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15/05/2015

"La justice sans peine de mort" par Alexandre Meloni

=--=Publié dans la Catégorie "Le Salut par les Juifs"=--=

 

 

Le judaïsme a une très haute considération du rôle que l'homme a dans la création et, surtout, du fait que les hommes sont associés à Dieu dans le maintien de la création. Un des éléments qui consolide la création divine est le principe de justice qui doit exister dans le monde et la société humaine.

Cette idée est contenue dans le verset de Deutéronome (XVI, 20) qui dit :
« La justice, la justice que tu dois poursuivre (rechercher) afin que tu vives... »

Cette répétition et insistance dans le verset existe pour nous enseigner que la recherche de la justice doit se faire dans tous les domaines de la vie que ce soit le domaine du religieux, des rapports humains ou au niveau économique, politique et social. L'idée de justice dans ce que l'homme fait, dans toutes ses actions, doit être omniprésente. Il ne peut exister la paix et la fraternité dans la société humaine sans qu'une justice sans faille, ni compromis, ne règne.

Pour cela dans la Torah existe, pour les transgressions graves, transgressions qui remettent en cause la stabilité sociale et religieuse, une peine qui est exemplaire et définitive : la peine de mort.

La Thora présentera une série précise de cas où cette peine sera requise.

La peine de mort est encourue pour :

Le viol
L'enlèvement des personnes à fin de gain
La sorcellerie
L'Avodà Zarà (le culte païen impliquant des sacrifices humain ou la prostitution sacrée)
La violation du Shabbath publiquement
Le fils rebelle (Ben Sorer Ou-Moreh)
La ville qui se convertit en entier au paganisme (‘Yrat Dakhat)
Le meurtre avec préméditation
L'adultère
L'homosexualité
La fille du prêtre prostituée
Le blasphème du nom de Dieu
L'inceste
Pour quiconque frappe ou maudit ses parents
Pour quiconque s'accouple avec une bête

Et évidemment il existe plusieurs types d'exécution en fonction de la faute :

par le feu (bûcher)
par lapidation
par pendaison
par l'épée

La question qui vient automatiquement à l'esprit est : Ces peines ont-elles été appliquées ? Et comment ?

Il y eut sûrement quelques applications de peine de mort et la Mishnà et le Talmud en parlent. Mais en fait, ces exécutions sont d'une extrême rareté car dès l'origine les rabbins vont mettre en place un système d'une grande complexité afin d'éviter d'arriver à l'exécution. En réalité ce qui va les obséder, c'est la peur de l'erreur judiciaire et la condamnation d'un innocent.

Tout d'abord, il est évident pour les rabbins que la peine de mort n'est pas une vengeance de la société vis-à-vis du condamné. Il ne s'agit pas pour les juges d'être partie prenante d'une quelconque punition qui puisse satisfaire l'égo de la société.

De fait pour les cas où la peine de mort pourrait être requise il faut 23 membres du Sanhédrin qui ne soient pas trop jeunes (car ils manqueraient d'expérience de la vie), ni trop vieux (car ils seraient trop sévères), qu'ils aient des enfants (car ils doivent avoir présent à l'esprit ce qu'est être père comme être fils), être érudits et donc avoir le titre de maîtres. Ce Sanhédrin sera, à son tour, contrôlé dans sa fonction par les autres membres du Sanhédrin afin de vérifier que les décisions soient prises en fonction de la Torah et de la justice et qu'ils ne subissent pas de pression politique, comme par exemple, celle du roi qui voudrait obtenir la mort d'un condamné.

Comme il est facile de le constater la formation et la convocation de ce tribunal n'est pas chose simple.

Maintenant, sur quelles bases se convoque ce procès ?

Uniquement sur la base de deux témoins, au minimum. Cependant, ces témoins doivent obligatoirement être des témoins oculaires directs. Ils ne pourront déposer que s'ils ont vus ce qui s'est passé et donc faire condamner. Il faut savoir que si l'accusé est condamné à mort, ce sont les témoins eux même qui, le cas échéant, exécuteront la sentence sur la base du verset du Deutéronome (XVII, 7) :

« La main des témoins sera la première (à frapper) pour le faire mourir et la main du peuple en dernier lieu. »

Cette loi, où c'est le témoin qui doit exécuter la sentence et devenir le bourreau, existe pour deux raisons : Tout d'abord il s'agit de dissuader les faux témoignages et éviter les accusations faites pour nuire, ensuite parce qu'il est nécessaire que le témoin comprenne combien témoigner n'est pas un simple acte où l'on rapporte un fait mais que ce témoignage implique d'en assumer toute les conséquences et les responsabilités. Enfin il s'agit de comprendre que témoigner amène la mort d'un homme et que de cette mort il en est aussi responsable.

Maintenant nous constatons qu'il manque une figure dans ce tribunal : c'est celle du procureur. Il n'y a pas ce que l'on appelle un avocat de l'accusation. Ce rôle est tenu par les témoins eux-mêmes. La raison en est que les rabbins connaissent le pouvoir de la parole et savent qu'un grand orateur peut persuader de condamner, même sur des bases très faibles, et ce peut porter à la pire des choses : la condamnation d'un innocent.

