29/10/2015
Michel Onfray : Dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité
=--=Publié dans la Catégorie "Franc-tireur"=--=
Michel Onfray a donné une longue entrevue au Magazine "Eléments". Questionné par Alain de Benoist, il balance quelques missives en direction de la bien-pensance franchouillarde... et, bien entendu, toute la Gôche se fait caca dessus. Car, comprenez-vous, la presse bien-pensante a le droit de soliciter Jean-Marie Le Pen ou Alain de Benoist pour un entretien, mais la Presse Alternative de Droite n'a pas le droit de demander à un homme de gauche de répondre à ses questions... sinon ça fait tache ! Et elle aime rester propre, la Gôche franchouillarde... la vertu avant toute chose...
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On ne présente plus Michel Onfray. Infatigable animateur de l’Université populaire de Caen philosophe réfractaire aux coteries parisiennes, tout ensemble proudhonien, camusien et même péguyste (au religieux près), charnel et enraciné dans sa terre normande, adversaire des bien-pensants, il est libre comme on n’ose plus l’être aujourd’hui. « À une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire », disait Orwell. Michel Onfray a choisi de la dire. Silence, on parle !
ÉLÉMENTS : Pour avoir déclaré, en mars dernier, qu’il vous importe plus de savoir si une idée est juste ou fausse que de savoir si elle provient de la gauche ou de la droite, vous vous étiez attiré de grotesques « réprimandes » de la part de Manuel Valls, que vous aviez alors traité publiquement de « crétin ». Depuis lors, les attaques contre vous n’ont pas cessé. On vous reproche, comme à bien d’autres, d’avoir « viré à droite ». Qu’en pensez-vous ?
MICHEL ONFRAY : Depuis l’accueil hystérique et malveillant de mon livre sur Freud en 2010, j’ai vu fonctionner en pleine lumière les rouages de la machine idéologique de cette prétendue gauche irrémédiablement parisienne, mondaine affairiste, vaniteuse, frivole et narcissique. Depuis, je me moque absolument de ce qu’on dit et de ce qu’on écrit sur mon compte tant le délire fait la loi en la matière. J’ai pour hygiène de ne rien lire de ce qui est écrit sur moi, que ce soit pour ou contre. Notre époque est marquée par le nihilisme, et le ressentiment est le signe distinctif du nihilisme. La petitesse, qui est grande, fait la loi et avec elle les passions tristes : l’envie, la jalousie, la méchanceté, la bêtise. Ces passions-là sont le carburant de la presse idéologique de gauche qui préfère une idée débile de gauche, parce que la gauche dit toujours la vérité, bien sûr, et qui transforme en homme de droite quiconque aura dit de cette idée débile qu’elle est débile. Ce pavlovisme est un marqueur de la presse de gauche. On n’y pense pas, on y rabâche, on y catéchise, on y psalmodie les mantras fournis par les conseillers en communication de ceux qui se disent de gauche juste parce qu’ils veulent prendre la place de ceux qui sont de droite quand ils sont au pouvoir — afin d’y mener finalement la même politique quand ils ont obtenu les clés du Palais… Je ne fais donc pas de la presse qui se croit de gauche l’arbitre de mes élégances. Ne parlos pas du Net, qui est devenu la religion de la lettre anonyme et dont la prière matinale est la dénonciation. Le fiel a remplacé l’encre.
Ma mesure, c’est le peuple. Quand celui-ci, que je vois dans ma vie de tous les jours, qui m’arrête dans la rue, qui vient me voir dans le train, qui s’excuse de me parler trois minutes au restaurant, qui m’envoie quotidiennement une centaine de mails non anonymes, eux, dans lesquels il me dit se reconnaître dans ce que je dis, notamment dans ce mépris de la gauche institutionnelle qui a trahi le peuple et dans ma revendication d’une gauche populaire restée fidèle à l’idéal de la gauche (pour mémoire : contribuer au bonheur du peuple…), alors je me dis qu’en effet, je n’ai pas faili, je n’ai pas trahi. Mais quand on reste fidèle à un idéal, ceux qui l’ont trahi nomment traître celui qui, lui, y est resté fidèle.
