20/09/2015
Georges Bensoussan : « Nous assistons à l'émergence de deux peuples »
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FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Georges Bensoussan évoque la montée en puissance de l'antisémitisme et du racisme anti-blanc dans les banlieues. L'auteur des Territoires perdus de la République analyse les nouvelles fractures françaises.
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Georges Bensoussan est historien, spécialiste d'histoire culturelle de l'Europe des XIXe et XXe siècles, et en particulier des mondes juifs. Il a dirigé l'ouvrage Les Territoires perdus de la République (Mille et une nuits, 2002) rassemblant les témoignages d'enseignants et chefs d'établissements scolaires.
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PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO
FIGARO. - Dans Les territoires perdus de la République, vous évoquiez pour la première fois l'antisémitisme des banlieues. En quoi se distingue-t-il de l'antisémitisme traditionnel ?
Georges BENSOUSSAN. - L'antisémitisme traditionnel en France est originellement marqué par l'Eglise, l'extrême droite et le nationalisme: c'est l'antisémitisme de l'affaire Dreyfus qui connaît son acmé sous Vichy. L'antisémitisme nouveau est un antisémitisme d'importation. Il est lié à la fois à la culture traditionnelle des pays magrébins, à l'islam et au contexte colonial. En Algérie, le décret Crémieux qui permit aux juifs de devenir Français dès 1870 attise la jalousie des musulmans. En Tunisie et au Maroc, les juifs n'étaient pas français mais leur émancipation par le biais de l'école leur a donné une large avance sur le plan scolaire et social sur la majorité musulmane. Cela s'est terminé par le départ de la minorité juive. Cet antisémitisme-là s'est transposé sur notre territoire par le truchement de l'immigration familiale ( c'est cela qui a été importé et pas le conflit israélo-palestinien comme le répètent les médias). Un antisémitisme qui préexistait toutefois auparavant (mais en mode mineur) comme le rappellent les affrontements survenus à Belleville en juin 1967 ou le Mouvement des Travailleurs arabes au début des années 1970.
Paradoxalement, cet antisémitisme ne s'est pas dilué, mais enkysté. C'est dans les familles qu'il se transmet et s'apprend. Arrivé à l'école, l'affaire est déjà jouée. Nouveau par les formes et l'origine, il épouse parfois le vocabulaire de l'antisémitisme traditionnel. Par exemple, le mot «youpin», qui avait tendance à disparaître en France, est réutilisé dans des milieux de banlieues qui ne le connaissaient pas. Bref, les différentes branches de l'antisémitisme sont en train de se conjuguer. L'extrême droite traditionnelle qui connait un renouveau, une certaine ultra gauche qui par le biais de l'antisionisme a parfois du mal à maquiller son antisémitisme (l'enquête Fondapol d'octobre 2014 menée par Dominique Reynié était édifiante à cet égard). On a oublié que l'antisémitisme plongeait de longues racines à gauche, depuis Proudhon jusqu'aux propos de Benoît Frachon en juin 1967, secrétaire général de la CGT. Mais la branche la plus massive, et de loin, est la branche arabo-islamiste. Celle-là seule passe aux actes, elle insulte, frappe et tue. Elle n'est d'ailleurs pas seulement arabo-islamiste car elle déborde aujourd'hui dans les banlieues. Nombre de jeunes qui ne sont pas issus de l'immigration arabo-musulmane adoptent pourtant le code culturel de l'antisémitisme, lequel est devenu un code d'intégration dans les cités. Ainsi, ici, l'intégration à la France se fait-elle à rebours, en chassant la part juive de la société française. Adopter ces clichés et ce langage c'est se donner plus de chances d'être intégré dans l'économie sociale des banlieues. Et pour parler comme la banlieue, il faut parler « anti-feuj ».
FIGARO. - Certains vont jusqu'à comparer les sort des musulmans aujourd'hui à celui des juifs hier. La sacralisation de la Shoah nous empêche-t-elle de comprendre le présent ?
Georges BENSOUSSAN. - En tant qu'historien, je suis frappé par la stupidité d'une telle comparaison. Je n'ai pas souvenir dans l'histoire des années 30 d'avoir entendu parler de l'équivalent juif de Mohammed Merah, de Mehdi Nemmouche ou des frères Kouachi se mettant à attaquer des écoles françaises, des boutiques ou des Eglises. Assistait-on dans les années 1930 à un repli communautaire des juifs? Tout au contraire, s'agissait-il d'une course éperdue vers l'intégration et l'assimilation. Les juifs cherchaient à se faire le plus petit possible. Ils étaient 330 000, dont 150 000 juifs étrangers qui vivaient dans la crainte d'être expulsés. Beaucoup étaient des réfugiés de la misère, d'autres fuyaient le nazisme et les violences antisémites d'Europe orientale. Aujourd'hui, place Beauvau, on estime la minorité musulmane entre six et dix millions de personnes. Ils n'ont pas été chassés par un régime qui veut les exterminer mais sont venus ici, dans l'immense majorité des cas, pour trouver des conditions de vie meilleures. Les situations sont incomparables, ne serait-ce qu'au regard des effectifs concernés: en Europe, aujourd'hui, un musulman sur quatre vit en France.
Cette question est toutefois intéressante à un autre titre : pourquoi une partie de la population française d'origine maghrébine est-elle habitée par un mimétisme juif, une obsession juive, voire une jalousie sociale comme si l'histoire du Maghreb colonial se perpétuait ici? L'histoire de la Shoah est-elle en cause? Elle n'a pas été surestimée, il s'agit bien de la plus profonde coupure anthropologique du siècle passé, et elle dépasse de loin la seule question antisémite. En réalité, c'est la trivialisation de cette tragédie historique qui a produit des effets pervers. Car la Shoah, elle, au-delà de toutes les instrumentalisations, reste une question d'histoire cardinale qui interroge politiquement toutes les sociétés. Qu'est-ce qu'un génocide? Comment en est-on arrivé-là? Pourquoi l'Allemagne? Pourquoi l'Europe? Pourquoi les juifs? Comment une idéologie meurtrière se met-elle en place? Comment des hommes ordinaires, bons pères de famille, deviennent-ils parfois des assassins en groupe? Cette césure historique, matrice d'un questionnement sans fin, a été rabaissée à un catéchisme moralisateur («Plus jamais ça!») et à une avalanche assez niaiseuse de bons sentiments qui, pédagogiquement, ne sont d'aucune utilité. Et qui fait que nous passons parfois à côté des mécanismes politiques qui régulent des sociétés de masse d'autant plus dangereuses qu'anomiées. Le discours de la repentance a pu stériliser la pensée et frapper de silence des questions jugées iconoclastes. Comme les questions d'histoire culturelle évoquées tout à l'heure. Comme si invoquer le facteur culturel à propos de minorités dont l'intégration est en panne serait emprunter le « chemin d'Auschwitz ». Cet affadissement a paralysé la réflexion politique, enté sur la conviction erronée que les situations se reproduisent à l'identique. Or, si les mécanismes sont les mêmes, les situations ne le sont jamais. Le travail de l'historien illustre sans fin le mot d'Héraclite: « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve...»
FIGARO. - De même, les lois mémorielles ont-elles entraîné la concurrence victimaire ?
Georges BENSOUSSAN. - Sur le plan juridique, la loi Gayssot n'est pas une mauvaise réponse car il n'y pas débat en effet sur le fait que Auschwitz ait existé, de même qu'il n'y a pas débat sur le fait que la bataille de Verdun ait eu lieu. La loi mémorielle désencombre les prétoires. Elle permet d'éviter des procès de plusieurs années mobilisant inutilement les historiens. Et de voir aussi plus clairement que le négationnisme est une variante de l'antisémitisme.
