendue sur ses épaules trahissait l’effort qui mobilisait toutes ses forces. Il visait à gauche au plus profond de son ventre. Son cri aigu perça le silence de la pièce. »

Yukio Mishima, La mort en été

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