Ma gauche populaire est girondine, communaliste, libertaire, proudhonienne, autogestionnaire. Que la gauche institutionnelle, de Hollande à Mélenchon, de Libération à Mediapart, ne m’aime pas et me calomine est plutôt une bonne nouvelle. Le contraire m’inquiéterait...
Opération Lynchage en bande organisée -- Libération, Le Monde, Médiapart. Le Parti des dévots et de la bien-pensance ne pardonne pas à Michel Onfray de ne pas hurler avec les loups.
ÉLÉMENTS : La création de l’Université populaire de Caen en 2002, en tant que « communauté philosophique » qui fait de l’ « élitisme pour tous » un « impératif catégorique », est, dites-vous, votre plus grande fierté. Depuis, elle poursuit et développe ses activités, avec un public de plus en plus large. Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de créer une telle structure ? Avez-vous été influené par le concept de Haute école populaire du Danois Grundtvig, par les universités populaires créées en France à la fin du XIXe siècle ?
MICHEL ONFRAY : Oui, bien sûr, j’ai d’abord pensé à celle qu’invente Georges Deherme, un ouvrier proudhonien qui réagit ainsi à l’affaire Dreyfus : il croit que le débat mérite d’être nourri par une culture qui n’est donnée qu’à ceux qui ont suivi des études — nous sommes à la fin du XIXe siècle. Quand on n’est pas allé à l’école, qu’on est illettré, qu’on a été placé très tôt dans un atelier ou mis aux champs à garder les vaches, on ne possède pas la culture qui permet de disposer d’un jugement ou de se faire un avis. Cet illettrisme n’est plus. Il s’est métamorphosé. Celui de notre époque, massif, démesuré, immense, paraît plus grand encore, car ce qui fut longtemps sagesse populaire, morale ancestrale, bon sens paysan et qui pouvait alors suffire pour constituer un esprit sain, a disparu sous les effets conjugués de l’information de masse, d’abord avec la télévision, ensuite avec la prolifération numérique. Jamais l’illéttrisme n’a été autant haut de gamme, concernant parfois plus les diplômés que ceux qui ne le sont pas, tant le bourrage de crâne idéologique fait sa loi depuis plus d’un demi-siècle. Lire ou relire les analyses définitives de Günther Anders sur ce sujet...
Je crée donc l’UP en réponse à l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles par la grâce du suffrage universel. J’avais été sollicité par les intellectuels parisiens pour m’associer au mouvement de masse qui invitait à « faire barrage au fascisme » en signant des pétitions, en descendant dans la rue, en votant pour Jacques Chirac. Je n’ai signé aucune pétition, je ne suis pas descendu dans la rue, je n’ai pas voté Chirac. J’ai voté blanc. Le fonctionnement de la Constitution empêchait que Le Pen fût élu, n’importe qui de normalement sensé pouvait le savoir au soir du premier tour. Ces intellectuels de gauche, qui avaient accompagné le renoncement de la gauche à être de gauche en légitimant le tournant libéral de Mitterrand, en 1983, étaient, à mes yeux, responsables de cette enflure du FN — d’ailleurs instrumentalisé par Mitterrand. Pas question de hurler avec ces loups. En revanche, pour agir et non pas verbigérer, dans la logique du colibri, chacun faisant sa part, j’ai lancé l’UP afin de créer localement les conditions d’une « raison populaire » pour utiliser des expressions utilisées par Condorcet et Diderot.
Treize ans plus tard, j’ai fait mon travail. Les autres intellectuels dits de gauche, eux, n’ont pas fait le leur. Bien au contraire. Résultat : le parti de Marine Le Pen est devenu le premier de France. En ce qui me concerne, je n’ai rien à me reprocher. Je n’ai jamais eu la prétention de changer les choses à moi seul. Mais je n’ai rien à regretter de mon trajet politique.
