Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/12/2017

Les reliques ont été déposées sur son cerceuil

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Il y a une rue de Verdun à Chalabre, chef-lieu de canton aux confins de l'Aude, à portée de regard des Pyrénées ariégeoises. Mon arrière-grand-père, Antoine Bernard, ne l'a jamais traversée. Territorial grièvement blessé au bassin par un éclat d'obus reçu là-haut, il ne quittait plus le hameau de Montjardin où était sa maison. Il s'y déplaçait à pas menus, traînant la semelle de ses chaussons de feutre moins vite qu'un petit enfant. Sa chambre avait été installée au rez-de-chaussée, et son lit face à la fenêtre d'où il voyait les collines, rigoureuses pyramides tondues par les troupeaux, le sillon buissonneux de la rivière où il allait pêcher autrefois, les champs qu'il ne pouvait plus travailler et le jardin vers lequel, par beau temps, de l'autre côté de la rue, il faisait de longs et laborieux voyage d'une traversée. Quand il tombait, il appelait d'une voix exaspérée pour qu'on vienne le relever. Baptistine, sa femme, ou le premier villageois par-là remettait sur ses pauvres jambes le grand invalide de guerre. Il vécut ainsi les trente années suivant sa blessure, près de la ferme que continuaient d'exploiter sa femme et ses deux fils qui lui restaient.

De la guerre, il ne disait rien. Au-dessus de son lit étaient ses médailles et la photo du fils aîné, tué à vingt ans dans la Somme, au mois d'août 1918. Lorsque la porte de l'aïeul était ouverte, au mur, près du grand portrait d'un jeune soldat, mon père apercevait, sur des sortes de diplômes, le nom de la famille, son propre nom calligraphié à la plume, en grosses et rondes lettres noires, entre les lauriers, les palmes et la République casquée. Au bout des rubans de couleur, sous les reflets du verre, les ronds dorés des médailles avaient bruni. Les reliques ont été déposées sur son cerceuil, parce que sa descendance n'avait pas su ou voulu les partager, quand on l'a mis en terre dans le petit cimetière situé derrière l'église. Il y est toujours, en contrebas de la route qui, par col du Bac, entre les chênes verts du versant occidental et les vignes étagées à l'orient, conduit à Limoux. »

Michel Bernard, Visages de Verdun

 

16:00 Publié dans Lectures | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.