Mais ces lois ont des effets pervers. Dans des sociétés de masse animées par la passion de l'égalité, toute différence, est perçue comme une injustice. La Shoah étant perçue comme le summum de la souffrance, le peuple juif aux yeux de certains est devenu le «peuple élu de la souffrance». De là une concurrence des mémoires alimentée plus encore par un cadre de références où la victime prend le pas sur le citoyen. Comme s'il fallait avoir été victime d'une tragédie historique pour être reconnu. Second élément de la dérive, la transgression qui permet d'échapper à l'anonymat. Et dans une société qui a fait de la Shoah (contre les historiens) une «religion civile», la meilleure façon de transgresser est de s'en prendre à cette mémoire soit dans le franc négationnisme hier, soit dans la bêtise de masse (qui se veut dérision) type Dieudonné aujourd'hui. Sur ce plan , tous les éléments sont réunis pour favoriser la transgression qui canalise les frustrations innombrables d'un temps marqué au sceau du «désenchantement du monde». C'est d'ailleurs pourquoi on a tort de réagir à chacune des provocations relatives à la Shoah. C'est précisément ce qu'attend le provocateur, notre indignation est sa jouissance.
FIGARO. - Que vous inspire la polémique autour de la plage de Tel-Aviv sur Seine ?
Georges BENSOUSSAN. - Cela met en lumière les fractures que nous évoquions. Pour une journée de jumelage avec Tel-Aviv, il a fallu déployer 500 CRS. L'ampleur de la polémique me parait disproportionnée. Israël n'est pas un Etat fasciste et le conflit avec les Palestiniens est de basse intensité. Il y a pratiquement tous les jours entre cinquante et cent morts par attentats dans le monde arabo-musulman dans l'indifférence générale. La guerre civile en Syrie a fait à ce jour, et en quatre ans, 240 000 morts. Le conflit israélo-palestinien en aurait fait 90 000 depuis 1948. La disproportion est frappante. Peu importe que des Arabes tuent d'autres Arabes. Tout le monde s'en moque. Les juifs seuls donnent du prix à ces morts. Dès qu'ils sont de la partie, on descend dans la rue. Cette passion débordante, disproportionnée, n'interroge pas le conflit. Elle interroge ce que devient la société française. Les menaces sur Tel Aviv sur scène sont venues des mêmes milieux qui ont laissé faire les violences de Barbès en juillet 2014, la tentative d'assaut contre la la synagogue de la rue de la Roquette à Paris et une semaine plus tard contre celle de Sarcelles. Bref, je le redis, ce n'est pas le conflit qui a été importé, c'est l'antisémitisme du Maghreb. Les cris de haine d'aujourd'hui sont l'habillage nouveau d'une animosité ancienne.
FIGARO. - A la sortie du livre, vous aviez beaucoup insisté sur cet antisémitisme des banlieues. Avec le recul, regrettez-vous de ne pas avoir davantage évoqué le sort des classes populaires, victimes du racisme anti-blanc ?
Georges BENSOUSSAN. - Absolument. Nous n'avions pas vu alors cette réalité émerger. Un certain nombre d'études sociologiques comme celle de Christophe Guilluy sur les fractures françaises, celle de Laurent Bouvet sur l'insécurité culturelle ou celle d'Hugues Lagrange sur le déni des cultures n'étaient pas parus. Les territoires perdus de la République ne sont pas un livre de sociologie, juste le fruit d'un travail de terrain empirique. Nous n'avons jamais prétendu faire un panorama. De surcroit, en 2002, le phénomène ne faisait que débuter. Et nombre de professeurs qui avaient participé à la rédaction étaient eux-mêmes tétanisés à l'idée d'évoquer un racisme anti-blanc ou anti-Français. Cette réalité est aujourd'hui bien connue. A la lecture de Christophe Guilluy, on comprend d'ailleurs qu'il n'y a pas deux France, mais trois. La France périphérique méprisée par les élites, qui souffre et est tenue de se taire. Elle constitue le gros du vivier FN. La France des biens nés, intégrée socialement, plus aisée et qui regarde avec condescendance la France populaire qui «pense mal». Enfin, une troisième France, tout aussi en souffrance que la première, en voie de désintégration sous l'effet de la relégation géographique, sociale, scolaire, et dont une frange se radicalise. Mais l'erreur, ici, serait de lier la poussée islamiste à la seule déshérence sociale: dès lors que des jeunes intégrés, et diplômés basculent vers la radicalité islamiste, on comprend que le facteur culturel a été longtemps sous-estimé.
FIGARO. - Dans ces conditions, doit-on continuer à mettre sur le même plan la menace FN et celle de l'islamisme et de l'antisémitisme des banlieues ?
Georges BENSOUSSAN. - A force de nier le réel, on a fait le lit du FN. Les millions de Français qui sont aujourd'hui sympathisants du Front national n'ont pas le profil de fascistes. Beaucoup d'entre eux votaient jadis à gauche, et le FN authentiquement parti d'extrême droite, est aussi aujourd'hui le premier parti ouvrier de France. Comment en est-on arrivé-là? Quelle responsabilité ont les classes dominantes dans ce naufrage et, notamment la classe intellectuelle? Voilà les questions qui importent vraiment. En revanche, la question rhétorique du « plus grand danger », FN ou islamisme, vise à nous faire taire. Avec à la clé ce chantage: « A dénoncer la poussée de l'islamisme, du communautarisme, la désintégration d'une partie de l'immigration de masse, vous faites le jeu du Front national! ». Tenter de répondre à la question ainsi formulée, c'est tomber dans ce piège rhétorique. Il faudrait, au contraire, retourner cette question à ceux qui la posent: n'avez-vous pas fait le jeu du FN en invalidant la parole d'une partie du peuple français, en le qualifiant de « franchouillard », de raciste, de fasciste ? Et en sous estimant le sentiment d'abandon et de mépris vécu par ces dominés de toujours ?
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Des territoires perdus de la République aux territoires perdus de la nation
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FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - En 2002, Georges Bensoussan a dirigé Les territoires perdus de la République. A l'occasion de la republication de ce livre controversé, il analyse le phénomène de déliquescence de la nation que des politiques, conscients mais impuissants, ne réussisent pas à endiguer.
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Georges Bensoussan est historien, spécialiste d'histoire culturelle de l'Europe des XIXe et XXe siècles, et en particulier des mondes juifs. Il a dirigé l'ouvrage Les Territoires perdus de la République (Mille et une nuits, 2002) rassemblant les témoignages d'enseignants et chefs d'établissements scolaires.
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PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO
FIGARO. - La première édition des Territoires perdus de la République date de septembre 2002. Vous y dénonciez les maux qui rongent l'école, mais aussi la société française: la violence, l'islamisme, l'antisémitisme. A l'époque, le livre avait été accueilli par un long silence médiatique. Rétrospectivement, comment expliquez-vous cette omerta ?
