22/05/2015
Un assassin à la plume
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« Un assassin à la plume est encore plus dangereux pour la société qu’un meurtrier au couteau, car son crime se répète inlassablement lecteur après lecteur. Je suis devenue raide-dingue d’un tueur incestueux fasciste et suicidaire par procuration littéraire. Un écrivain de droite quoi. Français de surcroît. Les pires. Leur réaction se manifeste dans la destruction. Leur ironie se plaît dans la tragédie. Leur idéalisme se consume dans le cynisme. Leur soif inassouvie de l’amour exclusif se gâche dans l’infidélité chronique. Leur croyance romantique et pure se noie dans les grands crus et les cocktails troubles. In vino “delitas”. Leur respect extrême dans les valeurs, déçu, se perd dans le nihilisme. Saupoudré de trop d’humour, leur amour transforme vos rires complices des premiers jours en larmes de solitude. Dès que j’ai vu Roger, puis, après que je l’aie lu, j’ai su qu’il était de ces jeunes gens gâtés qui finissent par casser leurs plus beaux jouets à force de vouloir prendre la vie comme une farce aussi ludique que morbide. Les fascistes ne sont-ils pas tous des fascinés de la mort ? Les suicidaires, des effrayés de la fin. Et les suicidés, des jeunes hommes, si non rassurés, tout du moins apaisés. “Viva la muerte” n’était certainement pas le cri de guerre préféré de Sartre et Malraux. Étouffé ou scandé, il a toujours été l’appel désespéré d’une jeunesse extrême refusant tellement la déchéance du temps qu’elle est capable des pires excès, des plus atroces compromissions, paradoxalement par une crainte presque naïve, puérile et pure, des compromis et de la fin. Ces jeunes impertinents qui toujours refusent de douter des idéaux qu’ils savent pertinemment douteux parce que, quitte à choisir de faire une connerie, ils préféreront toujours être des cons damnés que des cons promis. »
Edmond Tran, “Martine et Roger”, in Revue Bordel n°17: Hussards
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Sans un mot, ils contemplent cette dernière défaite...
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« Le lendemain, à quatorze heures, dans un nuage de poussière torride, nous arrivons, parmi mille autres voitures, sur le lieu des danses. En voulant nous garer près de la sortie, nous nous laissons coincer et nous ne pourrons partir qu’en dernier. Premier malheur ! Nous croyons arriver dans un village indien ; nous sommes dans un champ de courses. Le village indien est bien là, au milieu, mais il est en carton, genre Hollywood. Entrée : un dollar. Un programme (ça sonne mal), et sur ce programme : "Les danseurs que vous allez voir sont tous des Blancs, businessmen et women de Prescott qui, désireux de conserver la tradition symbolique des danses indiennes, consacrent leurs loisirs"..., etc. Ça y est, nous sommes refaits et bien refaits. Et on nous a fait venir de Los Angeles pour voir ça ! Pouvoir de la publicité. Il y a bien trois mille personnes. Le spectacle dépasse toutes les prévisions. Les fonctionnaires et les dames du téléphone de Prescott assouvissent avec feu le besoin d’exhibitionnisme qu’il faut croire inhérent à leurs fonctions. Le corps teint d’un bronze qui déteint aux aisselles, un mince chiffon rouge coincé dans des chairs opulentes, ils sautillent, tels les élèves de Dalcroze, en poussant des gloussements symboliques. Ils n’ont probablement jamais vu une danse indienne ni une danse primitive quelconque autrement qu’en film. Le public trouve ça très bien et applaudit aux effets de croupe. Du moins le public des premiers rangs car le haut des gradins est rempli d’une foule silencieuse d’hommes petits, aux chemises brillantes et aux sourcils froncés, et de femmes énormes, couvertes d’enfants : les Indiens, les vrais.
Sans un mot, ils contemplent cette dernière défaite : le vainqueur couvert de leurs dépouilles et imitant burlesquement les danses qu’ils dansaient pour les dieux. »
Alain Daniélou, Le tour du monde en 1936
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