Edwy Plenel, premier flic de France, le seul, le vrai. Au congrès des apparatchicks socialistes "Combattre et Proposer" ? Traduisez plutôt par "Abattre et Imposer".
ÉLÉMENTS : Le fait d’avoir qualifié cette initiative de « populaire » a-t-elle ou non facilité sa mise en œuvre ? À une époque où le fossé ne cesse de se creuser entre le peuple et la classe dirigeante, comment le terme a-t-il été accueilli ?
MICHEL ONFRAY : Comme je suis bénévole et que nous n’avions pas l’argent qui permet de louer des salles, j’avais sollicité le Musée des Beaux-Arts de Caen, dont le conservateur d’alors, très versé dans la mauvaise peinture régionale, pourvu qu’elle fût normande, pour un prêt de salle. Le concept d’Université populaire l’a horrifié, pas pour le côté université, bien sûr, mais pour l’épithète ! Il s’est caché derrière l’Association des Amis du Musée des Beaux-Arts, qui ne m’aimait pas, pour me refuser l’endroit. J’étais alors enseignant dans un lycée où j’avais eu pour collègue pendant vingt ans celle qui est devenue maire UMP de Caen. Elle est passée outre, nous avons eu gratuitement le Musée où l’UP a fait ses premiers pas en 2002.
Populiste ? Je préfère à libéral, capitaliste, bourgeois, mitterrandien, social-démocrate, social-libéral... Sollers a cru un jour me blesser en disant de moi que j’étais un « tribun de la Plèbe ». Il ne pouvait pas me faire plus grand honneur ! Je viens de la plèbe, je la connais : mon frère ouvrier dans une carrière et ma belle-sœur cantinière en font encore partie, et mes petits neveux aussi, ma mère également qui fut femme de ménage, mon père aujourd’hui décédé qui était ouvrier agricole. Je préfère mille fois ce monde à celui dans lequel évoluent ceux qui me traitent de populiste et m’honorent ainsi. Leurs compliments me blesseraient.
ÉLÉMENTS : Votre vie personnelle et professionnelle est, pour vous citer, « contenue depuis toujours dans le triangle Argentan-Chambois-Caen », et votre famille « est en Normandie depuis dix siècles ». Vos origines sociales et votre parcours témoignent à l’évidence d’un enracinement profond et d’une grande fidélité à l’esprit des classes populaires. Dans une période où il n’est pas de bon ton de se dire enraciné, fidèle à son passé familial et à son identité régionale et nationale, que répondez-vous à ceux qui, tel le psychanalyste Jacques-Alain Miller, affirment que vous avez une « relation toute barrésienne avec la terre et les morts » ? Que vous inspirent, par ailleurs, ces mots de Simone Weil : « Dans la détresse, le désarroi, la solitude, le déracinement où se trouvent les Français, toutes les fidélités, tous les attachements sont à conserver comme des trésors trop rares et infiniment précieux, à arroser comme des plantes malades. »
MICHEL ONFRAY : Jacques-Alain Miller me fait rire, vraiment, éclater de rire même… Au moment de la parution de mon livre sur Freud, la revue Philosophie Magazine avait arrangé un entretien entre lui et moi. Il m’accueillit alors dans un immense appartement près du Luxembourg avec des toiles de maître partout au mur. En une vie de travail, mon père n’avait probablement gagné qu’un millième d’une des nombreuses peintures dont il avait hérité, beau mariage avec la fille de Lacan oblige. Il était flanqué d’une créature aux longues jambes et à la jupe courte qui, enfoncée dans un fauteuil profond, montrait plus ses genoux que sa tête, mais on sentait pour le psychanalyste qu’elle était plutôt là pour ce genre d’arguments.
