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06/10/2014

Arbre de l'avenir

=--=Publié dans la Catégorie "Friedrich Nietzsche"=--=

 

« L'Oeuvre napoléonienne, l'oeuvre effrayante, effraye d'abord son auteur même. Nietzsche n'ignore pas où le mène cette "via mala" des conséquences sur laquelle il s'est engagé. Il a étroitement lié sa volonté de puissance aux forces aveugles, aux forces avides, que le physicien, le biologiste, étudient dans leur laboratoires. Or, si une volonté aveuglément avide est au centre de l'univers, est ce centre même (Nietzsche a choisi cette hypothèse), tout ce qui ne correspond pas exactement à cette volonté est le signe d'une vacillation, d'une défaillance. Nietzsche observe l'Antiquité, la Renaissance, deux époques où l'homme, assurément, fut grand. Cette grandeur, observe-t-il, est due à l'alliage d'une certaine promptitude, d'un certain raffinement de l'esprit, avec une certaine violence, cruauté des instincts. Séparé de cette cruauté, l'homme est un être qui faiblit, décline.

Ainsi la vertu (virtù) fut comprise par Alcibiade et César aux temps antiques, aux siècles renaissants par les grands Méditerranéens dont Nietzsche subit la fascination, les Machiavel et les Napoléon. Violence et cruauté : ces dispositions lui sont totalement étrangères, et l'attirent d'autant plus. Il se surveille pourtant, il examine l'attirance. Doit-il lui céder ? "Il faut avoir le courage de la nudité psychologique", a-t-il écrit. Ce courage l'oblige-t-il à compter, les vertus éminentes de l'homme, la cruauté, et à toujours penser contre lui-même ? N'y a-t-il pas , pour l'homme, d'autre victoire que la victoire sur la pitié ? La force n'a-t-elle pas ses modalités ? Écoutons-le :

"On adore la force à genoux – selon la vieille habitude des esclaves – et pourtant, lorsqu'il faut déterminer le degré de vénérabilité, c'est le degré de raison dans la force qui importe : il faut évaluer en quelle mesure la force a été surmontée, à quelles fins elle obéit comme instrument et comme moyen ! Mais pour de pareilles évaluations, les yeux ne sont pas dessillés : on va même jusqu'à considérer comme un blasphème l'évaluation du génie. Ainsi le spectacle le plus beau est peut-être voué à l'obscurité et, à peine surgi, disparaît dans la nuit éternelle – je veux dire le spectacle de cette force qu'un génie emploie, non à des œuvres, mais au développement de soi-même, en tant qu'oeuvre, c'est-à-dire dans les inspiration, et dans les tâches qui surviennent. Le grand homme reste invisible, comme une étoile lointaine, dans ce qu'il y a de plus admirable : sa victoire sur la force demeure sans témoins, elle n'est glorifiée nu chantée."

Lisant cette page, il faut qu'on pense à Goethe vainqueur de sa propre violence, à ce Goethe de Weimar auquel Nietzsche a voué un culte qui s'accroîtra sans cesse. Le texte que nous venons de citer date de 1881. Mais il reste valable. Une courte note, plus tard, montre combien reste tenace en Nietzsche le sens de la vénération :

"J'ai sondé les origines ; alors je suis devenu étranger à tous les respects – tout s'est fait étrange et solitaire autour de moi. Mais la vertu de vénération au fond de moi a germé en secret et un arbre a poussé l'ombre duquel je me repose, arbre de l'avenir". »

Daniel Halévy, Nietzsche

 

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