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01/06/2016

Être dans le rêve renouvelable

=--=Publié dans la Catégorie "Humeurs Littéraires..."=--=

 

Elle était devenue un étonnement constant pour tout ce qui caractérise le bon sens raisonnable qui ne faisait guère défaut, jadis, ni au paysan, ni à l’ouvrier, ni à l’artiste, ni au philosophe… ni même au bon bourgeois  des siècles précédents satisfait de lui-même.

Sa posture de base était une assurance d’entrée et de place gardée dans le cercle intime des progressistes en charge de la non-pensée. Cette posture crispée consistait à promouvoir constamment des espoirs de toutes sortes… aimer ceux qu’elle pensait être ses amis mais qui n’étaient là que pour tenir chaud à son désespoir et la rassurer de sa solitude intérieure sur laquelle sa conscience avait fait un trait.

La nature a horreur du vide et trouve toujours des ersatz pour faire fonctionner sa mécanique générale.

Affronter la folie n’était plus dans ses cordes. La chimie des pilules la rassurait, lui évitait de considérer quoi que ce soit directement en se confrontant à elle-même… Elle se donnait l’illusion d’aimer la vie alors qu’elle en altérait la face obscure… Ce qui lui importait c’était d’être dans le rêve renouvelable, quotidien, de ces rêves qui interdisent de voir la tenace réalité avec ses flots de merde et de sang et ses cohortes de fantômes.

Bien entendu, les revenants tenaces elle les gardait pour elle seule, n’en parlait pas même à sa plus sûre confidente, taisait tout à son époux. Bien que, l’ignorant, car trop naïve, elle transmettait déjà toute ses angoisses à ses jeunes enfants, deux filles auxquelles elle avait donné des prénoms anciens et poussiéreux, non par souci de préserver une trace de l’ancien temps, mais probablement pour se donner bonne conscience : Amandine et Sidonie.

En tête de ses objectifs premiers se trouvaient les fameux et fumeux « préjugés » de toutes sortes : raciaux, culturels, sociaux. L’important, et c’était inconscient bien sûr, fut qu’elle oublie qu’elle était à l’abri des quartiers de non-droits, que son mari et ses enfants étaient aussi blancs que son petit cul encore ferme (elle en éprouvait, d’ailleurs, une culpabilité vague qu’elle terrait avec violence en elle, en espérant que cela ne lui fabriquerait un jour ou l’autre un cancer, comme le lui avait dit un lumineux amant dans sa jeunesse, dont elle avait balayé le souvenir d’un revers de la main afin de ne plus se caresser la nuit en songeant à son sexe vif et tendu qui l’avait, maladroitement, rendue vivante et libre)…

Bouche et coeur noués par un époux (cadre un temps chez Auchan, il était passé chez Leroy Merlin avec un sourire carnassier qu’elle ne soupçonnait pas à la maison… car lui — comme elle bien entendu — votait à gauche) qui subvenait à sa pitance et à celle de sa marmaille, elle ne s’en persuadait pas moins qu’elle se devait de « décaper les différents sexismes » qui polluaient encore et toujours la société à laquelle son coeur aspirait, et la moindre apparition de mère catholique s’occupant avec amour et « soumission » de ses 7 ou 8 enfants, lors d’un reportage télévisé, la révulsait littéralement. Elle préférait se persuader qu’elle distribuait des graines d’espoir, qu’elle ensemençait le futur et que tous ces vestiges passéistes et « réactionnaires » devaient disparaître au plus vite afin de garantir une félicité à l’Humanité entière… au nom de ses enfants et de l’à-venir qu’elle espérait florissant… plus florissant, en tout cas, que la grisaille zemmourienne à l’aulne du sexe desséché de sa quarantaine qu’elle venait de passer et dont elle supportait de moins en moins le poids néfaste sur son absence de conscience.

En vérité, toute sa vie elle s’était sentie vieille et aigrie… et le seul instant où elle avait daigné être elle-même, sans apparats, sans masques, sans pincettes, c’est quand elle avait rencontré un Monstre qui lui avait clamé : pardonne à tes douleurs, jouis d’être au monde, tes blessures sont des décorations de guerre, tes pas en dehors de la piste balisée sont des bénédictions, Dieu n’aime pas les tièdes, il les vomit de sa bouche et il pardonne à ceux qui cherchent… ce souvenir, bien que douloureux, était une douceur.

Elle avait préféré s’aveugler en se donnant la pitoyable illusion qu’il fallait réparer les coeurs brisés (elle adorait le film de Jean-Pierre Jeunet, « Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain »), être disponible pour les personnes de son entourage à la dérive, et ce malgré leur désaccords fermement explicites. Quelle joie elle éprouvait lorsque quelqu’un repartait de chez elle requinqué et alerte alors qu’il était venu la voir en dessous de tout ! Si le contraire survenait, elle était désespérée pour les sept jours à venir. La joie, même factice, même forcée, lui importait avant tout. Des émotions positives, des petites joies éprouvées à l’écoute d’un vieil album de Mano Solo ou d’un plus récent d’Izia Higelin. Elle n’aimait pas particulièrement Zaz, mais elle trouvait que sa voix avait du Peps, un charme, une « énergie » et qu’il fallait vraiment être un vieux con pour ne pas aimer cette « engagée » qui se sentait (« Bordel de merde ! ») concernée !

Elle détestait l’humour noir. Il lui fallait de jolies blagues, des jeux de sociétés complices qui feraient tout renaître. Des « rafistolages, rapetassages, rapiéçages, rapiècements, ravaudages, reprisages de petits bonheurs », des espoirs de « toutes sortes » qui n’étaient qu’agréments et ataraxie, fausse béatitude, consentement à la merde ambiante… Il fallait positiver, comme « Carrefour » où son époux finirait bien par aller travailler aussi un jour.

Vivre en plein accord avec elle-même lui semblait, clandestinement, impossible. Elle s’était résignée, du coup, à changer de vêtements, à changer de coiffure et y trouvait de l’assurance. On se console comme on peut car « vivre est un métier difficile ».

Ses soirées préférées étaient les plus plates, celles qui l’empêchaient et de penser ses plaies et de les panser réellement. Quelques amis et connaissances rassurants, sur la même longueur d’onde, autour d’elle ou, seule, avec un plateau repas devant une émission dans le genre de « Pop Stars », afin de prendre partie pour la plus grosse, la plus banale des chanteuses qui tentait désespérément de se frayer un chemin vers le succès. Parfois la grosse chanteuse y parvenait pour sa plus grande joie… puis elle disparaissait et on en entendait plus parler et même elle n’y pensait plus.

Accoudé au bar, sirotant son Jack Daniel’s, la voyant parler à haute voix au milieu de sa fratrie, il devinait sa vie en un déroulement cinémascopique sur la membrane de sa cervelle… ici et là, par moment, surgissait une phrase surprenante à laquelle elle-même ne comprenait probablement plus rien, vestige d’un temps où elle déployait ses ailes… mais celles-ci étaient désespérément castrées, anéanties, par les conventions du mariage, de sa « moraline » de bobo, de ses non-idées… entre deux inepties comme « C’est trop beau » ou « Franchement, je les kiffe sévèrement », tombait un surprenant « Nietzsche, c’est que du bonheur, tu devrais essayer »…

Elle était parvenue à ordonner sa vie par la confusion…

 

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