19/03/2018
La haine mortelle de la masse à l'égard de la vie indépendante de l'individu
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« La démocratie moderne et la mécanisation du monde moderne ont pour corollaire l’aura desséchante et stérilisante d’une spiritualité bornée. On sent flotter dans l’air la haine mortelle de la masse à l’égard de la vie indépendante de l’individu. C’est ce sentiment qui se lit dans le regard vulgaire, méchant, mi-curieux, mi-réprobateur, de l’homme moyen que l’on croise dans la rue. Ce que l’on a coutume d’appeler “sens de l’humour” n’est chez la plupart que l’expression de cette haine.
L’humour démocratique trahit la rancœur de la normalité en présence de l’anormal. C’est le sens du grotesque et du ridicule. Et ce qui apparaît grotesque et ridicule à l’”humour” collectif du troupeau, ce sont précisément ces éléments même de la conscience individuelle qui, lorsque celle-ci connaît ces éléments sub-humains et super-humains, transcendent le niveau ordinaire de notre époque mécanisée. La béatitude hébétée de la foule suspendue à l’écoute de la radio illustre bien cette attitude. Car la radio n’est pas autre chose que l’âme collective d’une époque vulgaire, trouvant une satisfaction narcissique à contempler ainsi son propre reflet.
En ce moment de l’histoire du monde, il ne faut rien tant qu’encourager des esprits humains individuels à éprouver à l’endroit de l’humanité des sentiments fort différents de l’amour aveugle. Cet impératif moral nous enjoignant d’aimer humanité n’est qu’une séduction hypnotique, effet de la fascination exercée par l’aura de la masse sur l’imagination individuelle. Il est nécessaire d’aimer la Vie – ou du moins de se mesurer à elle afin de lui arracher de force ce bonheur délicieux et légitime. Mais il n’est pas nécessaire d’aimer l’humanité. L’étonnant, c’est que parmi tous ces “amoureux de l’humanité”, nombreux sont ceux qui s’adonnent à des pratiques d’une cruauté plus abominable que les insectes eux-mêmes entre eux. (…) La morale de la masse commande d’aimer l’humanité, mais fait montre d’indulgence face à la cruauté la plus abominable. Mais si l’âme individuelle se refuse, avec un frisson d’horreur, à céder à toutes les tentations d’être cruel, elle refuse également de renoncer à un gramme, une once, du droit qui est le sien de n’éprouver que détachement à l’égard de l’humanité comme à l’égard de la tradition humaine. »
John Cowper Powys, Apologie des sens
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