Il a commencé par lire un texte, comme si nous étions ses élèves. La créature arborait un large sourire. J’ai précisé qu’on n’était pas venu pour ça. Il a donc été obligé d’improviser, exercice beaucoup plus dur pour un charlatan qui n’a rien à dire et se trouve privé de son boniment... Il a donc voulu faire le malin, jouer à l’intelligent caustique en précisant que ce qu’il aimait chez moi, c’était que « fils de pauvre, je m’étais fait tout seul... » avant d’ajouter un peu plus loin qu’ « Hitler lui aussi s’était fait tout seul... » ! C’était tellement ridicule de le voir réduit à cette pitrerie sans pouvoir se raccrocher à son texte que j’ai souri pendant que la créature dévoilait plus encore ses jambes. Une seconde bassesse me fit sourire plus large encore et luifaire remarquer qu’il valait mieux subir l’injustice que la commettre, et que s’il voulait que j’aille sur le terrain brutal, je pouvais aussi... Il m’a alors présenté ses excuses en confiant qu’il avait été analysé, bien sûr, mais probablement pas assez… La chose fut filmée, elle fut un temps sur le site de Philosophie Magazine. Peut-être s’y trouve-t-elle encore. La peau de la créature était devenue pareille à celle de son fauteuil… Il me dit quelques temps plus tard qu’il avait créé une « université populaire du lacanisme », et il m’a paru si pitoyable que j’ai bien du mal à prendre au sérieux les propos de ce monsieur… Rappelons qu’il a rassemblé de vieux textes épars parus avant le Livre noir de la psychanalyses en les présentant comme une réponse faite après à ce livre qui, alors, n’avait pas vu le jour. Voilà un homme qui est plus brillant pour répondre à des questions pas encore posées, mais qui s’avère incapable, sans son antisèche, de répondre à des questions posées dans le cadre d’un entretien. Il correspond bien à ce qui pour moi, définit la psychanalyse : brillant pour résoudre des problèmes qui ne sont pas posés, mais nul pour résoudre ceux qui le sont. Passons aux choses sérieuses avec Simone Weil : oui, bien sûr, je souscris à ce qu’elle dit.
Michel Onfray à l'Université de Caen; créée au lendemain du choc du 21 avril 2002. Treize ans plus tard, il est reproché au philosophe de "faire le jeu du Front National".
ÉLÉMENTS : Dans un article publié par La Règle du jeu, la revue de BHL, le même Jacques-Alain Miller vous accuse d’avoir créé avec votre Université populaire une « université du bien-penser », d’être une sorte de Fouquier-Tinville qui « décapite Freud et autres têtes de Turc ». À ses yeux, Alain Badiou et vous êtes des « hommes d’ordre », celui-ci dans une « version ouvertement totalitaire », et vous dans une « version secrètement libérale » (sic). Êtes-vous, Michel Onfray, un professeur de bien-pensance, un adepte de la terreur intellectuelle ?
MICHEL ONFRAY : Voilà un homme qui a porté Sade au pinacle, puis Mao au temps de la Gauche Prolétarienne, puis Lacan, qui était maurassien, mais fit un beau-père très utile pour sa carrière ; voilà un normalien qui a souscrit à la mort de l’homme professée par Althusser, Barthes, Foucault, mais qui allonge les hommes sur son divan pour leur prendre beaucoup d’argent en liquide, doctrine freudienne, pour soigner les riches de préférence, doctrine freudienne, tout en justifiant l’ « attention flottante », doctrine freudienne, qui inscrit dans le marbre théorique que l’analyste puisse dormir pendant l’analyse sans conséquence funeste puisque, dans le sommeil, les inconscients communiquent : et ce serait donc cet homme qui saurait ce qu’est bien ou mal penser ? Il n’est jamais venu à Caen que je sache et parle par ouï-dire, de cela comme du reste. Pourquoi dès lors reprendre à son compte le concept d’UP si c’est une école de bien-pensance ? Pourquoi les psychanalystes, Madame Roudinesco en tête, ont-ils voulu supprimer l’UP en intervenant auprès du président de région Basse-Normandie afin qu’il cesse de nous subventionner si c’est une école de bien-pensance dont il n’y aurait rien à craindre ? Lui qui, dans sa jeunesse, fut un farouche défenseur de Robespierre et souscrivait à la révolution culturelle maoïste qui fit un million de morts, est bien mal placé pour parler, même métaphoriquement, de Fouquier-Tinville. Je n’ai pour ma part pas de sang réel sur mes mains en n’ayant jamais de ma vie défendu un seul des dictateurs qui ont fait jadis son bonheur.
