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20/11/2016

Cet empire macaronique et burlesque

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Or donc, le pouvoir s’est transporté, comme tu sais, des Tuileries chez les journalistes, de même que le budget a changé de quartier, en passant du faubourg Saint-Germain à la Chaussée-d’Antin. Mais voici ce que tu ne sais peut-être pas ! Le gouvernement, c’est-à-dire l’aristocratie de banquiers et d’avocats, qui font aujourd’hui de la patrie comme les prêtres faisaient jadis de la monarchie, a senti la nécessité de mystifier le bon peuple de France avec des mots nouveaux et de vieilles idées, à l’instar des philosophes de toutes les écoles et des hommes forts de tous les temps. Il s’agit donc de nous inculquer une opinion royalement nationale, en nous prouvant qu’il est bien plus heureux de payer douze cents millions trente-trois centimes à la patrie représentée par messieurs tels et tels, que onze cents millions neuf centimes à un roi qui disait "moi" au lieu de dire "nous". En un mot, un journal armé de deux ou trois cent bons mille francs vient d’être fondé dans le but de faire une opposition qui contente les mécontents, sans nuire au gouvernement national du roi-citoyen. Or, comme nous nous moquons de la liberté autant que du despotisme, de la religion aussi bien que de l’incrédulité ; que pour nous la patrie est une capitale où toutes les idées s’échangent, où tous les jours amènent de succulents dîners, de nombreux spectacles ; où fourmillent de licencieuses prostituées, des soupers qui ne finissent que le lendemain, des amours qui vont à l’heure comme les citadines ; que Paris sera toujours la plus adorable de toutes les patries ! la patrie de la joie, de la liberté, de l’esprit, des jolies femmes, des mauvais sujets, du bon vin, et où le bâton du pouvoir ne se fera jamais trop sentir, puisque l’on est près de ceux qui le tiennent.

Nous, véritables sectateurs du dieu Méphistophélès ! avons entrepris de badigeonner l’esprit public, de rhabiller les acteurs, de clouer de nouvelles planches à la baraque gouvernementale, de médicamenter les doctrinaires, de recuire les vieux républicains, de réchampir les bonapartistes et de ravitailler les centres, pourvu qu’il nous soit permis de rire "in petto" des rois et des peuples, de ne pas être le soir de notre opinion du matin, et de passer une joyeuse vie à la Panurge ou "more orientali", couchés sur de moelleux coussins. Nous te destinions les rênes de cet empire macaronique et burlesque ; ainsi nous t’emmenons de ce pas au dîner donné par le fondateur dudit journal, un banquier retiré qui, ne sachant que faire de son or, veut le changer en esprit. »

Honoré de Balzac, La Peau de chagrin

 

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