Georges BENSOUSSAN. - L'omerta fait partie des problèmes dénoncés dans le livre. Il y a peur de dire ce que l'on voit comme si dire le réel, c'était le faire exister. A l'époque, nous constations que l'intégration d'une partie des populations de banlieues, progressivement reléguée dans des cités et frappée par le chômage de masse, était en panne. Après avoir fonctionné jusque dans les années 80, l'intégration s'est bloquée à la fin des années 90, ce que l'on constate aujourd'hui avec la hausse des unions endogames. Or, il semblait difficile en France de faire ce simple constat car on risquait d'être accusé de racisme, de stigmatiser et d'amalgamer des populations. C'est d'ailleurs l'accusation qui nous fut d'emblée imputée. Une culture d'une partie de la gauche dominante (à distinguer de la gauche antitotalitaire dans la lignée d'Orwell) nous a enfermés dans la frilosité. Il est devenu presque impossible de dénoncer certains périls sans être accusé d'appartenir au camp du mal. Pourtant, les sept auteurs de la première édition, tout comme les treize de la seconde, venaient tous, quasiment sans exception, des rangs de la gauche. Le silence médiatique autour de ce livre, puis sa stigmatisation, était révélateur d'un climat de terrorisme intellectuel qui n'a d'ailleurs rien de nouveau. Les réactions qui ont entouré Les territoires perdus de la République sont de même nature que celles qui ont entourées les débats politiques français des années 50-60, quand une pensée antitotalitaire était accusée de faire le jeu de la bourgeoisie. Pour s'en convaincre, il faut relire les joutes qui opposèrent Albert Camus, Raymond Aron ou Arthur Koestler à toute une partie de la gauche. Une gauche qui était à l'époque dominée culturellement par le Parti communiste. Nombre d'intellectuels se posaient moins la question de la vérité que celle de savoir de qui «on faisait le jeu». Aujourd'hui, certains intellectuels de gauche n'entendent pas, disent-ils, pas faire le jeu du FN, comme leurs aïeux autrefois, communistes ou proches du PC (les «compagnons de route»), ne voulaient pas faire le jeu du grand capital. Pour un intellectuel, une seule question devrait se poser: les faits sont-ils avérés ou non? Dans les années 1940 en Angleterre, Orwell avait été confronté au même problème. Bien que venant des rangs de la gauche travailliste, il se voyait reprocher de faire le jeu des conservateurs anglais. Les blocages auxquels nous nous sommes heurtés avec ce livre sont les mêmes que ceux qui ont marqué le XXe siècle, c'est le débat entre totalitarisme et antitotalitarisme.
FIGARO. - Vous écrivez que nous sommes passés des territoires perdus de la République aux territoires perdus de la nation … De septembre 2002 aux attentats de janvier 2015, avons-nous perdu une décennie ?
Georges BENSOUSSAN. - En 2002, nous étions encore habités par le mot «République», agité comme un talisman, comme un sésame salvateur. Or, la République est d'abord une forme de régime. Elle ne désigne pas un ancrage culturel ou historique. La nation, elle, est l'adhésion à un ensemble de valeurs et rien d'autre. Ce n'est pas le sang, pas le sol, pas la race. Peut être Français, quelle que soit sa couleur de peau ou sa religion, celui qui adhère au roman national selon la définition bien connue d'Ernest Renan : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. » Nous avions un peu délaissé cette définition pour mettre en avant les valeurs de la République. Nous avons fait une erreur de diagnostic. Nous n'avions pas vu que la nation, et non seulement la République, était en train de se déliter. Une partie de la population française, née en France, souvent de parents eux-mêmes nés en France, a le sentiment de ne pas appartenir à celle-ci. Alors qu'ils sont français depuis deux générations pour beaucoup, certains adolescents dans les collèges et lycées, comme aussi certains adultes, n'hésitent plus à affirmer que la France n'est pas leur pays. Ajoutant : « Mon pays c'est l'Algérie... » (ou la Tunisie, etc...). Les incidents lors de la minute de silence pour les assassinés de Merah comme pour ceux de janvier 2015 furent extrêmement nombreux. On a cherché comme toujours à masquer, à minimiser, à ne pas nommer. Dans la longue histoire de l'immigration en France, cet échec à la 3° génération est un fait historique inédit. Certains historiens de l'immigration font remarquer, à juste titre, qu'il y eut toujours des problèmes d'intégration, même avec l'immigration européenne. Mais pour la première fois dans l'Histoire nous assistons à un phénomène de désintégration, voire de désassimilation. C'est pourquoi, ce n'est pas la République seule qui est en cause, mais bien la nation française: notre ancrage historique, nos valeurs, notre langue, notre littérature et notre Histoire. Toute une partie de la jeunesse de notre pays se reconnaît de moins en moins dans notre culture. Elle lui devient un code culturel étranger, une langue morte et pas seulement pour des raisons sociales. Nous sommes en train d'assister en France à l'émergence de deux peuples au point que certains évoquent des germes de guerre civile. Dans le cadre de la préparation d'un nouvel ouvrage, j'ai été frappé en écoutant plusieurs de mes interlocuteurs de voir que l'expression «guerre civile», qui aurait fait ricaner il y a dix ans ou surpris il y a cinq ans, est aujourd'hui dans les bouches d'un grand nombre, tant d'élus de terrain, de policiers, de médecins hospitaliers (service des urgences par exemple) ou de banlieue. Le sentiment que deux peuples sont en train de se former, côte à côte, et qui se regardent souvent avec hostilité, ce sentiment-là est aujourd'hui partagé par beaucoup.
FIGARO. - Pourquoi, selon vous, personne n'est descendu dans la rue au moment de l'affaire Merah ?
Georges BENSOUSSAN. - En mai 1990, après la profanation du cimetière juif de Carpentras, des centaines de milliers de Français étaient descendus dans la rue, y compris le président de la République. En 2012, une génération plus tard, pour Ilan Halimi en 2006, en mémoire aux victimes de Merah en 2012, de Nemmouche en 2014, il n'y avait plus personne, sauf des juifs. La montée du communautarisme, du repli sur soi et de l'indifférence sont patents, signe d'un morcellement de la société française, d'un repli sur soi moins hédoniste que désespéré est en train de l'emporter qui multiplie les gestes et les mots du découragement: « on ne peut rien y faire », « ça ne changera jamais », « c'est trop tard », etc... . Mais aussi, hélas, et le fait n'est pas nouveau, le massif «ce n'est pas notre affaire». Cela posé, la raison essentielle de cette désaffection est peut être ailleurs: l'affaire Merah témoignait d'un antisémitisme qui ne venait pas d'où on l'attendait, l'extrême droite. De là un malaise général. Souvenons-nous de la période qui sépare les meurtres de la mort de Merah sous les balles du GIGN. Il s'est écoulé une semaine durant laquelle un grand nombre des bien-pensants de ce pays, et en particulier les spécialistes du déni de réalité, étaient convaincus que l'assassin était un néo-nazi, un Breivik à la française. Le fait que Mohammed Merah fût musulman en a gêné plus d'un. Ainsi, l'ennemi n'était pas le bon. Pour descendre dans la rue, il fallait qu'il soit conforme, breveté d'extrême droite et blanc. Une certaine instrumentalisation de l'histoire, mais pas cette histoire elle-même évidemment, a paralysé la réflexion politique. On n'a cessé de rejouer les années noires en télescopant les situations jusqu'à voir dans tout immigré clandestin un Juif du Vel d'Hiv en 1942, comme s'il fallait racheter la mollesse et l'indifférence des aïeux. De surcroît, troublant était le fait que Merah était français, né en France… et qu'il était au collège au moment de la première édition des Territoires perdus de la République. Je veux dire par là que cela interroge l'Education nationale, et notamment cette idée un peu simple selon laquelle un bon enseignement de la Shoah ( ce qui est le cas en France) suffirait à endiguer racisme et antisémitisme.
