21/12/2014
Drieu, il s’est trompé, mais il était sincère, il l’a prouvé...
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« J’ai vu des auteurs qui, avant la guerre appelaient le fascisme de tous leurs vœux, frappés de stérilité dans le moment même que les Nazis les comblaient d’honneurs. Je pense surtout à Drieu la Rochelle : il s’est trompé, mais il était sincère, il l’a prouvé. Il avait accepté de diriger une revue inspirée. Les premiers mois il admonestait, chapitrait, sermonnait ses compatriotes. Personne ne lui répondit : c’est parce qu’on n’était plus libre de le faire. Il en témoigna de l’humeur, il ne sentait plus ses lecteurs. Il se montra plus pressant mais aucun signe ne vint lui prouver qu’il avait été compris. Aucun signe de haine, ni de colère non plus : rien. Il parut désorienté, en proie à une agitation grandissante, il se plaignit amèrement aux Allemands ; ses articles étaient superbes, ils devinrent aigres ; le moment arriva où il se frappa la poitrine : nul écho, sauf chez des journalistes vendus qu’il méprisait. Il offrit sa démission, la reprit, parla encore, toujours dans le désert. Finalement il se tût, bâillonné par le silence des autres. Il avait réclamé leur asservissement mais, dans sa tête folle, il avait dû l’imaginer volontaire, libre encore ; il vint ; l’homme en lui s’en félicita bien haut, mais l’écrivain ne put le supporter. Au même moment d’autres, qui furent heureusement le plus grand nombre, comprenaient que la liberté d’écrire implique la liberté du citoyen. On n’écrit pas pour des esclaves. L’art de la prose est solidaire du seul régime où la prose garde un sens : la démocratie. Quand l’une est menacée, l’autre l’est aussi. Et ce n’est pas assez que de les défendre par la plume. Un jour vient où la plume est contrainte de s’arrêter et il faut alors que l’écrivain prenne les armes. Ainsi de quelque façon que vous y soyez venu, quelles que soient les opinions que vous ayez professées, la littérature vous jette dans la bataille ; écrire c’est une certaine façon de vouloir la liberté ; si vous avez commencé, de gré ou de force vous êtes engagé. »
Jean-Paul Sartre, Les épées
Comme chacun le sait (laissez-moi rêver deux secondes) Sartre a pris les armes... en se faisant éditer chez Gallimard en pleine occupation... en faisant jouer ses pièces qui passaient la censure, non sans un coup de main de Drieu la Rochelle via ses connaissances gestapistes... C'est ce qui s'appelle cracher dans la soupe.
Pendant ce temps-là, Albert Camus, lui, risquait sa peau.
23:31 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Les commentaires sont fermés.