Il n'est pas prévu non plus d'avocat de la défense, ni de jurés d'ailleurs.
En fait, ce sont les 23 membres du tribunal qui vont assumer ce rôle de défense. En effet les témoins, après avoir été interrogés de manière approfondie séparément et que leurs témoignages concordent, exposeront les faits. Une fois ceux-ci exposés, les membres un à un et du moins prestigieux au plus prestigieux, c'est-à-dire du maître le moins « érudit » au plus « érudit » (cela afin d'éviter que ceux qui ont moins d'importance ne soient influencés par le prestige des plus grands maitres), prendront la parole soit en défense soit à charge de l'accusé.

Si le membre a pris la défense de l'accusé il ne pourra plus changer de position. Cela signifie que si, en écoutant les autres membres, il se convainc de la culpabilité il ne pourra pas reprendre la parole et accuser. Il se taira et ce jusqu'à ce qu'il émette son verdict.

Par contre si le membre du Sanhédrin commence par être accusateur mais que par la suite, il se convainc de l'innocence, il pourra exprimer son avis et le faire savoir mais ne pourra plus changer et redevenir accusateur.

Si nous y regardons de plus près ce système est fait pour que l'accusé bénéficie, a priori, de 23 défenseurs.

De plus un autre principe fondamental existe : Les aveux de l'accusé n'ont pas de valeur. En effet, les aveux de quelqu'un qui s'accuse d'un crime pouvant avoir comme conséquence la peine de mort sont considérés comme un acte de suicide et donc non recevables.

Enfin, dès que le moindre doute subsiste ou apparaît, le tribunal doit reconnaître et admettre son incapacité à trancher. Il doit se récuser et s'abstenir et renvoyer le cas à, si je puis dire, l'instance supérieure qui est Dieu lui-même. Il vaut mieux ne pas prononcer de verdict plutôt que d'assumer le risque d'une erreur, même infime, et condamner un innocent. S'il est coupable, tôt ou tard, Dieu lui infligera la peine qu'il mérite.

Ainsi la peine de mort a été abolie, De Facto, dans son application vers 30 e.v c'est-à-dire durant la période du début de la rédaction de la Mishnà et bien avant la rédaction du Talmud. En fait tout ces éléments ont été renforcés plusieurs fois et ont donné lieu à des prises de position très claires contre la peine de mort. Ainsi dans le Traité Makkot (7a) du Talmud il est écrit :

« Un Sanhédrin (un tribunal) qui prononce une condamnation à mort en sept ans est appelé sanguinaire, selon d'autres opinions, une fois tout les soixante dix ans. »

Rabbi Tarphon et Rabbi Akivà ont enseigné : « Si nous avions siégés dans un Sanhédrin, il n'y aurait jamais eu de condamnation ».

Nous voyons, ainsi, que les sages tout en respectant le texte car il n'est pas possible de l'abolir, font en sorte de se rendre inaptes à émettre la sentence de mort. Cependant le principe de justice doit rester car sans justice une société est vouée à la destruction. En fait les maitres s'adressent, avant tout, à la conscience des hommes qui doivent tout faire pour se comporter sur la base de ce qui est écrit dans les Pirké Avoth (chap. I, Mishnà 18) :

« Rabban Shim'on ben Gamliel disait : « sur trois choses repose le monde : Sur la justice, sur la vérité et sur la paix » comme il est écrit (Zac. VIII, 16) : Vérité et justice de paix vous jugerez dans vos portes ».

La peine de mort pose un véritable problème à la conscience morale pour nous, hommes du XXIe siècle.
C'est d'ailleurs un signe de maturité de nos civilisations.

Il nous faut comprendre que dans la société juive, que j'appellerai biblique, le religieux et le politique sont intimement liés. Bien sûr, les instances du pouvoir sont séparées (la royauté, le Sanhédrin avec les juges et le Temple avec les prêtres) mais le religieux est le cœur de la cité autour duquel tout se vit comme le Miskàn [le Temple portable] était au centre du campement du peuple hébreu dans le désert.

Toute transgression volontaire qui touche au fondement de la nature humaine et de la foi conduit à un rejet et même à un effondrement des valeurs sur lesquelles la société juive repose. Pour cela la peine de mort est donc invoquée. Cependant cette peine de mort ne fut, depuis toujours, que très rarement appliquée et les maîtres du Talmud l'ont pratiquement abolie, non pas en l'annulant mais en imposant un ensemble de conditions tellement difficiles et complexes pour émettre la sentence et l'appliquer, que cela devint impossible à mettre en pratique.

Il ne faut pas penser que l'abolition « De Facto » portera en soit le risque d'une déliquescence et de recrudescence des transgressions. En fait les maîtres avaient compris dès le départ, que la peine de mort n'existait pas comme peine dissuasive, en effet la peine de mort ne freine pas le transgresseur. Il s'agit donc, pour les sages de travailler à un autre niveau et c'est celui de la formation éthique et morale du peuple juif.

C'est pour cette raison que se développe dans la culture juive le « culte » de l'étude et de l'éducation.

Faire accéder chaque juif à la connaissance deviendra un élément central du judaïsme et cette éducation fera que la non-application de la peine de mort « De facto », même si « De jure » elle ne sera jamais abolie, n'aura pas d'impact sur le concept de justice et continuera à avoir l'effet voulu qui est celui de faire comprendre la gravité de la faute. Le principe de peine de mort devient alors le " mètre étalon " qui met en évidence la gravité de la faute commise et non plus une peine réelle.
Et cela est vrai pour toutes les transgressions où la peine de mort est requise.

 

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SOURCE du Texte

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