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22/06/2016

La "dhimma"...

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« En 1976, étant correspondant du "Monde" en Égypte, je fus expédié au Liban pour remplacer provisoirement notre représentant local, Édouard Saâb, qui venait d’y être assassiné. On était alors au début de la longue guerre (1975-1990), non pas "civile", comme il est panurgiquement écrit partout, mais libano-palestinienne ou, pour être plus précis, maronito-islamique. Je constatai, en débarquant à Beyrouth-Ouest, que la totalité de la presse étrangère était installée en secteur "islamo-progressiste", comme répétait la doxa de l’époque, et ne mettait pratiquement jamais les pieds à Beyrouth-Est, en secteur "chrétien-conservateur"… Fidèle à l’enseignement d’Hubert Beuve-Méry, fondateur du "Monde", dont le maître-mot fut "Renvoyez les idées reçues à leurs auteurs !", je décidai d’aller voir ce qui se passait de l’autre côté de la ligne de démarcation séparant les deux Beyrouth. La première chose qui me frappa, ce fut les décalcomanies de Jésus, la Vierge ou saint-Maron, patron des catholiques maronites, apposées sur les armes des combattants. "Vous allez tuer au nom de Dieu ?", demandai-je à un jeune guerrier qui me regarda stupéfait, avant de rétorquer : "Quoi, vous venez d’Égypte, vous avez vu le sort des coptes et vous me posez une telle question ! Nous nous battons pour ne pas devenir comme les coptes, et avec l’aide de Dieu nous gagnerons !"

J’allai voir ensuite le jeune Béchir Gemayel, étoile montante des "fachos", pour Beyrouth-Ouest, et de la "résistance libanaise" pour Beyrouth-Est (et qui devait plus tard être élu président du Liban avant d’être assassiné) ; il donna raison à ses miliciens, précisant : "Nous combattons pour avoir le droit de continuer à sonner nos cloches ! Plutôt mourir que d’être dhimmi". Dhimmi en arabe, "protégé" ; dhimma : "protection", avec une nuance d’assujettissement, accordée par l’Islam depuis, croit-on, le "pacte" conclu entre des chrétiens et le calife Omar, l’un des premiers successeurs de Mahomet, pacte aussi appliqué aux autres "Gens du Livre" reconnus par l’Islam : zoroastriens, israélites et sabéens essentiellement. J’avais rencontré pour la première fois le terme "dhimma" dans les feuilles diffusées en Algérie nouvellement indépendante par ceux qu’on appellerait bientôt "intégristes" puis "islamistes" ou "djihadistes". Je me trouvais alors au service de l’administration algérienne en tant que "coopérant militaire", avant de devenir correspondant du "Monde" en Alger, où je suivis des cours d’Histoire islamique donnés par un universitaire musulman, selon lequel "on n’appliquait plus la dhimmitude nulle part au XXe siècle, sauf en Arabie"…

Je n’avais pas encore lu les ouvrages fondamentaux sur le sujet, dus à l’Egypto-levantin Jacques Tagher, au Libanais Antoine Fattal, au Palestinien de Suisse Sami Aldib, tous trois chrétiens d’Orient. Je n’avais pas non plus encore examiné in vivo la dhimmitude au quotidien. En Égypte, je fus peu aidé en cela par le mutisme des coptes, sans doute par honte vis-à-vis d’un chrétien "libre", et par crainte de représailles de la part de musulmans glosant haut et fort, eux, devant les Occidentaux, sur la "tolérance" de leur religion alors que nous, nous avions eu les Croisades, l’Inquisition, le Colonialisme, le Nazisme et tout le saint-frusquin… Aidés par une puissante cohorte d’intellos marxistes, huguenots, juifs, cathos de gauche, etc., ceux des mahométans songeant déjà à une Reconquista à l’envers de l’Europe latine, avaient vite compris qu’en culpabilisant leurs adversaires potentiels, ils les affaibliraient d’autant. La "cohorte", elle, comptait secrètement sur le pouvoir électoral des "masses musulmanes" — et ça continue sous nos yeux en France, Espagne, Belgique, etc. — pour installer durablement au gouvernement la gauche socialiste…

Ce furent, au Caire, au milieu de la décennie 1970, le père Georges Anaouati, fameux érudit dominicain égypto-levantin, conseilleur culturel de Jean Paul II, et un autre érudit oriental, Mirrit Boutros-Ghali, fondateur de la société d’archéologie copte, qui m’ouvrirent définitivement les yeux sur la terrible réalité de la dhimmitude. Désormais, en Orient, je passais une partie de mon temps à parcourir quartiers et villages mixtes où je touchai mille fois du doigt la condition de demi-citoyens des coptes et autre chrétiens, les discriminations quotidiennes dans la rue, aux champs, à l’école, dans l’administration, etc. C’est en outre parmi les coptes que je trouvai les pauvres des pauvres, même si la misère frappait aussi de nombreux musulmans. Comme je rapportais mes tristes constats à Anaouati, il me donna une sorte d’ordre : "Écrivez tout ça !". Et ce fut, en 1983, "Le Radeau de Mahomet", essai où je développais ce que j’avais déjà esquissé dans "Le Monde" sur la situation de la Chrétienté orientale. Si j’eus le soutien de mes supérieurs hiérarchiques type André Fontaine ou Michel Tatu, nombre de mes confrères, au "Monde" et ailleurs, au nom d’un “Islamo-progressisme” imaginaire, nièrent les faits que je rapportais…

En Égypte, bien sûr, mais là où me conduisaient aussi d’autres reportages : Libye, Soudan, Yémen, Pakistan, Brunei, et même dans les soi-disant États "laïques" de Syrie, Irak ou Turquie, je découvrais peu à peu, la condition dhimmie : pas de mariage ni même de flirt avec une "vraie croyante" alors que tout mâle musulman a le droit d’épouser juives ou chrétiennes dont les enfants seront obligatoirement islamisés ; pour celles de ces épouses ayant conservé leur foi native, en cas de veuvage, aucun héritage ni aucune garde des enfants ; impossibilité pour les dhimmis d’accéder à certaines professions "délicates", comme la gynécologie ou bien à des postes politiques réellement importants : le célèbre Boutros Boutros-Ghali, au rôle diplomatique mondial, ne dépassa jamais chez lui le rang de "ministre d’État" qui, au Caire, équivaut à "secrétaire d’État". Le "laïc" Nasser aggrava encore la dhimmitude en interdisant aux chrétiens d’enseigner l’arabe, "langue du coran" ; en contrepartie, si on peut dire, il interdisit à ses coreligionnaires les manifestations festives trop bruyantes lors des conversions de coptes à l’Islam. Subsistèrent les milles mesquineries paperassières, légales ou non, imposées aux constructeurs de la moindre chapelle tandis que le gouvernement continuait à encourager l’édification de nouvelles mosquées. Sous Sadate les attentats antichrétiens se multiplièrent tandis que le pape copte qui avait eu le toupet de se plaindre était assigné à résidence… Lors du renversement du président islamiste élu, Morsi, en 2013, par le maréchal Sissi, des musulmans passèrent leurs nerfs en détruisant en deux jours plus de cent édifices chrétiens dans la vallée du Nil, soit plus que durant toute la conquête arabe de cette région en 639… »

Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, La NRH, hors série n°12

Combattantes chrétiennes syriennes

 

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