09/08/2018
Quelques efforts spasmodiques et dérisoires
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« Il est grand temps maintenant de nous poser la question capitale et de chercher la cause de cette expression morne et tendue, cette expression de hâte et de fièvre – cette expression à la fois si apathique et si anxieuse, d’où sont absentes la joie de vivre et la paix – qui se lit sur le visage des passants que nous croisons dans les grandes métropoles occidentales. C’est une expression exactement semblable, en fait, à celle que l’on pourrait observer sur les traits des fourmis, les plus misérables des insectes asservis à la coutume. Si un film nous montrait des images de fourmis en gros plans géants, nous aurions à coup sûr l’impression de nous voir dans un miroir !
Et cette apathie perpétuelle, ce mélange de grisaille et de tension – quelle en est la cause psychique ? Tout simplement le manque d’intelligence, l’incapacité de reconnaître où il faut chercher le bonheur ! Car enfin on ne peut supposer que tous les individus désirent être ainsi mornes et misérables. Ils font, de fait, quelques efforts spasmodiques et dérisoires pour s’arracher à cette effroyable indifférence, à cette futilité poussiéreuse. Ils vont au “ciné” ; ils s’invitent les uns chez les autres ; ils boivent ; ils forniquent ; ils lisent les faits divers. Mais tous ces remèdes restent manifestement inefficaces – ou sont suivis d’effets si éphémères qu’ils ne valent pas la peine d’être mentionnés.
Certes, les plantes, les arbres, les animaux, les reptiles, les oiseaux et les poissons sont mortels, et connaissent, qui plus est, une mort tragique; mais tant qu’ils sont vivants – il suffit de les regarder pour en être certain ! – ils jouissent de longues périodes d’extase de vivre, alternant avec des périodes de paix profonde et de satisfaction indépendante. Ils sont la proie de mille terreurs, en butte à mille périls. Leur vie, tout comme la nôtre, n’est qu’un interminable combat pour se procurer de la nourriture. Mais parallèlement à ces dangers et souffrances tragiques dont leur vie abonde, ils connaissent – de façon répétée, bien qu’intermittente – la jouissance intense et magique que leur cause ce simple fait primordial qu’ils sont en vie, qu’ils ne sont pas encore morts ! Alors que tant d’habitants de nos grandes villes, quant à eux, pourraient tout aussi bien être morts, étant donné le peu de plaisir qu’ils tirent de ce fait essentiel qu’ils sont encore en vie. »
John Cowper Powys, Apologie des sens
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