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29/05/2019

Adversité

=--=Publié dans la Catégorie "Lectures"=--=

 

« Il y a d’abord ceux qui sont mes adversaires par sottise ; ce sont ceux qui ne m’ont pas compris et qui m’ont blâmé sans me connaître. Cette foule considérable m’a causé dans ma vie beaucoup d’ennuis, mais cependant il faut leur pardonner ; ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient.

Une seconde classe très-nombreuse se compose ensuite de mes envieux. Ceux-là ne m’accordent pas volontiers la fortune et la position honorable que j’ai su acquérir par mon talent. Ils s’occupent à harceler ma réputation et auraient bien voulu m’annihiler. Si j’avais été malheureux et pauvre, ils auraient cessé.

Puis arrivent, en grand nombre encore, ceux qui sont devenus mes adversaires parce qu’ils n’ont pas réussi eux-mêmes. Il y a parmi eux de vrais talents, mais ils ne peuvent me pardonner l’ombre que je jette sur eux.

En quatrième lieu, je nommerai mes adversaires raisonnés. Je suis un homme, comme tel j’ai les défauts et les faiblesses de l’homme, et mes écrits peuvent les avoir comme moi-même. Mais comme mon développement était pour moi une affaire sérieuse, comme j’ai travaillé sans relâche à faire de moi une plus noble créature, j’ai sans cesse marché en avant, et il est arrivé souvent que l’on m’a blâmé pour un défaut dont je m’étais débarrassé depuis longtemps. Ces bons adversaires ne m’ont pas du tout blessé ; ils tiraient sur moi, quand j’étais déjà éloigné d’eux de plusieurs lieues. Et puis en général un ouvrage fini m’était assez indifférent ; je ne m’en occupais plus et pensais à quelque chose de nouveau.

Une quantité considérable d’adversaires se compose aussi de ceux qui ont une manière de penser autre que la mienne et un point de vue différent. On dit des feuilles d’un arbre que l’on n’en trouverait pas deux absolument semblables ; de même dans un millier d’hommes on n’en trouverait pas deux entre lesquels il y eût harmonie complète pour les pensées et les opinions. Cela posé, il me semble que, si j’ai à m’étonner, c’est, non pas d’avoir tant de contradicteurs, mais au contraire tant d’amis et de partisans. Mon siècle tout entier différait de moi, car l’esprit humain, de mon temps, s’est surtout occupé de lui-même, tandis que mes travaux, à moi, étaient tournés surtout vers la nature extérieure [37] ; j’avais ainsi le désavantage de me trouver entièrement seul. À ce point de vue, Schiller avait sur moi de grands avantages. Aussi, un général plein de bonnes intentions m’a un jour assez clairement fait entendre que je devrais faire comme Schiller. Je me contentai de lui développer tous les mérites qui distinguaient Schiller, mérites que je connaissais à coup sûr mieux que lui ; mais je continuai à marcher tranquillement sur ma route, sans plus m’inquiéter du succès, et je me suis occupé de mes adversaires le moins possible. »

Johann Wolfgang von Goethe à J. P. Eckermann, Mercredi, 14 avril 1824 ; in "Conversations de Goethe avec Eckermann"

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