Quant à l’analyse sauvage du psychanalyste pas assez psychanalysé selon son propre aveu qui voit dans mon antilibéralisme la preuve cachée de mon libéralisme, il me fait songer aux élèves de terminale qui, quan ils découvrent Freud, en font un usage sauvage, immodéré, déraisonnable, qui renseigne plutôt sur le fonctionnement de leur psyché pas finie. Encore un peu de divan Monsieur Miller... Son frère Gérard, lui, a au moins le mérite d’avoir fait ouvertement profession de bouffon médiatique.
ÉLÉMENTS : Récemment dans Le Point, vous vous êtes livré à une impitoyable déconstruction de la gauche française actuelle, ralliée à l’opportunisme social-démocrate, quand elle n’est pas simplement devenue l’aile « profressiste » du capitalisme libéral. Elle n’est, dites-vous, qu’une « tribu grosse comme un village papou », qui « fonctionne comme une mafia » mais qui « fait la loi ». Cela ne vous incite pas pour autant à voter pour la droite, ce que nous serions bien les derniers à vous reprocher. Le clivage gauche-droite s’effaçant un peu plus tous les jours, quel est à votre avis le nouveau clivage qui s’avérera décisif dans les années qui viennent ?
MICHEL ONFRAY : Le clivage qui sépare les tragiques qui savent prendre de la hauteur et qui, dans l’esprit du Braudel des longues durées, savent que l’Occident est fini, et ceux qui n’ont rien vu, les nigauds, et pensent toujours qu’ils ont un pouvoir sur la falaise qui s’effondre. Autrement dit, avec une métaphore animale, les aigles qui disposent de la perspective de Sirius et les taupes myopes dans leurs galeries. Le schéma chrétien avec Parousie a été repris par les marxistes qui, eux aussi, souscrivent à la lecture linéaire et ascendante de l’histoire. Sortir de ces schémas idéologiques est quasi impossible. Il faut lire La science nouvelle de Vico, les Leçons sur la philosophie de l’histoire de Hegel, le Système du monde de Keyserling, Le déclin de l’Occident de Spengler, L’Histoire de Toynbee ou Le mur du temps de Jünger pour s’informer sur les conceptions morphologiques, et non dialectiques, de l’histoire. Car seules ces pensées permettent une lecture vraiment postchrétienne de l’histoire. Droite et gauche signifient encore, mais surtout par leur passé et c’est à ce passé que je suis fidèle quand je me dis de gauche : c’est la gauche qui a lutté pour sortir les enfants des mines, créé des écoles pour ces enfants, amélioré la condition ouvrière, lutté contre la paupérisation, décolonisé l’Empire, aboli la peine de mort, pas la droite. Actuellement, la droite libérale et la gauche libérale pensent la même chose ; et la gauche antilibérale et la droite antilibérale également, sauf sur la question de l’immigration — une chance pour Mélenchon, un flux à réguler pour Marine Le Pen. Mais tous appartiennent au camp des taupes myopes ou aveugles. Jünger n’avait pas tort de faire du Titanic un marqueur de civilisation.
"Les cons ça ose tout. C'est même à ça qu'on les reconnaît !" BHL sur son trône -- "Le Divan" de Marc-Olivier Fogiel -- rendant hommage à son père qui a fait fortune dans le bois précieux en faisant suer le burnous (des "semi-esclaves" selon une ONG britannique).