FIGARO. - Aujourd'hui, les politiques et les médias ont-ils suffisamment ouvert les yeux ?
Georges BENSOUSSAN. - Les élus de terrain, tant de droite que de gauche, sont conscients des réalités. Mais beaucoup ont peur de parler. A fortiori du coté des hommes politiques dont le courage n'est pas la qualité première à l'exception de quelques-uns. Comme s'ils craignaient, en parlant, de faire sauter un baril de poudre tant la situation leur parait (et ici ils ont raison) dangereuse. La France est en effet l'un des pays d'Europe parmi les plus exposés au risque de conflits internes.
La peur d'être taxé de racisme joue son rôle dans la paralysie française. Et la désespérance du plus grand nombre dont la parole est d'emblée invalidée au nom d'un antiracisme dévoyé. Cette crainte va jusqu'à reprendre un discours concocté par l'adversaire sans s'interroger sur la pertinence des «mots». Ainsi du mot « islamophobie », un terme particulièrement inepte en effet qui réintroduit en France la notion de blasphème. On peut s'opposer à la religion, qu'elle soit juive, catholique ou musulmane, sans être raciste. Le combat laïque c'est le refus qu'une religion quelle qu'elle soit prévale sur la loi civile. Ce combat difficile a finalement été gagné en France entre 1880 et 1905. Céder sur ce plan c'est détricoter deux siècles de Révolution française pour parler comme François Furet et plus d'un siècle d'une histoire de France qui a fait de la République non seulement un régime mais une culture. Il nous faut comprendre que le mot islamophobie, forgé par des associations musulmanes, crée à dessein de la confusion pour culpabiliser les tenants du combat républicain. Pour faire entendre, en bref, que ce seraient des racistes à peine dissimulés. En invoquant à contre-emploi le racisme et en usant d'un antiracisme défiguré ( celui-là même qu'on a vu à Durban en 2001 où l'on entendait le cri de « One Jew, one bullett »), il s'agit de faire taire toute voix dissidente. En instrumentalisant l'histoire au passage, c'est ce que Leo Strauss appelait la Reductio ad Hitlerum.
L'un des premiers soucis de la classe médiatique et politique après les crimes de Merah et les attentats de janvier 2015 fut d'éviter les «amalgames». Comme si les premières victimes des violences étaient les Français d'origine maghrébine ou les musulmans. Près de soixante-dix ans plus tôt, en novembre 1945, après les terribles pogroms qui venaient d'ensanglanter la communauté juive de Tripoli en Libye (plus de quarante assassinats dans des conditions atroces), les dignitaires musulmans de la ville estimaient que les premières victimes étaient moins les juifs qu'eux-mêmes, car disaient-ils, ils risquaient d'être désormais «montrés du doigt». En revanche, il n'y eut pas condamnation publique de ces actes. Comme aujourd'hui. Quand en avril 2012 l'imam Chalghoumi organisa une manifestation de protestation contre les agissements de Merah, il ne réunit qu'une cinquantaine de personnes.
FIGARO. - Vous faites référence au monde imaginé par Orwell dans son roman d'anticipation 1984. Notre système peut-il vraiment être qualifié de totalitaire?
Georges BENSOUSSAN. - Nous ne sommes pas dans un système totalitaire, mais dans un système d'avachissement de la démocratie que Tocqueville avait annoncé. Cet avachissement est marqué par le triomphe de l'intérêt individuel et le désintérêt pour la chose publique. Dans le contexte historique particulier qui est celui de la France, cela se traduit par une pensée a-critique et frileuse, même si cette frilosité, voire cette lâcheté ne sont pas chose nouvelle. On n'en finirait pas de faire la généalogie du déclin de ce qui fut jadis la «Grande Nation». Nul doute qu'à cet égard le XX° siècle français, jusqu'à nos jours même, paie l'énorme saignée de la Grande Guerre. De ce désastre-là, la France ne s'est jamais remise. Elle avait gagné la guerre mais perdu ses hommes et à long terme son vouloir vivre national. Toutes les campagnes françaises se font l'écho d'une tragédie qui naturellement appelait dans son sillage une immigration de peuplement qui, chaque jour plus nombreuse, a atteint un seuil tel que la machine à intégrer s'est finalement enrayée. Un pays est capable d'intégrer des minorités par capillarité. C'est moins vrai quand il s'agit depuis 40 ans de flux démographiques de masse.
FIGARO. - Vous reprochez à l'Etat et notamment à l'école d'avoir fait trop de concession aux revendications communautaires. Que pensez-vous du débat actuel sur les menus de substitution ?
Georges BENSOUSSAN. - Il est posé de manière caricaturale car on voit bien la volonté de certains politiques de surfer sur la polémique. Il pose cependant une question de fond comme il est symptomatique aussi d'un danger qui guette la société française. Il faut rappeler d'abord que la cantine n'est pas obligatoire. Introduire les menus de substitution dans les écoles, c'est donner prise à des pratiques communautaires qui n'auront dès lors aucune raison de s'arrêter. Là est le risque, c'est ce premier pas qui permettra tous les autres et qui conduira à détricoter le tissu laïque et à nous engager sur un chemin contraire à celui qui depuis deux siècles a fait la nation française.
FIGARO. - Le terreau des réalités que vous décrivez est-il social ou culturel ?
Georges BENSOUSSAN. - Les deux. Les causes sociales sont une évidence. Mais celui qui y réduirait son analyse se condamnerait à ne rien entendre à la complexité de la situation comme l'a bien montré Hugues Lagrange. En banlieue, le taux de chômage des moins de 25 ans avoisine parfois les 40- 50%. L'arrivée d'une immigration de masse à partir de 1975, au moment où les Trente Glorieuses s'achevaient, est un premier jalon dans cette histoire. On peut d'ailleurs se demander pourquoi, sept ans seulement après Mai 1968, la bourgeoisie française a favorisé cette immigration de masse à laquelle le PCF s'opposait dès 1980, ce qu'on a souvent oublié. Pourquoi est-ce sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, l'homme du retour au pouvoir de la droite libérale non gaulliste, qu'a été mis en place le regroupement familial alors que les emplois se faisaient de plus en plus rares? Dès lors qu'il ne s'agissait plus d'une immigration de travail, mais d'immigration familiale progressivement reléguée dans des cités, l'intégration était compromise. Conjugué au chômage, à la pauvreté, au confinement géographique des mêmes cultures et des mêmes nationalités, le facteur culturel, dégradé en repli identitaire, ne pouvait que jouer sur fond de frustration et de ressentiment.
Un repli identitaire qui a d'abord concerné des populations jeunes et nombreuses, venues d'un monde musulman en expansion et qui, au même moment, trouvait son expression politique dans l'islamisme et non plus dans le nationalisme arabe qui avait échoué. Ajoutez à cela l'environnement médiatique, la télévision par câble, satellite et internet qui a favorisé la diffusion des thèses islamistes et d'un antisémitisme virulent qui viennent du Moyen-Orient. La conjonction de ces facteurs, démographiques, sociaux, culturels et médiatiques a divisé le pays. La réaction aux attentats de janvier 2015, loin de montrer une nation unie, a mis en lumière deux pays cote a cote mais qui ne font plus nation. Ce phénomène, je le redis, est nouveau dans la longue histoire de l'immigration en France. Pour certains, ce fossé pourra se combler demain. J'en suis moins convaincu, il semble que la situation ait atteint un seuil d'irréversibilité.
