04/03/2016
Gaffeur et maladroit
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« Je disais que nos délibérations numéro 1 sont toujours demeurées secrètes. Il n’en saurait être de même de nos délibérations numéro 2, par lesquelles un grand nombre de personnes sont averties que tel jour, à telle heure, il y aura telle manifestation patriotique, ou tel cortège. Les jeunes gens bavardent entre eux, ou devant des personnes qui n’ont pas leurs convictions. II est inévitable que quelques mouchards se faufilent dans un mouvement politique aussi étendu que le nôtre. Quelque temps avant la guerre, un de ces mouchards nous fut signalé. C’était un solide gaillard, appartenant à la Préfecture de Police, intelligent, débrouillé, de bonne mine, et qui se donnait comme employé de commerce, avec, bien entendu, les meilleures références. Le comité des Camelots du Roi le mit en surveillance et acquit bientôt la certitude que la dénonciation était légitime. Il y avait ce soir-là grande réunion à la Salle des Sociétés Savantes, rue Danton. Le mouchard, un sieur M…, fut chargé du "service intérieur", dans le petit corridor menant à la tribune des orateurs. Poste de choix. A huit heures précises, comme il était convenu, quatre camelots, se jetant sur lui à l’improviste, le ligotèrent et le transportèrent sur l’estrade, où il demeura pendant une bonne heure, exposé aux quolibets des auditeurs, avec une pancarte définissant son rôle, sans aménité. Au bout de ce temps, les mêmes quatre camelots le portèrent au dehors, sur sa chaise, tel un saucisson habillé en monsieur et le remirent cérémonieusement à l’officier de paix, qui commandait les forces policières :
« Nous vous le rendons, il vous appartient.
— Mais non.
— Mais si.
— Je vous dis que non.
— Informez vous ».
L’officier de paix alla consulter des agents en bourgeois, qui reconnurent aussitôt que M… était un copain, et l’accueillirent en le traitant de gaffeur et de maladroit. »
Léon Daudet, Vers le roi
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