ÉLÉMENTS : Vos prises de position sur l’école qui a renoncé à « apprendre à lire, écrire, compter, penser », votre constat sur les « profs qui ont peur des élèves, qui n’arrivent plus à noter parce que noter, c’est fasciste », ou encore votre refus de la théorie du genre, vous ont valu d’être traité de « déclaré philosophe » (sic) par la revue Les Cahiers pédagogiques, tandis que Le Monde voyait en vous un « philosophe de comptoir », et que L’Express se demandait si vous étiez le « fils naturel de Jean-Paul Brighelli et de Farida Belghoul »...
MICHEL ONFRAY : C’est vous qui m’apprenez tout ça… Je ne lis pas les journaux ou les revues, dont celle que dirige BHL et dans laquelle s’exprime Jacques-Alain Miller, ni Les Cahiers pédagogiques (j’ai passé l’âge de lire des cahiers…). Quant au Monde, tout comme Libération et autres supports favoris des taupes, je ne les lis plus depuis longtemps. Mais faisons donc avec ce que vous m’apprenez : je viens de vous le dire, je ne fais du journaliste ni l’arbitre des élégances ni la mesure de l’intelligence saine, de la raison bien conduite et des pensées justes. Je ne pense rien des gens qui ne pensent pas, mais portent l’idéologie des actionnaires qui les appointent. Ils sont les servants d’un culte malsain. Leurs anathèmes, leur herems, leurs gémonies, leurs excommunications ne me blesseraient que si j’étais membre de leurs tribus. Or, ce n’est pas le cas. On ne saurait s’offusquer d’être insulté par des journalistes — ou des psychanalystes.
Ces fils de famille se moquent que l’école ait cessé d’éduquer, puisqu’ils procèdent du monde des nantis qui n’a que faire qu’on n’apprenne plus aux pauvres ce que leur milieu, à eux, leur dispense. Dès lors, refuser la sélection par le mérite, c’est l’avaliser par l’héritage et la reproduction, car le choix n’est pas entre sélection ou pas sélection, mais entre sélection républicaine des talents et sélection tribale des héritiers, des pistonnés, des présentés, des filles et fils d’archevêques. La sélection que ne fait pas l’école est faite par le marché avec les zélateurs qui cooptent leurs zélotes. L’école m’a permis de m’en sortir : elle ne le permet plus aujourd’hui aux enfants issus du même milieu que moi.
La pédagogie qui fait la loi dans les écoles depuis l’après-68 procède des délires structuralistes des années 1960-1970. Plus besoin d’apprendre les fondamentaux : on n’apprend plus, on apprend à apprendre, ce qui se réduit à se soumettre à l’ordre de l’information ludique du Net et des tablettes. L’éducation est l’art de fabriquer une tête bien faite, autrement dit capable de lire, écrire, compter, pour pouvoir… penser, un luxe dans un monde où l’on invoque la pensée quand on exige la soumission.
ÉLÉMENTS : Vous vous félicitez du recul du politiquement correct que vous souhaitez voir « crever comme une sale bête » ! En déduisez-vous qu’il est impératif que fassent cause commune tous ceux qui, au-delà de leurs éventuelles divergences, refusent le terrorisme idéologique ?
MICHEL ONFRAY : Je ne fais pas cause commune, jamais, avec personne. Je crois à Léo Ferré, qui, avec Brassens, m’a appris l’anarchie en même temps que Proudhon et qui chantait « la pensée mise en commun est une pensée commune ». Je ne veux pas me retrouver avec les mélenchonistes défenseurs de Robespierre ou les lepénistes partisans de la peine de mort sous prétexte que je partage leur antilibéralisme. Je ne veux pas défiler aux côtés des partisans de Hollande ou ceux de Sarkozy parce que je souscris à leur refus de recourir à la violence en politique. Je suis athée, mais n’aime pas les athées qui voudraient faire église. Je suis pour le petit et le modeste. Même si le grand d’hier est devenu le petit d’aujourd’hui, je suis du côté du faible. Si Mélenchon ou Marine Le Pen étaient interdits, persécutés, je serais de leur côté. Même chose avec les chrétiens ou les musulmans. Je n’ai aucun instinct grégaire et n’ai le goût d’aucune tribu. J’essaie de souscrire à cette formule de Nietzsche qui invitait à être seul de son parti...
