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15/04/2016

Il s’étonnait de lui voir concilier des choses qu’on lui avait toujours enseignées comme inconciliables

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« —Oui, dit Jérôme, comme s’il avait compris la pensée de son compagnon, la chapelle va mettre la-dessus sa poésie, sa musique, ses cierges, son clair-obscur et ses incantations, et va convertir ces hommes et ces femmes de chair en hommes et en femmes de vitrail…
— C’est très fort, cette manière qu’à l’Église d’éteindre la sensualité.
— Mais elle ne l’éteint pas !
— Mettons qu’elle l’apprivoise…
— Pas du tout ! Elle l’approfondit, au contraire, en la convertissant; c’est-à-dire en la soumettant, comme elle fait de tout ce qui existe en l’homme, à un élément supérieur, au sentiment d’une présence sacrée qui est en nous, qui crée en nous un ordre, une hiérarchie, de sorte qu’en fin de compte, elle la subordonne et l’utilise, sans la supprimer, à des fins spirituelles : elle transpose en un rêve mystique mais ardent un rêve qui a toute la chaleur du sang, celui de la Sainte-Thérèse de Bernin — vous savez ?…

Simon écoutait Jérôme avec attention. Il s’étonnait de lui voir concilier des choses qu’on lui avait toujours enseignées comme inconciliables. Il n’était pas à même de décider si ce langage était bien orthodoxe, mais il était séduit par sa beauté, car il unifiait l’univers. Il ne supprimait pas la lutte, mais il la décentrait et laissait entrevoir la possibilité dans l’homme d’un emploi harmonieux des facultés et d’une synthèse féconde, au lieu de le montrer irréductiblement divisé contre lui-même.
— Quel déploiement de sensualité, d’ailleurs, dans l’Église ! continuait Jérôme. Ces lueurs, ces odeurs, ces scintillements, cet or…
— Luxe, calme !…
— Mais oui, c’est dans l’Église comme dans la nature “les couleurs, les parfums et les sons se répondent” ! …
C’est même bien plus vrai dans l’Église : il y a entre elle et la nature la même différence qu’entre la vie et une tragédie de Racine où toutes les valeurs sont portées à leur maximum. Il n’est pas étonnant que le théâtre ait pris naissance dans les cérémonies catholiques ; elles sont déjà, par elles-mêmes, un spectacle. Il s’agit d’attirer les âmes pour leur montrer Dieu. C’est qu’il n’est pas donné à tout le monde de trouver Dieu de soi-même. Il y tant d’êtres qui, sans l’Église, n’auraient jamais su adorer ! …

Simon était frappé. Voilà bien ce qu’il n’avait pas su répondre à Massube, le soir où celui-ci l’avait questionné sur la prière. Une leçon d’adoration, voilà ce qu’elle donnait, la petite chapelle méprisée par Massube. »

Paul Gadenne, Siloé

 

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