FIGARO. - Le risque n'est-il pas de sombrer dans une forme d'essentialisation ?
Georges BENSOUSSAN. - C'est effectivement le principal reproche qui nous est fait. Cependant, la culture est tout sauf une essence. Ce qui est essence s'appelle «la race». Lorsqu'on est né dans un groupe ethnique, on n'en sort pas. On restera toujours ethniquement parlant Juif du Maroc ou Sénégalais peul. En revanche, la culture s'acquiert. Elle est dynamique. On peut être Juif du Maroc ou Sénégalais peul, lorsqu'on vit en France et qu'on finit par aimer ce pays, on devient français. La culture est le contraire absolu de l'essence. L'histoire culturelle, c'est l'histoire des mentalités, des croyances, de la mythologie, des valeurs d'une société qui permet de comprendre l'imaginaire des hommes d'un temps donné. Cette histoire n'est pas fixe. Il suffit pour s'en convaincre de réfléchir à la conception de l'enfant dans la culture occidentale, à l'image qu'on s'en faisait au Moyen-Age, au XVIIIe siècle, au XXe siècle. Il s'agit là d'un processus dynamique, rien d'un fixisme.
Mais si la culture est le contraire de la race, pourquoi une telle frilosité à faire de l'histoire culturelle, une telle peur de nommer les problèmes culturels par leurs noms? Dans un domaine moins polémique, pourquoi certains ont-ils encore peur de dire que le nazisme est un enfant de l'Allemagne et pas seulement de l'Europe? Qu'il y a dans le nazisme des éléments qui n'appartiennent qu'à la culture allemande traditionnelle depuis Luther et même bien avant. Les grands germanistes français du XX° siècle le savaient, depuis Edmond Vermeil jusqu'à Rita Thalmann et plus près de nous Edouard Husson. Est-ce faire du racisme anti-allemand que le dire? Est-ce faire du racisme que constater dans la culture musulmane, le Coran et les hadiths sont présents des éléments qui rendent impossible la coexistence sur un pied d'égalité avec les non musulmans. Je ne parle pas de la tolérance du dhimmi. Je parle d'égalité et de culture du compromis et de la négociation. Travaillant plusieurs années sur l'histoire des juifs dans le monde arabe aux XIXe et au XXe siècle (pour juifs en pays arabes. Le grand déracinement, 1850-1975, Tallandier, 2012), j'avais constaté l'existence d'une culture arabo-musulmane, du Maroc à l'Irak, entachée d'un puissant antijudaïsme, et ce bien avant le sionisme et la question d'Israël et de la Palestine. Il existe en effet, et de longue date, une culture arabo-musulmane anti-juive, souvent exacerbée par la colonisation ( mais qui n'en fut toutefois jamais à l'origine). Il fallait faire de l'histoire culturelle pour comprendre comment, pourquoi et quand la minorité juive qui s'était progressivement émancipée grâce à l'école, s'était heurtée à une majorité arabo-musulmane aux yeux de laquelle l'émancipation des juifs était inconcevable et irrecevable. Il n'était question alors ni de sionisme, ni d'Israël ni de Gaza. Et encore moins de «territoires occupés» qui, pour les ignorants et les naïfs, constituent le cœur du problème actuel. Ce conflit entre une majorité qui ne supporte pas que le dominé de toujours s'émancipe, et le dominé de toujours qui ne supporte plus la domination d'autrefois, se traduit par un divorce, et donc un départ. Il s'agit là d'histoire culturelle. Où est le racisme ?
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Onfray-Bellamy : vivons-nous la fin de notre civilisation ?
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Oui... ça date un peu... mais c'est à lire...
Cet entretien croisé est paru dans le Figaro du 25 mars 2015 à l'occasion de la sortie du livre de Michel Onfray, Cosmos. Les deux philosophes débattent sur l'impression obsédante qui hante notre imaginaire: celle de l'effacement de la France et, plus largement, de notre civilisation.
François-Xavier Bellamy est maire adjoint de Versailles (sans étiquette). Ancien élève de l'École normale supérieure et agrégé de philosophie, il enseigne en classe préparatoire. Il est également l'auteur de Les Déshérités, ou l'urgence de transmettre paru aux éditions Plon en septembre 2014.
Michel Onfray est philosophe. Après le 21 avril 2002, il fonde l'Université Populaire de Caen. Son dernier livre, Cosmos, est paru chez Flammarion. Vous pouvez retrouver ses chroniques sur son site.
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LE FIGAROVOX. - Michel Onfray, dans Cosmos, le premier volume de votre triptyque philosophique, vous rappelez la beauté du monde. Nous ne la voyons plus ?
Michel ONFRAY. - Nous avons perdu l'émerveillement. De Virgile jusqu'à la naissance du moteur, il nous habitait. Mais depuis, nous avons changé de civilisation: de leur naissance à leur mort, certains individus n'auront vécu que dans le béton, le bitume, le gaz carbonique. Des saisons, ils ne connaîtront que les feuilles qui tombent des quelques arbres qui restent dans leur rue.
Il s'agit d'une véritable rupture anthropologique et ontologique: la fin des campagnes, la mort de la province et de la paysannerie au profit d'une hyper cérébralisation. Le vrai problème n'est pas l'oubli de l'être, comme disait Heidegger, mais l'oubli des étants qui constituent le Cosmos.
François-Xavier BELLAMY. - Il faut aller plus loin encore: l'homme n'est plus en contact avec la nature qui l'environne, ni surtout avec la nature dont il se reçoit… Nous avons perdu le sens des saisons, mais aussi celui du rythme naturel de notre propre vie. Le citoyen est devenu citadin, et il a oublié que l'homme ne se construit pas ex nihilo, qu'il n'est pas un produit parmi d'autres, artificiel et transformable, dans la société de consommation. Cette négation du vivant va jusqu'au déni de sa propre mort. Prenez la loi sur la fin de vie: le fait de transformer la mort en sédation, en un simple sommeil, par le prodige de la technique, est une façon pour l'homme d'écarter tout ce qui fait sa condition naturelle.
LE FIGAROVOX. - Faut-il être conservateur ?
Michel ONFRAY. - Ni conservateur ni réactionnaire. Contrairement à Alain Finkielkraut ou Éric Zemmour, je ne crois pas que nous puissions restaurer l'école d'hier ni même que ce soit souhaitable. Si je partage leur pessimisme concernant la destruction de la civilisation occidentale par le néolibéralisme qui dicte sa loi, je me distingue d'eux sur les solutions. On ne peut revenir en arrière, sauf à entrer dans une logique de dictature où l'on demanderait à un nouveau César de se couper totalement de l'Europe et du monde en restaurant les frontières. Cela ne me paraît ni possible ni souhaitable. La vérité cruelle est que notre civilisation s'effondre. Elle a duré 1 500 ans. C'est déjà beaucoup. Face à cela, je me trouve dans une perspective spinoziste: ni rire ni pleurer, mais comprendre. On ne peut pas arrêter la chute d'une falaise.
François-Xavier BELLAMY. - Je partage avec vous l'impression de voir une civilisation s'effondrer, et le sentiment que personne n'en a encore vraiment pris la mesure ; mais la sagesse ne peut pas être qu'un consentement résigné à ce qui advient! Nous pouvons encore décider, dans nos vies personnelles comme dans nos choix collectifs, de recevoir et de transmettre ce qui dans notre culture demeure fécond, et plus actuel que les faux progrès qu'on nous vend. Malheureusement, de ce point de vue, le débat politique et intellectuel oppose plutôt des liquidateurs de faillite que des décideurs capables de tracer des perspectives.
