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10/12/2015

"Le FN est-il encore un parti d'extrême droite?" réponse de Pierre-André Taguieff

=--=Publié dans la Catégorie "PARENTHÈSE"=--=

 

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Le visage, les cadres et le contenu du FN ont changé. Marine Le Pen incarne le renouveau de ce parti, clairement contre le modèle paternel. La normalisation à laquelle nous assistons depuis des années fait de lui un parti nationaliste avec une doctrine mélangeant des thèmes de droite et de gauche. Le FN répond à une demande souveraino-identitaire, au cœur du nouveau nationalisme en Europe.

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Le Front national de Marine Le Pen est-il le même que celui de Jean-Marie Le Pen ?

A gauche comme à droite, un dogme s’est constitué, à savoir que le Front national n’aurait pas changé. C’est faux. Je suis un adversaire politique du FN mais il faut constater les faits. Le FN a changé. Son évolution post-Le Pen père a commencé dès 1995 avec l’influence croissante de Bruno Mégret, dont Marine a pris la relève. Elle incarne le renouveau et la renaissance du FN, clairement contre le modèle paternel. Un verrouillage idéologique existe toutefois sur cette question. Certains veulent conserver le vieux discours antifasciste qui consiste à appeler au « front républicain » et à « faire barrage » au FN comme s’il incarnait une menace fasciste. C’est se tromper de menace en oubliant le terrorisme djihadiste.

Le FN est-il encore un parti d’extrême droite ?

La normalisation à laquelle nous assistons depuis des années fait de lui un parti nationaliste avec une doctrine mélangeant des thèmes de droite et de gauche, hérités du père sur l’immigration et l’insécurité mais de la gauche et de l’extrême gauche quant au volet économique et social, loin du reaganisme économique des années 1980. L’étiquetage « extrême droite » a un sens dans la polémique politique mais est dénué de valeur conceptuelle, comme je le démontre dans mon livre La revanche du nationalisme.

Cette revanche du nationalisme expliquerait son succès ?

Oui. Le FN répond à un désir de souveraineté par rapport à l’Europe et à la mondialisation mais surtout à une demande populaire d’identité collective, représentation certes floue mais mobilisatrice. Et malheureusement beaucoup d’intellectuels aujourd’hui n’en tiennent pas compte. Cette demande souveraino-identitaire forme le cœur du nouveau nationalisme en Europe, de l’UKIP en Grande-Bretagne aux partis au pouvoir en Europe centrale, en passant par l’Italie, les Pays-Bas ou la Belgique. Ce mouvement général contextualise et relativise le phénomène du nouveau FN. Ce programme « national-populiste » est porté par la figure charismatique d’une Marine Le Pen, sans équivalent à droite.

Le visage du FN a changé mais son contenu ?

Marine exerce une attractivité d’ampleur plus large que son père dont la séduction tenait à des provocations aux effets incertains. Il ne pouvait pas dépasser les 18-20% de votants. Sa fille s’adressant et séduisant de nouveaux et différents publics, oui. L’élargissement du FN n’est pas un vain mot, de son installation à Sciences Po-Paris jusqu’à la création d’un syndicat frontiste parmi les enseignants. La doctrine a bien changé et les cadres ont été renouvelés. Marine Le Pen et son équipe ont accompli une épuration interne, évacuant beaucoup d’éléments racistes, antisémites et violents tolérés par Le Pen-père.

Cette normalisation et le succès du FN étonnent à gauche comme à droite. Quelle a été leur erreur ?

« Le choc » titraient hier autant L’Humanité que Le Figaro. La métaphore est suggestive. Les élites en place sont choquées, indignées et désemparées. Pour reprendre l’expression célinienne, le « bla-bla » qui marche est désormais celui de l’ennemi méprisé, le FN. Leur « bla-bla » à eux —classiquement antifasciste— ne fonctionne plus. Stupéfaites, gauche et droite n’ont plus qu’un programme minimal —qui n’en est pas un— : barrer la route au FN. Mais ce néoantifascisme sonne de plus en plus creux et ses effets pervers sont avérés. Cet aveuglement et ce ronronnement sont observables depuis plus de trente ans. Ici le schéma populiste —le peuple contre les élites, pour faire vite— est parfaitement illustré. On assiste à une revanche de ceux d’en bas —les classes moyennes et populaires saisies par la peur, orphelines de l’avenir meilleur promis par la gauche classique et la droite réformiste, les jeunes précarisés, les humiliés, les méprisés en tant que « petits blancs »— bref ceux qui composent ce que j’appelle la deuxième France, contre la première France — les élites représentant 15-20% de la population française qui vivent en Europe et non plus en France, au rythme de la mondialisation. Les problèmes d’identité ou de souveraineté n’ont pour ces dernières aucun sens. Elles ne peuvent pas comprendre les aspirations populaires. C’est cela le problème. Quant à la troisième France, elle est issue de l’immigration, de culture musulmane, reléguée dans des quartiers dits sensibles. Séparées, ces trois France s’ignorent ou se méprisent les unes les autres, illustrant la fragmentation —géographique, socio-économique, culturelle et ethnique— de la société française.

Entretien : Thierry Boutte

Pierre-André Taguieff – Philosophe, politologue et historien des idées. Directeur de recherches au CNRS, rattaché au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof, Paris). Auteur notamment de La Revanche du nationalisme. Néopopulistes et xénophobes à l’assaut de l’Europe. 2015

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Source : La Libre Belgique - 8 décembre 2015

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