09/12/2014
Cette hyperbole sans espoir
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« Et ton théâtre fut. Tu ne consentis pas à attendre que cette vie, presque sans réalité dans l’espace, condensée par le poids des siècles en fines gouttelettes, fût décelée par les autres arts, qu’elle fût peu à peu rendue visible au petit nombre et que peu à peu ceux-là qui communieraient dans cette connaissance, finissent par désirer de se voir ensemble confirmer ces rumeurs augustes, dans la parabole de la scène ouverte sous leurs yeux. Non, tu ne voulus pas attendre si longtemps.
Ah ! et où ensuite, où ensuite ? Ton cœur te chasse hors de toi-même, ton cœur te poursuit, et tu es déjà presque hors de toi, et tu ne peux plus. Comme un scarabée sur lequel on a marché, tu coules hors de toi-même et ton peu de dureté ou d’élasticité n’a plus de sens. »
« Désespéré comme tu finis par être, toi-même dont la route est mal dessinée sur les cartes. Comme une fêlure elle traverse le ciel, cette hyperbole sans espoir, qui ne s’incline qu’une seule fois vers nous et s’en éloigne de nouveau terrifiée. Que t’importait qu’une femme restât ou partît, que le vertige saisît quelqu’un et la folie quelqu’autre, que les morts fussent vivants et que les vivants pussent sembler morts ; que t’importait tout cela ? Tout cela était si naturel pour toi ; tu le franchissais, comme on traverse un vestibule, sans t’arrêter. »
Rainer Maria Rilke, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge
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