LE FIGAROVOX. - Plus que la liberté de pensée, la première menace n'est-elle pas l'impossibilité de penser dans la frénésie du monde contemporain ?
Michel ONFRAY. - Un tweet, s'il est bien fait, peut être l'héritier des aphorismes des moralistes du XVIIe siècle. Mais la durée du papillon n'est pas celle de la civilisation. La culture de l'instantané nous empêche de nous projeter dans l'avenir et de nous situer par rapport au trajet qui nous conduit de Constantin à nos jours.
François-Xavier BELLAMY. - Toute l'histoire de la philosophie porte la trace des résistances que chaque époque a opposées à l'effort de la pensée. Chercher une pensée juste, c'est toujours rencontrer bien des obstacles, y compris en soi-même. Mais au-delà des sectarismes et de la médiocrité, qui ont toujours guetté les consciences, notre époque, fascinée par la vitesse, risque singulièrement de priver la réflexion du temps même qui est nécessaire à sa maturation. L'immédiateté du numérique est sans doute la forme la plus concrète de ce risque. L'aphorisme, écrivait Nietzsche, est fait pour être ruminé, longuement médité. Qui médite sur Twitter ?
LE FIGAROVOX. - Le débat intellectuel est de plus en plus étouffant...
Michel ONFRAY. - Cette surveillance, je l'ai expérimentée avec mon livre sur Freud, Le Crépuscule d'une idole. Une avalanche d'insultes m'est tombée dessus. J'ai vu des gens qui, au nom de la liberté d'expression, voulaient interdire la diffusion de mon cours sur France Culture! On a dit ou écrit que je réactivais le discours de l'extrême droite, que j'étais un pédophile refoulé ou bien encore un antisémite. J'ai alors découvert les dégâts de l'idéologie dominante issue de ce que Jean-Pierre Le Goff nomme justement le «gauchisme culturel» qui est parole d'évangile médiatique.
Aujourd'hui, la gauche me méprise tandis que la droite me courtise, ce qui ne m'est pas forcément agréable (rire). Mais, au fond, ça m'est devenu égal car je ne me préoccupe plus de ces catégorisations-là. Je refuse la logique des chiens de Pavlov! Quand Pierre Bergé dit qu'on doit pouvoir louer les corps des femmes pauvres à des bourgeois riches qui veulent s'offrir des enfants, je dis que ce ne sont pas des propos de gauche, qu'il n'est pas un homme de gauche. Que la gauche au pouvoir souscrive au pire du libéralisme qui marchandise et loue les corps des pauvres est une obscénité: on ne me fera pas croire que je cesse d'être de gauche en ne souscrivant pas au renoncement de la gauche libérale à être de gauche.
François-Xavier BELLAMY. - On mesure le degré de la pression qui s'exerce sur les esprits, la puissance de cette oppression silencieuse, à l'évolution assez rapide des normes qu'elle impose et à l'adaptation conséquente de l'opinion commune. Il y a quelques années, on pouvait encore être contre la gestation pour autrui; osera-t-on encore l'avouer demain? Il y a quinze ans, s'opposer au PACS était réactionnaire ; mais on pouvait être contre le mariage homosexuel, comme d'ailleurs l'immense majorité des élus de gauche à l'époque, sans se voir reprocher d'être homophobe… Aujourd'hui, c'est impossible. Tous ceux qui demeurent cohérents seront accusés un jour où l'autre de «déraper» ; mais les seuls qui dérapent progressivement, au sens littéral du terme, sont ceux qui se laissent aller, par manque de courage et de constance, à ces renoncements successifs.
LE FIGAROVOX. - Vous enseignez tous deux dans des structures parallèles à l'école. Pourquoi ?
Michel ONFRAY. - En 2002, Jean-Marie Le Pen arrive au second tour de l'élection présidentielle. Il est évident qu'il ne sera pas élu. La question est simplement de savoir si Jacques Chirac l'emportera avec 60 % ou 80 % des voix. Personnellement, je ne me sens pas concerné par ce genre de débat qui relevait de la déraison pure. Il n'était pas question pour moi d'aller crier «le fascisme ne passera pas» en compagnie du patronat et de l'Évêché. Je souhaitais donc, dans la mesure de mes moyens, créer une structure qui travaille à «rendre la raison populaire» pour utiliser les mots de Diderot. Ce fut l'Université populaire de Caen. Certes, c'est une goutte d'eau dans l'océan, mais à ceux qui me rappellent que ça n'a pas changé grand-chose, je demande: qu'avez-vous fait, vous, pour changer les choses là où vous étiez ?
François-Xavier BELLAMY. - Il faut multiplier les lieux pour transmettre cet héritage philosophique qui, même lorsqu'il vient de loin, est d'une profonde actualité. Parce que, nous le constatons tous deux, la soif de réflexion est immense... « Les Soirées de la Philo » sont nées de cela. La philosophie est marquée par une forme de gratuité, mais elle répond à un besoin plus profond que jamais, celui de mettre des mots justes sur les questions que nous rencontrons, de susciter un peu de clarté au milieu de la confusion des débats contemporains.
LE FIGAROVOX. - Regrettez-vous l'abandon du latin ?
Michel ONFRAY. - Mon père était ouvrier agricole. Il a quitté l'école à 13 ans, pourtant il savait lire, écrire, compter et penser. Il était capable de faire une lettre sans faute et, quand bien même il n'aurait pas su orthographier quelque chose, il avait le culte du dictionnaire. Depuis, l'idéologie issue du structuralisme a dévasté l'enseignement. Elle considère que la langue est déjà là, avant même notre naissance, hors de l'histoire! Dans ces conditions, plus besoin de l'apprendre… La théorie du genre procède également du structuralisme négateur d'histoire et de réalité: pas de corps, pas de sexe, pas de biologie, pas d'hormones, pas de testostérone, mais de la langue et de l'archive. Nous ne serions que des constructions culturelles. C'est de cette idéologie datée mais active comme un déchet nucléaire dont il faudrait se débarrasser ; ensuite, on pourrait poser la question du grec et du latin. Mais l'affaire est déjà pliée...
François-Xavier BELLAMY. - Sur la question du latin, la gauche au pouvoir consacre une nouvelle fois le triomphe du marché: le latin n'est pas utile pour l'emploi et la croissance, supprimons-le. C'est la poursuite d'une logique qui consiste à penser que l'école a d'abord pour fonction de préparer le futur adulte à la vie économique.
Cette logique achève en même temps de condamner un enseignement qui aurait pour but de transmettre les fondements de notre culture. Notre système scolaire est voué à la déconstruction plutôt qu'à l'apprentissage. Mais ceux qui organisent cette école de la négation -qui dénonce la langue comme sexiste, accuse la lecture d'élitisme, morcelle l'histoire, bannit la mémoire, condamne les notes et adule le numérique- ont oublié ce qu'ils en avaient eux-mêmes appris. Le propre de cette génération, c'est une immense ingratitude, qui se complaît à déconstruire la culture dont elle a pourtant reçu toute sa liberté...
