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27/07/2014

Les hommes dignes de ce nom respirent toujours dans une atmosphère tragique

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« Mais pourquoi parler seulement d’un problème européen ? Il y a un problème mondial : le trouble de la culture et de l’esprit humains. Un Américain de vieille souche anglo-saxonne qui se voit débordé dans son pays par le flot montant des races, un Allemand de Weimar, un Anglais d’Oxford, un Chinois de la vieille civilisation chinoise, connaissent la même angoisse que le Français qui voit s’effriter ses traditions séculaires. Nous vivons un drame planétaire. Tous, nous en éprouvons l’obscure conscience. Les plus lucides d’entre nous essaient d’en découvrir les conditions. Pour ma part, j’attendais de la révolution russe, il y a huit ou dix ans, une délivrance, un retour à l’esprit. Hypothèse simpliste : la Russie essaie hardiment de jumeler le mouvement de la machine et le mouvement de l’esprit, seule direction possible. Nous assistons de toutes parts à la disparition des vieilles cultures et à l’avènement de quelque chose d’inconnu qui les remplacera et que nous sommes encore incapables de définir : l’effet produit est celui d’une décadence, d’une décomposition complètes. Spengler prétend que chaque civilisation est un organisme vivant qui naît, croît, décroît et meurt, selon les lois biologiques. Je crois, en effet, que nous assistons à l’agonie de la civilisation occidentale, mais ses derniers moments peuvent être bien étranges, bien curieux. Le dernier jour de la vie est aussi passionnant que le premier ; les hommes dignes de ce nom respirent toujours dans une atmosphère tragique. »

Pierre Drieu La Rochelle, Entretien paru dans la revue "Comœdia", le 5 septembre 1928

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Une expression humaine

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« "Pourquoi as-tu tiré, dit un officier ? Tu le sais bien, pourquoi me le demandes-tu ?", répond l’enfant. Calme, intrépide devant la mort à laquelle il échappe seulement à cause d’une réponse encore plus téméraire faite à une seconde question. "J’ai un œil en verre, lui dit l’officier. Si tu peux me dire tout de suite, sans réfléchir, lequel des deux, je te laisse partir." "L’œil gauche" répond aussitôt le garçon. "Comment as-tu fait pour t’en apercevoir ?", demande, surpris, l’officier, fier d’être le citoyen d’un pays ou "l’on fabrique les plus beaux yeux de verre du monde". Et l’enfant de dire tranquillement, sereinement : "Parce que, des deux, c’est le seul qui ait une expression humaine." »

Curzio Malaparte, Kaputt

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L'école ne convient qu’aux médiocres, dont elle assure le triomphe

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« La laideur des collèges n’est pas accidentelle. C’est celle-même du régime. L’architecture de nos "palais scolaires" symbolise d’une façon frappante ce qu’il y a de schématique et de monotone dans la conception démocratique du monde. Entrons, c’est pire encore.

"Les examens faussent complètement l’esprit de l’enseignement", lit-on jusque sous la plume de divers maîtres primaires et secondaires. Ils n’en sont pas moins devenus le but même de l’instruction ; la fin justifie les moyens et à quoi l’on subordonne tout, plaisir, goût du travail, qualité du travail, santé, liberté, sens de la justice et autres balivernes, instruction véritable et autres plaisanteries de gros calibre, car à la vérité ce n’est pas d’enseigner qu’il s’agit, mais de soumettre les esprits au contrôle de l’Etat, voyons donc, – n’avez-vous pas honte de vous faire rappeler sans cesse des vérités aussi élémentaires.

Le bon sens voudrait qu’on étudie d’abord la science dans sa réalité, puis qu’on se réfère au résumé comme à un aide-mémoire. Mais l’école veut qu’on commence par apprendre le résumé. D’ailleurs elle s’arrête là.

Les manuels ne correspondent à aucune réalité. Ils ne renferment rien qui soit de première main, rien qui soit authentique. Ils négligent toutes les particularités, toutes les « prises » où pourrait s’accrocher l’intérêt. Ils dispensent de tout contact direct avec ce dont ils traitent. Or la valeur éducative des choses n’apparaît qu’à celui qui entre en commerce intime avec elles. On apprend plus de deux que de mille, dit un sage oriental dont j’ai oublié le nom.

La discipline primaire forme des gobeurs et des inertes, fournit des moutons aux partis.

Ce ne sont pas seulement les meilleurs qui sont sacrifiés. Voici ce que M. E. Duvillard dit des enfants peu doués pour les disciplines scolaires : "Les épaves scolaires, faute d’un traitement pédagogique approprié, tombent dans une apathie intellectuelle qui les conduit souvent à l’imbécillité et au vice."

Je crois à l’absurdité de fait de l’instruction publique. Je crois aussi qu’on ne peut réformer l’absurde. Je demande seulement qu’on m’explique pourquoi il triomphe et se perpétue ; de quel droit il nous écrase.

La réponse est simple, terriblement simple : du droit de la Démocratie.

L’instruction publique et la Démocratie sont sœurs siamoises. Elles sont nées en même temps. Elles ont crû et embelli d’un même mouvement. Morigéner l’une c’est faire pleurer l’autre. Écouter ce que dit l’une, c’est savoir ce que l’autre pense. Elles ne mourront qu’ensemble. Il n’y aura qu’une oraison. Laïque.

Car il faut bien se représenter qu’elle [l'instruction publique] n’était encore au XVIIIe siècle qu’une utopie de partisans. Il ne serait guère plus fou aujourd'hui qu’on répande universellement et obligatoirement l’art du saxophone ou de la balalaïka.

A peine capable de nous instruire, l’Ecole prétend ouvertement nous éduquer. D'ailleurs elle y est obligée dans la mesure où elle réalise son ambition : soustraire les enfants à l’Eglise et à la famille. L’école exige donc que les meilleurs ralentissent et que les plus faibles se forcent. Elle ne convient donc qu’aux médiocres, dont elle assure le triomphe.

L’école s’attaque impitoyablement aux natures d’exception, et les réduit avec acharnement à son commun dénominateur.

Il n’y a pas d’égalité réelle possible tant que la loi est la même pour tous. »

Denis de Rougemont, Méfaits de l’Instruction publique

 

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