ÉLÉMENTS : Vous écrivez : « Prétendre qu’il n’y a pas un choc des civilisations entre l’Occident localisé et moribond et l’Islam déterritorialisé en pleine santé est une sottise qui empêche de penser ce qui est advenu, ce qui est, et ce qui va advenir. » Vous semblez ainsi reprendre à votre compte la thèse de Samuel Huntington. Est-ce parce que vous y retrouvez certaines des idées de Spengler, auxquelles était en partie consacrée votre thèse de doctorat ?
MICHEL ONFRAY : Je souscris en effet à la thèse de Samuel Huntington et vois mal, sauf à prendre des vessies pour des lanternes, qu’on n’y souscrive pas. L’illettrisme contemporain empêche de concevoir les longues durées. La civilisation de la télévision et du numérique nous a plongés dans un éternel présent qui a transformé l’homme en amnésique incapable de passé et en innocent incapable de futur. Penser comme Malraux ou comme Élie Faure est devenu impossible : la micrologie procrastinante a remplacé les épopées. Huntington est devenu inaudible dans la cacophonie de l’instant devenu unique modalité de l’être.
Spengler fut en effet une partie de ma thèse, mais je ne conserve de lui que la lecture morphologique, en fait goethéenne, de l’histoire. Qu’il y ait un schéma précis pour toute civilisation, comme un calque qu’on pourrait poser sur chacune d’entre elle, et qu’on obtiendrait des contemporanéités en toute discipline (musique, peinture, droit, algèbre, géométrie, architecture, poésie, etc.), je n’y souscris pas. Il est un antidote pour une philosophie de l’histoire non linéaire, donc non chrétienne et non marxiste. C’est cela que je retiens.
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ÉLÉMENTS : Selon vous, la France mène une « politique étrangère islamophobe » et une « politique intérieure islamophile » que vous considérez toutes deux comme « fautives »...
MICHEL ONFRAY : Depuis 1991 et le devenir américain de la politique française avec Mitterrand qui souscrit aux bombardements de la première guerre du Golfe jusqu’à aujourd’hui où notre armée bombarde l’État islamique (qu’il ne faudrait pas appeler tel sous prétexte que ce ne serait pas un État et qu’il ne serait pas islamique...), en passant par les bombardements des villages afghans, libyens, maliens sous prétexte de droits de l’homme et de grand remplacement des dictateurs par des démocrates, la France a du sang musulman, celui de la communauté musulmane, sur les mains. Et pas qu’un peu. Comme ce sang n’est ni filmé, ni photographié, ni montré (relisons Baudrillard pour qui, parce qu’elle n’avait pas été filmée, du moins montrée sur un écran, la guerre du Golfe n’avait pas eu lieu...), il n’a pas été versé : c’est le sien. Mais l’oumma, elle, le sait que ce sang a été versé : c’est le sien. Sous prétexte de lutter contre un terrorisme qui ne nous menaçait pas (Saddam Hussein n’a jamais projeté de mettre Paris à feu et à sang…), nous avons agressé un peuple, puis d’autres peuples qui leur sont frères, et les musulmans n’ont pas la mémoire courte. En plus d’avoir tué en pagaille les leurs, on a bafoué leur dignité, leur humanité, leur être même. C’était une faute, c’est toujours une faute, une grave faute.
Cette politique étrangère islamophobe de la France se double, sur le territoire national d’une politique islamophile qui voit du racisme et de la xénophobie dans toute proposition de réflexion, et seulement une réflexion, sur l’immigration, l’identité nationale, l’islam en France. Toute question est interdite sur ce sujet, où l’on n’accepte que la récitation du catéchisme : l’immigration est une chance pour la France ; la France est depuis toujours multiculturelle, cosmopolite, métissée ; l’islam est une religion de paix, de tolérance et d’amour. On sait que tout cela n’est pas vrai. Mais l’inculture règne là aussi en la matière et, à défaut de chiffres ou de statistiques interdits sous prétexte de caractère ethnique, à défaut de connaître véritablement l’histoire de France, à défaut d’avoir véritablement lu le Coran ou de connaître la biographie du Prophète, on dit n’importe quoi.
Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865). Authentique ouvrier imprimeur, lutteur redoutable, le penseur franc-comtois fut avec Victor Hugo, autre natif de Besançon, la voix du peuple français au XIX ème siècle.
ÉLÉMENTS : Vous avez déclaré approuver la fusion des deux Normandie résultant de la réforme territoriale votée en décembre dernier, et affirmé que vous défendiez l’unité de la Normandie dans ses revendications « populaires » et « culturelles ». Est-ce que ces déclarations rejoignent et complètent la préférence que vous avez exprimée dans Le Point en faveur des « Girondins fédéralistes et provinciaux » face aux « Jacobins centralisateurs et coupeurs de tête ». Faut-il voir ici l’influence de votre cher Proudhon ?
MICHEL ONFRAY : Mon cher Proudhon, oui, en effet. Vous mettez le doigt au bon endroit. Ma gauche est libertaire, mon socialisme est l’anarchisme proudhonien, celui des associations, des mutualisations, des coopérations, des fédérations, celui des contrats synallagmatiques, celui des provinces et de l’anarchie garanties par l’État (non pas un paradoxe, mais la pensée du dernier Proudhon, celui de Théorie de la propriété). Je crois également au « communalisme libertaire » de Murray Bookchin. Cette démocratie existe déjà, elle est invisible, mais elle s’avère très active dans les micro-communautés alternatives au mode de production capitaliste, au consumérisme, à l’agriculture productiviste. Elle est rurale, campagnarde, provinciale, on n’en parle donc jamais dans les médias parisiens jacobins et centralisateurs.
ÉLÉMENTS : Votre père vous a dit un jour « se souvenir d’un texte de George Sand (en réalité de Maupassant) qui racontait la mort d’un cheval, son ensevelissement à même la terre et la repousse de l’herbe, plus verte, plus forte, plus drue, la saison suivante ». « Leçon de panthéisme païen », ajoutez-vous. De l’hédonisme, dont vous avez souligné la nécessité dans L’art de jouir, jusqu’à votre opposition résolue et réaffirmée aux monothéismes, dont témoigne votre Traité d’athéologie, cette part importante de votre œuvre vous amène-t-elle à vous définir comme un philosophe panthéiste et/ou païen ?
MICHEL ONFRAY : Le vocabulaire religieux ne convient pas pour exprimer ma position : ni animiste, ni totémiste, ni païen, ni panthéiste, ni polythéiste, ce qui suppose des transcendances jusque dans l’immanence voire, avec le panthéisme, une identification de l’immanence avec la transcendance. Je suis indemne de toute transcendance, et n’en suis pas orphelin : je ne cherche pas à la retrouver. Je ne l’ai jamais perdue, car je ne l’ai jamais ressentie. La religion suppose un autre monde qui donnerait son sens à celui-ci : sous la pierre de l’animiste, l’esprit, sous l’animal du totémiste, l’esprit, dans les dieux multiples du païen, l’esprit. Il n’y a pas d’esprit pour moi dans quoi que ce soit. Je me suffis de cette phrase que Nietzsche empruntait à Albert Lange pour définir le matérialiste : « Contente-toi du monde donné ». Je m’en contente, il ne laisse place à aucune transcendance. Le cosmos est au centre de nous-mêmes : pas besoin de le chercher ailleurs. Je suis un athée radical.
Propos reccueillis par Alain de Benoist et Fabrice Valclérieux pour "Eléments"
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Commentaires
Un peu d'oxygène, un libre penseur qui ne reste pas spectateur de la vie. Merci Nebo pour le partage.
Écrit par : Yannick (laafouine) | 30/10/2015
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