LE FIGAROVOX. - Le retour du religieux est-il une bonne nouvelle pour l'intelligence ? Michel ONFRAY. - On pensait que la sortie de l'ère religieuse verrait la naissance de l'«ère philosophique et positive» pour reprendre le vocabulaire d'Auguste Comte. Il n'en est rien. Les gens préfèrent toujours des mensonges qui les rassurent à des certitudes qui les inquiètent. Néanmoins, je crois qu'on assiste moins au retour du religieux qu'à l'avènement de l'islam. Je ne suis pas sûr que le judaïsme ou le christianisme se portent très bien. Certes, des chrétiens descendent dans la rue pour protester contre le mariage homosexuel, mais cela signifie-t-il pour autant la grande santé chrétienne, du moins en Europe? Je ne crois pas...
Une civilisation se construit toujours avec une religion qui utilise la force. Si l'Église est tolérante aujourd'hui, c'est parce qu'elle n'a plus les moyens d'être intolérante. L'islam a aujourd'hui les moyens d'être intolérant et ne s'en prive pas. Reste que c'est la spiritualité chrétienne qui a rendu possible l'Occident. Aujourd'hui, une religion laisse la place à une autre religion. Quand le pape François, dont le métier consiste à apprendre à la planète entière qu'il faut tendre l'autre joue, affirme qu'il frapperait celui qui parlerait mal de sa mère, on se dit que le christianisme est mort! L'islam qui lui succède fait l'économie de dix siècles de philosophie: quid du cogito, de la raison, de la laïcité, de la démocratie, du progrès? La raison disparaît quand la foi fait la loi. Et la disparition de la raison n'est jamais une bonne nouvelle...
François-Xavier BELLAMY. - Un positivisme mal digéré nous a fait exclure la question de Dieu de la sphère de la raison. C'est une catastrophe. S'en est suivie une conception très sectaire et dogmatique de la laïcité, qui voudrait que parler de Dieu soit contraire à l'ordre républicain. On vivrait bien mieux la réalité du fait religieux, qui fait partie depuis toujours de l'expérience humaine, si on pouvait en parler ensemble dans l'espace public, du point de vue de la raison commune. Après tout, dans le monde occidental, aux États-Unis par exemple, il y a dans certaines branches de la philosophie une théologie rationnelle qui se porte plutôt bien, et qui discute sérieusement de la question de l'éternité du monde ou de la représentation de Dieu… De notre côté, nous avons voulu refouler de force la religion dans l'ordre de la psychologie, de l'intime. Du coup, nous prenons en pleine figure l'émergence d'un islam qui se déploie par le pathos, par l'affect, et avec lequel nous nous sommes rendus incapables de discuter. C'est peut-être l'une des raisons de la violence qui resurgit, et qui naît de l'impossibilité du dialogue.
LE FIGAROVOX. - Que dire à un jeune de 20 ans ?
Michel ONFRAY. - Le bateau coule, restez élégant. Mourez debout...
François-Xavier BELLAMY. - Nous sommes vivants. Quelles que soient les circonstances, l'histoire n'est jamais écrite d'avance: le propre de la liberté humaine, c'est de rendre possible ce qui, en apparence, ne l'était pas...
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Plan anti-magouilles
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Welcome...
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Des Nouvelles du Front
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19/09/2015
Ceci n'est plus une femme...
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La Politique...
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18/09/2015
Les postillons
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« Ce n'est plus le sang perdu sur un champ de bataille qui fait la valeur des hommes mais les postillons déversés derrière un micro. »
Roger Nimier, Le Grand d'Espagne
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On oblitérait l'image de Dieu dans l'homme
=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=
« En introduisant la civilisation occidentale dans sa patrie, l'empereur voulut importer également les vêtements, les manières, les usages de l'Occident, souvent par voie d'oukazes, et en dépit d'une forte opposition. Le fameux rasage des barbes symbolise encore de nos jours cet aspect du règne. Le gouvernement l'exigeait "pour la gloire et la bienséance de l’État et de la profession des armes" ; les traditionalistes prétendaient, de leur côté, qu'en se rasant, on oblitérait l'image de Dieu dans l'homme, et que les Russes ressembleraient à des créatures aussi méprisables que les Luthériens, les Polonais, les Kalmouks, les Tatars, les chats, les chiens et les singes. »
Nicholas V. Riasanovsky, Histoire de la Russie
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L’écœurante mollesse des bons sentiments
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« L’écœurante mollesse des bons sentiments fabrique des bourreaux à la chaîne, car ne vous y trompez pas, les bourreaux sont pleins d’idéalisme et d’humanité. C’est toujours au nom de l’humanisme et de l’humanité que se font les génocides. [...] Crevez la panse de l’idéalisme, tordez le cou aux bons sentiments, videz les émotions les plus généreuses, faites exploser le message de l’humanisme, apprenez à regarder la vérité en face, pratiquez le scepticisme ascétique, alors peut-être aurez-vous rendu quelques services, dont vous ne serez récompensé que par les insultes des braves gars du monde. »
Jacques Ellul, Exégèse des nouveaux lieux communs
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De plusieurs mètres...
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Couilles au cul...
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17/09/2015
Ceci n'est plus une femme...
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Europa 2050
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Matzneff - Migrants, émigrés, immigrés
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Les mots ont un sens et une histoire. Gabriel Matzneff, fils d'exilés, recommande un usage modéré du mot "migrant" utilisé à tort et à travers.
Quand nous sommes dans le doute, l'incertitude et en quête d'une réponse, nous ouvrons, si nous sommes d'humeur religieuse, la Bible (ou le Coran, à la mode ces temps derniers), si nous sommes d'humeur philosophique, Sénèque, nous en lisons une page au hasard et dans l'un et l'autre cas nous sommes éclairés.
Il existe cependant une troisième source de lumière, qui n'est ni monothéiste, ni polythéiste, mais résolument laïque (vous le voyez, je ne perds pas une occasion de faire ma cour à notre vénéré Premier ministre Manuel Valls), ce sont les dictionnaires.
Un ami, le libraire Bernard Le Borgne, éminent spécialiste de manuscrits rarissimes et de livres anciens, m'a récemment offert, dans la belle édition de 1849, les quatre tomes du Dictionnaire universel de la langue française de Bescherelle.
Depuis que j'ai reçu ce magnifique cadeau, c'est sans remords que je fais de fréquentes infidélités à mon bien aimé Littré. Avoir plusieurs dictionnaires, c'est comme avoir plusieurs amantes : immoral mais diablement agréable. Et la supériorité des dictionnaires sur les jeunes personnes, c'est qu'ils souffrent silencieusement ; ne nous font jamais de scènes de jalousie.
Migrant, mot né en 1960
Bref, c'est en me plongeant dans Bescherelle que j'ai appris que cet hideux mot de migrant que depuis quelques jours la presse écrite et parlée nous sert à toutes les sauces est un néologisme récent. Pour Bescherelle, migration, oui, migratoire, oui, mais migrant est inconnu au bataillon. Je ne suis pas hostile aux néologismes lorsqu'ils sont beaux, ou drôles ; mais ce migrant, qu'un autre dictionnaire, le Petit Robert, fait naître en 1960, est irrémédiablement affreux.
L'utiliser est d'autant plus idiot que la langue française a d'autres mots, plus élégants et poétiques, pour exprimer la même réalité. Je sais ce dont je parle. Petit-fils et fils de Russes qui durent quitter leur patrie après la révolution de 1917, les horreurs de la guerre civile, la victoire de l'armée bolchevique sur l'armée impériale, je n'ai jamais dans mon enfance entendu utiliser ni le mot migrants ni le mot immigrés pour désigner ceux-ci. Les journalistes, les écrivains, lorsqu'ils évoquaient ces nouveaux venus sur le sol français, ont toujours dit l'émigration russe, ou les émigrés russes, où les exilés russes, ou les Russes blancs, ou encore la colonie russe de Paris (ou de Nice, ou de Menton).
