31/01/2018
Les hommes moyens ont les nerfs malades, il serait extrêmement dangereux de les exciter
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« C’est une grande duperie de croire que l’homme moyen n’est susceptible que de passions moyennes. Le plus souvent il ne paraît moyen que parce qu’il s’accorde docilement à l’opinion moyenne, ainsi que l’animal à sang froid au milieu ambiant. La simple lecture des journaux prouve que l’opinion moyenne est le luxe des périodes prospères de l’histoire, qu’elle cède aujourd’hui de toute part au tragique quotidien. Pour former un jugement moyen sur les évènements actuels, il faudrait l’illumination du génie. C’est avec des événements moyens que l’homme moyen fait son miel, cet élixir doucereux auquel M. André Tardieu a voulu attribuer un jour des propriétés enivrantes. Il est clair que si vous asseyez l’homme moyen sur un fagot embrasé, vous tarirez du même coup sa sécrétion. Le feu au derrière, il courra se réfugier dans n’importe laquelle des idéologies qu’il eût fuies jadis avec épouvante. La disparition des classes moyennes s’explique très bien par la lente et progressive destruction des hommes moyens. La classe moyenne ne se recrute plus. Les dictatures exploitent ce phénomène, elles n’en sont pas les auteurs.
Il me paraît vain de compter sur les hommes moyens pour une politique moyenne. Les hommes moyens ont les nerfs malades, il serait extrêmement dangereux de les exciter. Sans prétendre me faire le censeur d’une certaine éloquence cléricale, j’ai le droit de dire qu’inoffensive au temps de M. Jacques Piou, ou sur les lèvres du regretté comte Albert de Mun, elle s’adresse aujourd’hui à des imaginations déréglées par l’angoisse. Les contemporains de M. Jacques Piou étaient évidemment indignés par la politique de M. Combes, mais ils ne se sont pas crus un seul instant capables de rébellion ouverte contre ce minuscule politicien à tête de rat. Pour une raison que je dois formuler exactement comme je le pense : les affaires alors marchaient bien. Il n’y a dans cette remarque nulle intention blessante. Le plus optimiste des évêques espagnols n’oserait soutenir qu’on rencontre beaucoup de chrétiens capables de se sentir aussi bouleversés par le vote d’une loi défavorable à la liberté de l’enseignement que par la nouvelle de sa propre ruine, surtout lorsque cette ruine est sans remède puisqu’elle est fonction, comme disent les mathématiciens, de la ruine universelle. Autre chose était donc de parler des héros de la Vendée aux paisibles sujets de M. Armand Fallières, autre chose est de donner en exemple la guerre civile espagnole à de pauvres types qui doutent de tout, de la société elle-même, et sont disposés à dire : "La Croisade ? Va pour la Croisade !…" comme ils pensaient cinq minutes plus tôt : "Le communisme ? Pourquoi pas ?" »
Georges Bernanos, Les grands cimetières sous la lune
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