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28/07/2014

Ce furent les citadins qui commencèrent à apprécier la terre en tant que "nature"

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Des romantiques condamnent les théories économiques concernant le sol, comme entachées d'un esprit étroitement utilitaire. Les économistes, disent-ils, regardent la terre avec les yeux du spéculateur insensible qui dégrade toutes les valeurs éternelles en parlant de monnaie et de profits. Et pourtant, la glèbe est bien davantage qu'un simple facteur de production. Elle est la source intarissable de l'énergie humaine, de la vie humaine. L'agriculture n'est pas simplement une branche de production parmi bien d'autres. C'est la seule activité naturelle et respectable de l'homme, la seule condition digne d'une existence vraiment humaine. Il est inique d'en juger seulement en fonction des revenus nets que l'on peut extorquer au sol. La terre ne fait pas que porter les fruits qui nourrissent notre corps ; elle produit avant tout les forces morales et spirituelles de la civilisation. Les villes, les industries de transformation et le commerce sont des phénomènes de perversion et de décadence ; leur existence est parasitaire ; elle détruit ce que le laboureur doit sans cesse créer à nouveau.

Il y a des milliers d'années, lorsque les tribus de pêcheurs et de chasseurs commencèrent à cultiver la terre, la rêverie romantique était inconnue. Mais s'il y avait eu alors des romantiques, ils auraient célébré les nobles valeurs morales de la chasse et auraient stigmatisé la culture de la terre comme un symptôme de dépravation. Ils auraient blâmé le laboureur, profanateur du sol que les dieux avaient donné aux hommes comme terrain de chasse, en le rabaissant au rang d'instrument de production.

Aux époques d'avant le romantisme, personne en agissant ne considérait le sol comme autre chose qu'une source de bien-être humain, comme un moyen pour promouvoir une vie aisée. Les rites magiques et observances concernant la terre ne visaient à rien d'autre que d'améliorer la fertilité du sol, et d'augmenter la quantité de fruits à récolter. Les gens ne recherchaient pas une union mystique avec les mystérieux pouvoirs et forces cachées dans le sol. Tout ce qu'ils voulaient, c'étaient des récoltes plus abondantes et meilleures. Ils recouraient à des rites magiques et des supplications, parce que dans leur idée c'était la méthode la plus efficace pour parvenir aux buts recherchés. Leurs descendants raffinés se sont trompés en interprétant ces cérémonies d'un point de vue "idéaliste". Un vrai paysan ne se livre pas à des bavardages extatiques à propos du sol et de ses pouvoirs mystérieux. Pour lui, la terre est un facteur de production, non un objet d'émotions sentimentales. Il en convoite davantage parce qu'il souhaite augmenter son revenu et améliorer son niveau de vie. Les agriculteurs achètent de la terre et empruntent en l'hypothéquant ; ils vendent le produit du sol, et s'indignent très fort quand les prix ne sont pas aussi élevés qu'ils l'auraient voulu.

L'amour de la nature et l'appréciation des beautés du paysage étaient étrangers à la population rurale. Les habitants des villes les ont apportés à la campagne. Ce furent les citadins qui commencèrent à apprécier la terre en tant que "nature", alors que les ruraux l'évaluaient seulement à raison de sa productivité pour la chasse, l'abattage, les moissons et l'élevage. De temps immémorial, les rochers et les glaciers des Alpes n'étaient aux yeux des montagnards que des espaces stériles. C'est seulement quand les citadins s'aventurèrent à escalader les pics, et apportèrent de l'argent aux vallées, qu'ils changèrent d'idée. Les pionniers de l'alpinisme et du ski furent pour les indigènes des personnages ridicules, jusqu'au moment où ils se rendirent compte des gains qu'ils pouvaient tirer de cette excentricité.

Ce ne furent pas des bergers, mais des aristocrates et des bourgeois raffinés qui s'adonnèrent à la poésie bucolique. Daphnis et Chloé sont la création de l'imagination, et fort éloignés des soucis terre à terre. Il n'y a pas de rapports non plus entre ce qu'est la terre et le mythe politique qu'en ont fait les modernes. Ce mythe ne s'est pas développé dans la mousse des forêts et le limon des champs, mais sur le pavé des villes et le tapis des salons. Les cultivateurs s'en servent parce qu'ils y trouvent un moyen pratique pour obtenir des privilèges politiques qui font monter le prix de leurs produits et de leurs fermes. »

Ludwig von Mises, L'Action Humaine

 

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