Mes grands-parents, mes parents étaient des exilés, des émigrés, non des immigrés, et moins encore des migrants. Voici l'excellente définition que donne Bescherelle du mot émigration : « Action de quitter son pays pour aller s'établir dans un autre. Émigration volontaire. Émigration forcée. L'émigration des nobles et des prêtres pendant la Révolution française. L'invasion de l'empire de Byzance par les Turcs causa l'émigration d'une foule de Grecs. » Cette invasion de Byzance par les Turcs peut être appelée une immigration, mais l'exil des Grecs en Italie, en France, en Russie est, elle, une émigration.
Vive la précision du vocabulaire !
Le jour où les troupes du vaillant calife de l'État islamique envahiront la molle Europe et planteront leur drapeau noir sur la coupole de Saint-Pierre, ce sera une immigration. De ce mot, Bescherelle donne cet exemple : « Les Germains sont arrivés successivement en Europe, et par trois immigrations distinctes. » En revanche, les infortunés Syriens qui, fuyant leur pays en guerre, ayant tout perdu, le cul nu, se réfugient en 2015 à Paris, comme, dans les années vingt du siècle dernier, le firent les infortunés Russes, ont le droit d'être appelés des émigrés, des exilés.
On m'objectera que je chicane, que cette querelle de mots n'a aucune importance. Moi, je crois au contraire que la précision du vocabulaire est une des plus puissantes armes que la civilisation possède pour résister à la barbarie. La droite se gargarise avec l'identité française, grand bien lui fasse, mais je lui signale que l'usage du charabia, du baragouin qu'aujourd'hui on lit partout, on entend partout, menace l'âme et le génie de la France de manière infiniment plus pernicieuse que l'accueil des malheureux qui frappent à notre porte.
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Salvador Allende, 40 ans plus tard
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À chaque date anniversaire, la gauche ne manque jamais de célébrer le régime de Salvador Allende et la « voie chilienne vers le socialisme », et de conspuer dans la foulée son renversement par l’armée. Ce 11 septembre ne faillira pas à la tradition. L’occasion, pour nous également, de revenir sur cette catastrophe.
Certes, la chute des pays soviétiques et autres affidés a définitivement prouvé que le socialisme, ça ne marche pas, même pas un peu, même pas une fois, même pas par hasard. Jamais. Mais la nostalgie étant ce qu’elle est, la gauche reste attachée à ses mythes. Comme on peut le voir à l’occasion du 40e anniversaire du coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili. S’accrochant à ses dernières icônes encore relativement présentables, la gauche abuse de la mauvaise foi, déforme les événements, tentant de réécrire l’Histoire afin de s’accommoder d’un passé illusoire au lieu de prendre connaissance des faits et d’essayer de comprendre la réalité.
Parce que, dans les faits, la réalité du gouvernement d’Allende a été beaucoup plus sinistre que ne le laisse supposer l’hagiographie entretenue depuis les années 70. Le 16 septembre 1973, le New York Times résumait parfaitement ce que furent ces mille jours où Allende gouverna le Chili :
« L’expérience du docteur Allende a échoué parce que sa coalition d’Unité Populaire, dominée par les socialistes et les communistes, a tout fait pour installer au Chili un système socialiste radical auquel était farouchement opposée plus de la moitié de la population. Il avait été élu en 1970 avec seulement 36,3% des voix, à peine 39.000 votes de plus que son concurrent conservateur arrivé en deuxième place. Lors des élections législatives du début de cette année, l’Unité Populaire n’a seulement obtenu que 44%. Pourtant, en dépit d’un parlement dominé par l’opposition, souvent en méprisant les tribunaux et face au chaos économique et à une inflation qui faisait rage, le régime a continué de « réquisitionner » des entreprises, grandes et petites. Ces actions ont polarisé le Chili comme jamais auparavant, provoquant une opposition tous azimuts, non seulement de la part du riche ou d’une frange fasciste, mais bien de la classe moyenne qui représente la moitié de la population et qui se voyait affronter sa propre destruction. Si le docteur Allende avait progressé de manière plus réfléchie, s’il avait fait une pause pour consolider après la nationalisation des industries de base du Chili et posé des limites raisonnables à son programme socialiste, il aurait probablement terminé son mandat avec de grandes chances de succès. »
Il est utile, voire nécessaire de bien se rappeler ces faits, alors même qu’aujourd’hui dans plusieurs endroits du monde, on peut voir comment un gouvernement légal peut détruire les institutions d’un pays et, partant, perdre toute légitimité à son pouvoir. C’est pourquoi aujourd’hui et demain, Contrepoints publie un dossier autour de la figure d’Allende, de sa politique et du Chili sous son gouvernement.
10 septembre
– Salvador Allende et la voie chilienne vers le socialisme : Très loin d’un projet progressiste mais modéré utilisant la voie démocratique, le programme politique de l’Unité Populaire mené par Allende relevait de la classique ligne marxiste-léniniste. Avec toutes ses désastreuses conséquences politiques, économiques et sociales. Une expérience catastrophique pour le Chili à laquelle l’armée mettra dramatiquement fin, à la demande du parlement.
– Cybersyn, le rêve mouillé du socialisme : Cybersyn (projet du gouvernement Allende visant à créer une économie planifiée contrôlée en temps réel par ordinateur) était inutile pour atteindre son objectif, et redondant pour la simple communication. Malgré la propagande qui faisait étalage du haut niveau de sophistication du système, il fallait en réalité une armée d’exécutants pour traiter les données. Au final, le plus grand succès du cybersocialisme a été de faire échouer une grève.
11 septembre
– Les mille jours d’Allende : Chronique du gouvernement d’Unité Populaire, du 4 novembre 1970 au 11 septembre 1973.
– Les textes cachés de Pablo Neruda : En 1971, Pablo Neruda reçoit le prix Nobel de littérature. Il serait injuste de nier la valeur littéraire de sa poésie. Des livres comme Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée, les séries de Résidence sur la terre et d’autres attachants recueils de poèmes forment une trajectoire lyrique clé du 20e siècle. Mais il serait également injuste de cacher certains textes de Neruda ; textes que la critique a occultés pour maquiller l’image de celui-ci ; textes qui reflètent sa servilité envers quelques-uns des dictateurs les plus néfastes du 20e siècle, comme, par exemple, une élégie au dictateur cubain Fulgencio Batista.
– « El ladrillo », le programme économique des Chicago Boys : Le programme de développement économique élaboré par les Chicago Boys avant et pendant la présidence d’Allende a fait du Chili le premier pays d’Amérique du Sud à intégrer l’OCDE, le 7e le plus libre économiquement au monde en 2013, en offrant aux Chiliens les meilleurs indices de développement humain et le plus haut PIB par habitant de toute l’Amérique latine, ainsi que les taux de pauvreté les plus bas de toute leur histoire. Un bien beau résultat pour une aventure qui commença, il y a près de 60 ans, par un accord de coopération entre l’Université de Chicago et l’Université catholique du Chili.
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Vincent Moscato dénonce l'hypocrisie face aux migrants
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16/09/2015
Déconne pas René...
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Quelle position face aux islamistes ? Céline Pina dénonce le "silence" de la France
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15/09/2015
Ceci n'est plus une femme...
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Allemandes traditionnelles...
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Eurabia...
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14/09/2015
Moi Président de la République...
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