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22/05/2015

Sans un mot, ils contemplent cette dernière défaite...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Le lendemain, à quatorze heures, dans un nuage de poussière torride, nous arrivons, parmi mille autres voitures, sur le lieu des danses. En voulant nous garer près de la sortie, nous nous laissons coincer et nous ne pourrons partir qu’en dernier. Premier malheur ! Nous croyons arriver dans un village indien ; nous sommes dans un champ de courses. Le village indien est bien là, au milieu, mais il est en carton, genre Hollywood. Entrée : un dollar. Un programme (ça sonne mal), et sur ce programme : "Les danseurs que vous allez voir sont tous des Blancs, businessmen et women de Prescott qui, désireux de conserver la tradition symbolique des danses indiennes, consacrent leurs loisirs"..., etc. Ça y est, nous sommes refaits et bien refaits. Et on nous a fait venir de Los Angeles pour voir ça ! Pouvoir de la publicité. Il y a bien trois mille personnes. Le spectacle dépasse toutes les prévisions. Les fonctionnaires et les dames du téléphone de Prescott assouvissent avec feu le besoin d’exhibitionnisme qu’il faut croire inhérent à leurs fonctions. Le corps teint d’un bronze qui déteint aux aisselles, un mince chiffon rouge coincé dans des chairs opulentes, ils sautillent, tels les élèves de Dalcroze, en poussant des gloussements symboliques. Ils n’ont probablement jamais vu une danse indienne ni une danse primitive quelconque autrement qu’en film. Le public trouve ça très bien et applaudit aux effets de croupe. Du moins le public des premiers rangs car le haut des gradins est rempli d’une foule silencieuse d’hommes petits, aux chemises brillantes et aux sourcils froncés, et de femmes énormes, couvertes d’enfants : les Indiens, les vrais.
Sans un mot, ils contemplent cette dernière défaite : le vainqueur couvert de leurs dépouilles et imitant burlesquement les danses qu’ils dansaient pour les dieux. »

Alain Daniélou, Le tour du monde en 1936

 

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